Un permis pour procréer ? Le duel entre Antoine Bueno et Bertrand Vergely<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
Un permis pour procréer ? Le duel entre Antoine Bueno et Bertrand Vergely
©Mladen ANTONOV / AFP

Grand débat

Pour répondre à une situation environnementale catastrophique, l'essai d'Antoine Bueno "Permis de procréer" (éditions Albin Michel) défend la mise en place d'une "politique dénataliste mondiale".

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

Voir la bio »
Antoine Bueno

Antoine Bueno

Antoine Bueno est écrivain et chargé de mission au Sénat. Il se produit aussi dans son seul en scène, "Antoine Bueno, l'Espoir".

Voir la bio »

Atlantico : Pour répondre à une situation environnementale catastrophique, votre essai "Permis de procréer" (éditions Albin Michel) défend la mise en place d'une "politique dénataliste mondiale". Sans refuser la natalité en tant que telle, vous considérez que l'Etat ne peut plus encourager les naissances comme il le fait. Pensez-vous sincèrement que les mesures que vous proposez ne provoqueraient pas un réel soulèvement de la population contre elles ? Après tout, la filiation est ce qui nous a fait homme, comment lui donner un cadre aussi sinon restrictif - moralement réprouvé ? 

Antoine Bueno : Si le cadre législatif et institutionnel que je  propose était adopté - accompagnement des projets parentaux dans le cadre d’un contrat de parentalité, ciblage et personnalisation de la politique familiale, limitation des allocations familiales à 2 enfants, création d’un système de financement mondial de la scolarisation des filles et du planning familial - il le serait bien sûr démocratiquement. Ensuite, les gens sont légalistes. La plupart respectent les règles. D’autant plus que celles dont il est question, loin d’être liberticides, servent à la fois la nature et les droits de l’homme via les droits de l’enfant et les droits de la femme. Je rappelle que je ne propose aucune mesure contraignante.

L’essai d'Antoine Bueno soulève une question importante qui est celle de la surpopulation. Peut-on penser que les États vont réduire la natalité et si oui dans quelles limites ?

Bertrand Vergely : S’agissant aujourd’hui de la natalité, il existe une grande disparité entre les États. Alors qu’en Europe on assiste à une stagnation de celle-ci, les pays riches se contentant de deux enfants par famille, en Afrique, on assiste à une explosion démographique. Entre l’Europe et l’Afrique, il y a le cas de la Chine et celui de l’Inde qui sont les pays les plus peuplés de la planète et où déjà des politiques de contrôle des naissances sont mises en œuvre avec plus ou moins de succès.

Si la Chine a  partiellement réussi à imposer la politique de l’enfant unique, ce n’est pas le cas de l’Inde où limiter la natalité se heurte à de fortes résistances du fait des traditions paysannes et villageoises pour qui faire des enfants et notamment des garçons est un gage de prospérité.

Va-t-il être possible de limiter la natalité en Afrique ? Cela semble peu probable, la famille nombreuse étant  une tradition africaine. Il sera à ce sujet très intéressant de voir comment un pays comme le Nigéria va régler cette question, ce pays connaissant une expansion démographique particulièrement forte.

Dans un pays comme la France, pour des raisons différentes, la question de la dénatalité ne va pas être simple à régler. La France cherche actuellement à être en pointe en ce qui concerne l’écologie et la préservation de la planète. Dans cette perspective, la limitation des naissances s’impose. Toutefois, la France souhaite par ailleurs que sa population puise vivre le plus longtemps possible. Dans ces conditions, comment va-t-il être possible de tenir ensemble ces deux exigences ? Si la France veut pouvoir payer les retraites d’une population qui va vivre de plus en plus longtemps, il va falloir qu’il y ait des jeunes et que l’on encourage la natalité. Mais, si on encourage la natalité, il va y avoir de plus en plus de jeunes, donc de plus en plus de monde sur terre , donc un poids de plus en plus lourd à porter pour la planète. D’où cette question : comment va-t-on faire pour préserver la vie des hommes qui aspirent à vivre de plus en plus longtemps et la vie de la planète qui a besoin qu’il y ait de moins en moins d’êtres humains ?

Tout donne à penser que les États vont agir en deux temps. Dans un premier temps, ils  ne vont rien faire en priant le ciel que la question de la surpopulation se tasse. Dans un deuxième temps, ils vont prendre des mesures drastiques qui, quand elles surviendront,  seront trop tardives pour changer le cours des choses.

Dans cette perspective pour le moins angoissante, le seul motif d’espoir réside dans l’écart qui existe toujours entre les prévisions des experts et la réalité. Quand les experts s’expriment, les prévisions qu’ils développent sont tellement alarmistes que l’on voit la catastrophe pour tout de suite. Dans la réalité, il en va autrement. D’une manière étonnante, l’humanité arrive toujours à trouver des solutions pour les problèmes qui se posent à elle. Comparé à la Chine, l’Inde n’est pas un grand pays. Pourtant, dans ce pays, l’Inde arrive à faire vivre 1,3 milliard d’êtres humains.  Il y a toujours des solutions. On trouve toujours des solutions.

Votre proposition consiste principalement à mettre en place des structures afin de faire évoluer les mentalités. Cependant, ne pourrait-on pas considérer que les mentalités - et sociétés évoluent d'elles-mêmes vers une natalité plus faible. De nombreux géographes évoquent un possible pic de natalité dans les années à venir, et de nombreux pays occidentaux semblent suivre ce chemin. Une telle proposition ne risque-t-elle pas surtout de déstabiliser les pays du Sud ou les plus pauvres qui ont une forte natalité aujourd'hui ? Comment ne pas suivre la pente qui mènerait vers une forme de darwinisme social ?

Antoine Bueno : Mes propositions feront d’abord évoluer le droit. Ensuite éventuellement les mentalités. Il n’y a pas de débat sur l’inéluctabilité de l’atterrissage démographique: il aura bien lieu. Mais trop tard (début du XXIIe siècle) et trop haut (plus de 11 milliards d'individus). La situation est trop grave, trop dangereuse pour laisser faire les choses « naturellement ».
Mes propositions ne déstabiliseront absolument pas les pays du Sud. Au contraire, ce qui les déstabilise c’est l’explosion démographique! C’est bien pour cela qu’ils essayent tous de mener des politiques dénatalistes. Ce que je propose, c’est de les financer. Cela les servira donc! J’ai même la conviction que mon marché mondial des droits à procréer pourrait devenir l’une des principales revendications du Sud !

Quant au darwinisme social, ma proposition l'évite absolument puisque je propose de concentrer les moyens de la politique familiale sur les foyers les plus défavorisés! Mon permis de procréer est donc un outil de justice sociale!

La natalité est l’un des piliers de la société. On pense à la parole biblique « Croissez et multipliez ». La naissance est synonyme de transmission. En se tournant vers la dénatalité ne va-t-on pas désespérer les populations ?

Bertrand Vergely : « Croissez. Multipliez ! ». Il s’agit là d’une parole mystique profonde. Grandissez. Allez vers votre accomplissement spirituel ! C’est ce que veut dire cette parole. On prend cette parole au pied de la lettre. Il ne faut pas la prendre au pied de la lettre. Celle-ci ne veut pas dire « Faites des enfants et reproduisez vous ». On a tendance à oublier. Certes, elle veut dire vivez sur un plan matériel. Perpétuez l’espèce humaine. Mais, elle veut dire aussi « Grandissez spirituellement et pas simplement matériellement et extérieurement ».

On s’interroge : si les États proposent une politique de dénatalité, les populations vont désespérer. Si on reste uniquement sur un plan extérieur et matériel, c’est ce qui sera le cas. Les populations ne vont pas simplement désespérer. Elles vont paniquer. Si nous pensons à naître spirituellement, il en sera autrement.

Regardons ce qui se passe en France. Ce pays est en proie à un véritable paradoxe. D’un côté, des femmes qui pourraient procréer ne procréent pas. Témoin les 220 000 avortements pratiqués chaque année. D’un autre des couples qui ne peuvent pas procréer, les couples stériles et les couples homosexuels, font tout pour avoir un enfant. Soit l’enfant est rejeté comme un obstacle, soit il est désiré comme un jouet. Cette contradiction est un signe. La France veut à la fois la liberté et la vie sans parvenir à les concilier. Soit la liberté va contre la vie, soit la vie va contre la liberté.

Il y a une façon de pouvoir concilier la liberté et la vie : c’est celle que l’on trouve dans le fait de faire naître et grandir son enfant intérieur.  Il n’y a alors aucune contradiction, l’enfant qui naît de l’intérieur étant à al fois liberté et vie.    

Allons plus loin. Pourquoi a-t-on du mal à faire naître notre enfant intérieur ? Parce que nous n’osons pas aborder l’angoisse qui est la nôtre par rapport à la mort. L’humanité, qui est appelée à vivre spirituellement sur un plan supérieur d’existence, doit mourir au visible afin de naître à l’invisible. Quand le plan invisible est nié, que se passe-t-il ? La peur de la mort survient. Quand la peur de la mort survient que se passe-t-il ? On s’accroche comme des fous au monde visible. Ce qui se traduit par l’avortement ici et le désir fou de procréation là. Qui avorte ? La personne qui veut préserver sa liberté dans le monde visible. Qui veut des enfants à tout prix ? La personne qui veut préserver sa vie dans le visible à tout prix. Qui avorte ici et fait tout pour avoir des enfants là ? La même personne qui s’accroche comme une folle au visible sans aller vers sa mutation dans l’invisible.

Tant que nus nous accrocherons comme des fous au monde visible qui est un mode égotique, matériel et immédiat, nous ne résoudrons aucun des problèmes qui se pose à nous. Si les gouvernements proposent une politique de dénatalité ils vont désespérer les populations, pourquoi ? Rien de plus normal. Ces populations ne connaissant que la vie dans le monde visible, celles-ci vont avoir l’impression qu’à leur retire tout si on leur retire la vie du monde visible. 

Depuis la Renaissance, le monde se passe du monde invisible pour résoudre les questions qui se posent à lui. aujourd’hui il est rattrapé par le refoulement de l’invisible. Ne vivant pas sa mutation intérieure vers l’invisible, attendant tout du monde visible, il oscille entre la violence pour préserver sa liberté et la croissance folle tout aussi violente pour préserver sa vie. Il ne veut pas se transformer.

Si le monde apprend à se transformer intérieurement pour aller vers la partie invisible de lui-même il pourra parfaitement faire face aux questions qui se posent à lui. Un exemple : les centenaires de l’île d’Okinawa au Japon vivent très longtemps sans embêter personne. Grâce à leur vie spirituelle ils vivent dans la frugalité et dans la joie.

Au XIXème siècle, déjà, la question de l’avenir de l’humanité se posait. Témoin la controverse qui a opposé Marx à Malthus. Malthus proposait une politique de dénatalité. D’où le terme de malthusianisme. Marx proposait à l’inverse une politique de croissance grâce au socialisme. Marx comme Malthus ont fait la même erreur. Aucun d’eux n’a tenu compte de la vie spirituelle et invisible de l’humanité. Tous deux sont restés fixés sur le plan visible extérieur. 

Votre projet de permis parental n'est-il pas une intrusion excessive dans le cadre privé familial ?

Antoine Bueno :Je ne propose pas un permis de parentalité mais un contrat de parentalité. Aucune intrusion, juste la définition de droits et de devoirs qui, le cas échéant, pourrait servir d’alerte pour intervenir le plus vite possible en cas de maltraitance infantile. Un outil qui fait aujourd’hui cruellement défaut à la politique de la protection de l’enfance.

Si on changeait de mode de consommation, ne serait-ce pas une solution ?

Bertrand Vergely : Oui. À condition de comprendre ce que changer de consommation veut dire.

Il serait temps que les hommes consomment de l’invisible et donc qu’ils aient une vraie consommation. Dans le monde dans lequel nous vivons, nous mangeons. Nous ne nous nous nourrissons pas et nous ne sommes pas nourris. Les hommes se reproduisent et extérieurement. Ils ne se reproduisent pas intérieurement. Ils tuent des enfants à l’extérieur. Ils ne se débarrassent pas de l’être avorté qui est en eux. Il nous fait ne vraie naissance, une vraie nourriture, une vraie consommation, une vraie vie. Nous ne sommes ni dans la vraie consommation, ni dans la vraie naissance, ni dans la vraie vie, ni dans la vraie nourriture. 

Les solutions technologiques ne vous semblent-elles pas la véritable solution à la problématique de la surpopulation, notamment en termes d'économie d'énergie et de ressources ?

Antoine Bueno :Les solutions économiques et technologiques sont indispensables mais insuffisantes. Elles seront longues à mettre en œuvre et il n’est pas certain que nous y arriverons. Pour l’heure, la transition énergétique est illusoire. D’ailleurs les émissions mondiales de GES ne baissent pas. Dans ces conditions, nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas agir sur le levier démographique qui est beaucoup plus facile, rapide et efficace à actionner.

Quelles limites faut-il ne pas franchir ?

Bertrand Vergely : Celles de la bêtise, de l’aveuglement et de l’ignorance spirituelle.

Nous vivons bêtement, stupidement. Regardez ce qui se passe en France. Un grand débat vient d’être organisé afin soi disant de changer la vie. Qu’est-il ressorti de ce débat au bout de cinq mois de réflexion ? Une seule chose : les Français aspirent à payer moins d’impôts afin d’avoir plus de pouvoir d’achat. Plus bête, plus aveugle, plus ignorant de toute vie spirituelle il n’y a pas ! Cinq mois de discussion pour en arriver là. Cinq mois de discussion pour découvrir une chose que l’on savait déjà ! Consommer et payer moins d’impôts ! C’est ça la vie ! C’est avec ça que l’on va construire le monde de demain ! C’est avec ça que l’on va bâtir l’humanité ! Cinq mois de manifestations des gilets jaunes pour produire ça ! Quand l’enfant intérieur ne naît pas, voilà ce que cela donne. Un monde totalement abruti par la consommation, le pouvoir d’achat et els impôts. La seule limite à ne pas dépasser est la limite à la bêtise. Constatons le, en ce qui concerne la bêtise, la limite est sans cesse de dépasser. Nous nattons des records d’excès de vitesse dans ce domaine en allant non seulement dans le mur mais en accélérant, pied au plancher.

On dit que Notre Dame a brûlé. On se trompe. Notre Dame n’a pas brûlé. Elle brûle encore. Nous sommes en plein incendie de notre être intérieur. Notre mère intérieur est devenue une torche vivante. Et personne ne s’en aperçoit. On n’entend que des propos ineptes sur la reconstruction à l’identique ou pas, cinq ans pour reconstruire ou pas. Aucune voix ne s’est élevée pour dire que c’est nous que nus avons à reconstruire. En revanche pour parler de la PMA et d’être prêt pour les Jeux afin de bien consommer on se bouscule.

Pour terminer, que diriez-vous à quelqu'un qu'une telle perspective inquièterait grandement ?

Antoine Bueno : Je leur dirais de lire mon livre et de se faire une opinion qui ne s’arrete pas au titre. Je leur dirais aussi que si nous ne mettons pas en œuvre des mesures douces, démocratiques et humanistes telles que celles que je propose, si nous n’essayons pas de piloter en douceur notre atterrissage démographique, demain un autre régime pourrait en venir à prendre des décisions véritablement autoritaires. Ou bien la nature elle même pourrait nous imposer un violent rééquilibrage...

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !