Ukraine : le groupe Wagner cherche à s’emparer des ressources naturelles et à se payer sur la bête…<!-- --> | Atlantico.fr
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Vladimir Poutine et le leader du groupe Wagner, Evgueni Prigojine, lors d'une visite officielle du dirigeant russe.
Vladimir Poutine et le leader du groupe Wagner, Evgueni Prigojine, lors d'une visite officielle du dirigeant russe.
©ALEXEY DRUZHININ / SPOUTNIK / AFP

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En Ukraine comme ailleurs, le modèle économique très simple du groupe Wagner consiste à se payer sur la bête. Les affrontements terribles autour de Bakhmout visent principalement la prise de contrôle des mines de sel.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

Il est aussi l'auteur du blog http://www.jeanmarc-sylvestre.com/.

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Faire la guerre pour piller les régions conquises et surtout prendre le contrôle des richesses naturelles ou industriel du pays. Voilà ce que les capitalistes les plus radicaux navaient pas même imaginés. Pas même en rêve. Faut dire que les communistes pour lesquelles « la propriété et le vol » nont jamais envisagé le pillage systématique des populations entières pour senrichir au nom du peuple. La révolution décrite par Karl Marx répondait à une autre éthique et une autre finalité. Du moins en théorie.

Eh bien, la guerre en Ukraine permet à la Russie de revenir à des pratiques ancestrales cest-à-dire à considérer qu’on peut payer la guerre et ceux qui la font en se servant sur les populations, les villes et les pays quon va envahir et occuper. Comme César qui nourrissait Rome avec les récoltes de blé volées en France ou ailleurs, comme les hordes de Huns qui, au Moyen Âge venaient dévaliser les châteaux. Ou même Napoléon beaucoup plus tard, qui sest  servi localement dans les campagnes quil menait pour élargir lempire, sauf qu’il comptait bien les administrer donc il évitait de détruire les actifs pour pouvoir sen servir.

De lavis de tous les observateurs, si la région de Bakhmout en Ukraine est lobjet de combat acharné entre les Russes et les Ukrainiens alors que cette région a peu dintérêt stratégique, cest uniquement parce que le sous-sol de la région est riche en sel.

Dans cette région, la guerre nest pas menée par les armées officielles de Moscou mais par les mercenaires engagés par le groupe Wagner. Ce groupe paramilitaire fondé par Evgueni Prigojine, fait ce qu’il a toujours fait sur les autres théâtres d’opérations où il est intervenu et notamment en RCA et au Mali. Il  se paie sur la bête, il cherche à prendre le contrôle des ressources naturelles pour se rétribuer directement. Alors ça porte, on le sait sur limmobilier, les maisons et appartements qui ont été laissés par les habitants, les meubles, les tableaux, les bijoux mais ça porte surtout sur les actifs industriels et les ressources naturelles, en particulier les mines de métaux rares ou les réserves agroalimentaires.

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Lentêtement russe à vouloir reprendre aux forces ukrainiennes la ville de Bakhmout est liée à la richesse du sous-sol riche en gisement de gypse (qui permet de fabriquer le plâtre et certains ciments, en argile et en craie). Mais surtout en sel. Les fameuses mines de sel de Soledar qui ont fait la fortune de toute la région. Jusqu’à la guerre, cest la société Ukrainienne Artemsil qui exploitait et gérait cette mine colossale. On extrayait là, par an, quelques 6,8 millions de tonnes dun sel exempt dimpuretés. Avec une perspective sans limites, parce quà ce rythme, les réserves sont telles que l’entreprise a du travail pour pour 2000 ans. De plus, ces mines sont aménagées avec des Kilomètres de galeries profondes, les salles gigantesques dans lesquelles les gérants avaient créé des salles de spectacle, une chapelle et une batterie d’équipements pour recevoir les touristes. Cette mine de sel, unique au monde était de fait devenue une attraction touristique très fréquentée par les Européens de lest. 

Alors ces mines offrent des abris très sécurisés en cas de guerre et Evgueni Prigojine voit là le moyen de stocker du matériel militaire, des chars, des munitions et même installer des garnisons entières pour les protéger. Une sorte de bunker naturel. Cest possible, mais en vérité son ambition est de faire du business. De largent, toujours de largent selon un modèle qui lui a permis de devenir un des oligarques les plus riches de la Russie. Il met la main sur les biens publics ou volés à des populations occupées, il les confisque, les exploite ou les revend à quelques amis. Sa fortune est évaluée à plus de 20 milliards de dollars. Elle est officielle, comme en témoigne limmeuble quil vient dinaugurer à St Pétersbourg pour abriter ses bureaux. Cest dailleurs là qu’il abrite plus de 200 développeurs qui travaillent sur les réseaux informatiques dans le but de les percer et de les hacker. La guerre pour Prigojine nest pas seulement militaire, sur terre ou sur mer, elle touche maintenant au cyberespace. Prigogine est non seulement un des hommes les plus haïs en Ukraine pour sa violence, mais cest aussi le plus surveillé et le plus dangereux pour tous ceux qui travaillent à la cybersécurité.

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Le sel, dans un tel conglomérat aurait évidemment sa place, encore qua priori, cette obsession est curieuse, le sel en général nest pas une denrée très rare sur la planète. On risque de manquer de beaucoup de matières premières ou d’énergie mais on ne manquera jamais de sel, les réserves de sel gemme (celui qu’on extrait dans les mines) sont considérables et le sel marin est pratiquement inépuisable.

La production mondiale de sel, cest 310 Millions de tonnes environ, qui sont extraites ou récoltées dabord par la Chine, les États-Unis, le Canada, lAustralie et lEurope.  Ce sel sert dun coté à lalimentation et surtout à lindustrie. LEurope contrôle près de 40 % de la production mondiale et en Europe lUkraine occupe la part du feu. Près de la moitié.

En dehors de lalimentation humaine qui est stabilisée, les usages industriels du sel dans le monde concernent la fabrication de produits chlorés (chlore et soude caustique) et de soude de synthèse, beaucoup de lessive, puis il sert au déneigement. Cette répartition est dominée par les applications industrielles et les pays à forte croissance sont très demandeurs, la Chine notamment Le sel dUkraine a deux avantages, il est extrême pur, assez facile à exploiter. Cest des plus compétitifs dans le monde.

Que Prigojine veuille mettre la main sur de tels équipement n’étonne personne. Ce qui est ravageur dans un tel modèle, cest qu’il soit encouragé par Poutine. Poutine ferme les yeux sur le pillage dhabitation, les confiscations de domaines agricoles et notamment de production de blé en Ukraine, les métaux précieux, les valeurs, et maintenant les actifs de production comme les mines de sel ou les centrales nucléaires

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Initialement, lensemble des actifs de production Ukrainien qui est de très bonne qualité appartenait à des Ukrainiens, mais aussi à des Russes qui avaient choisi dinvestir en Ukraine parce que ça leur ouvrait des marches européens, mais beaucoup d’actifs ont aussi été financés par des fonds dinvestissement occidentaux. Il y a beaucoup de capitaux français, allemands investis dans des entreprises agricoles en Ukraine. Et les fameuses mines de sel sont très mondialisées. Elles nont pas dintérêt stratégique dune centrale nucléaire mais elles ont un intérêt financier.

Alors, ce modèle de financement de la guerre par une Russie qui couvre les pratiques de ses mercenaires va poser de gigantesques problèmes, juridiques et financiers, le jour où la guerre va sarrêter parce quelle sarrêtera bien un jour. Et ce jour-là, il faudra bien réinscrire la Russie et ses satellites sur le marché mondial. Or, tous les contrats et les accords ont été broyés et brûlés.

Or, un marché a besoin de liberté, de contrats et de règlementations. Il a surtout besoin du respect des accords et des contrats signés. Cest le nerf de la guerre économique mondiale. Il faudra bien détricoter ce que les miliciens ont fait sur le terrain de la guerre militaire et retricoter le tissu de cette mondialisation économique.

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