TVA sociale : la France devrait plutôt s'inspirer de la politique menée par Reagan<!-- --> | Atlantico.fr
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La TVA sociale ne fera pas de miracle sur la stimulation de l’offre.
La TVA sociale ne fera pas de miracle sur la stimulation de l’offre.
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Presque bonne idée

Pour l'économiste Patrick Artus, la TVA sociale est une bonne mesure... mais qui arrive beaucoup trop tard. Ce problème de timing la rend caduque. Il propose d'autres voies...

Patrick Artus

Patrick Artus

Patrick Artus est économiste.

Il est spécialisé en économie internationale et en politique monétaire.

Il est directeur de la Recherche et des Études de Natixis

Patrick Artus est le co-auteur, avec Isabelle Gravet, de La crise de l'euro: Comprendre les causes - En sortir par de nouvelles institutions (Armand Colin, 2012)

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Atlantico : Le Premier ministre François Fillon a déclaré que la décision sur la TVA sociale serait prise dans la foulée du sommet social convoqué à l'Élysée le 18 janvier, puis la « réforme du financement de la protection sociale sera soumise au Parlement en février ». Êtes-vous favorable à cette mesure ?

Patrick Artus : Sur le principe je suis pour la TVA sociale, car la France est un pays où depuis trente ans, on ne fait que des politiques de soutien de la demande, en négligeant le soutien de l’offre (par les aides à l’achat immobilier, par le crédit, par le déficit public, etc.). Ce qui créé aujourd’hui un grave déséquilibre, car notre capacité de production ne suit plus la demande - d’où nos problèmes industriels de commerce extérieur…

Nous avons besoin d’offre. Sur le fond, on doit faire cette politique.

Vous y êtes donc favorable ?

Normalement, on fait ce genre de politique en haut de cycle. C’est-à-dire qu’on fait une mesure d’allègement de charges des entreprises, financée par la taxation de la consommation, quand la demande est forte.

La vraie difficulté, aujourd’hui, est de faire cela en bas de cycle, lors de ralentissements économiques : il y a un problème de timing.
Il aurait fallu avoir le courage de faire cette politique en 2006 ! Les Anglais l’ont lancée en 2007, les Allemands en 2011, c’était déjà trop tard. Et nous en 2012, alors que ce n’est vraiment pas le bon moment. On peut certes tasser la demande, mais quand il y a suffisamment de demande, sinon c’est dangereux car vous amplifiez le ralentissement !

La TVA sociale ne fera donc pas de miracle sur la stimulation de l’offre. Cependant, peut-elle avoir d’autres effets positifs pour l’économie française ?

Oui, on dénombre deux autres objectifs de la TVA sociale. Au-delà, de la stimulation de l'offre,  le second effet peut être la redistribution des revenus, car vous changez de base fiscale : on taxe la consommation et on détaxe les salaires. Mais l’effet généré est minime car en réalité, les revenus du capital sont très peu consommés et très épargnés. En effet, la consommation est fondée essentiellement sur les revenus du travail, ainsi que sur les revenus de remplacement tels que les retraites. La TVA sociale n’est donc pas la bonne solution pour faire de la redistribution. Mieux vaudrait utiliser la CSG (Contribution sociale généralisée) : vous baissez les charges des salariés et vous augmentez le taux de la CSG qui, contrairement à la TVA, taxe les revenus du capital.

Le troisième objectif est de stimuler le commerce extérieur. Tout le monde s’est focalisé quant à l’impact de la TVA sociale sur les importations. Mais la sensibilisation au prix de nos importations est nulle. Donc si vous mettez une TVA sur les importations, vous aurez exactement le même niveau, mais vous les paierez plus cher ! En effet, nous importons ce que nous ne fabriquons plus : voilà en quoi a consisté la mondialisation. La mondialisation est un problème de spécialisation. Les américains ont mis des droits de douanes sur l’acier chinois, et ils continué à importer la même quantité de métal… Simplement, ils l’ont payé plus cher !

A ceci près qu’il y a dix ans, un consommateur français pouvait encore acheter un four micro-ondes fabriqué en France…

Certes, il y a vingt ans, c’était différent. Mais depuis, les entreprises ont "segmenté les processus de production" dans différents pays. Comme, par exemple, le cas d’une voiture dont la carrosserie serait faite en Hongrie et la boîte de vitesse en Tchéquie, etc. Le mouvement est irréversible, et si vous taxez les imports, vous allez simplement payer plus cher les pièces importées. On ne va pas fabriquer les iPhones en France ! Si vous les taxer, les Français paieront plus cher leur iPhone.

La TVA sociale joue-t-elle quand même sur l’export ?

Oui, on obtient un effet sur les exportations. Elles ne sont pas très haut de gamme, et sont assez sensibles à leur prix. Ainsi, si vous baissez les prix des voitures françaises, parce que vous avez baissé les charges des entreprises, vous allez vendre plus de voitures françaises. Le gain n’est pas une protection anti-importation, mais un gain de part de marché pour les entreprises qui baissent leurs prix à l’exportation.

Si vous baissez de 10% le prix des exportations, en théorie, on exporterait 8% de plus en volume. Ce qui représente tout de même 2% du PIB (produit intérieur brut). Le cas de l’Allemagne qui a lancé la TVA sociale en 2000 est intéressant. Depuis 2001, les Allemands baissent continuellement les charges sur le travail et augmentent la TVA. La première année où ils notent un effet positif sur l’emploi et les exports remonte à 2006. On a donc des politiques qui mettent cinq ans à agir… Il n’y a donc pas d’urgence à trois mois. On doit attendre que l’économie aille mieux…

Donc la TVA sociale n’est pas une mesure protectionniste ?

Non, c’est étrange. Mais cela ne protégerait pas du tout des délocalisations. Cela ne fait que doper à l’exportation ce que la France produit encore. Mais on ne va faire revenir en France les capacités de production qu’on a exportées.

Pourtant, certains craignent que la TVA sociale génère de l'inflation

C’est du folklore complet ! Certes, vous faites de l’inflation mais comme l’a fait l’an dernier la Grande-Bretagne. Mais c’est une fausse inflation, c’est juste un effet mécanique du taux de TVA ! Le véritable argument est l’argument cyclique. La TVA sociale aurait dû se faire sous Jacques Chirac en période de plein emploi. Or l’aberration a été de faire à ce moment une politique de soutien de la demande, alors qu’on bénéficiait du plein emploi. On a fait une énorme erreur politique par rapport aux Allemands ou aux Suédois, qui ont mené des politiques d’investissement à cette époque.

Quelle solution préconisez-vous ?

Si le but est d’accentuer la redistribution des revenus, on doit élargir la base de financement de la protection sociale... Or le système social français fait payer la protection sociale par la classe moyenne et la classe moyenne supérieure. Les bas salaires sont en effet exonérés de charge, et les très hauts salaires profitent de la faible fiscalité des revenus du capital.

On doit donc élargir la base de financement de la protection sociale. Une solution légitime existe : baisser les charges sociales et augmenter la CSG. On peut le faire tout de suite. Si c’est la mesure lancée en février, ce n’est pas que de la TVA sociale, et là c’est souhaitable.

Peut-on attendre du gouvernement qu'il promulgue une mesure de relance ?

Cette mesure ne serait ni de gauche ni de droite. Le premier pays qui a mis cela en place sont les États-Unis, sous l’égide de Ronald Reagan en 1986 avec le Tax Reform Act. Tous les revenus étaient taxés au même taux d’impôt. On taxait sans distinction les revenus du capital ou du salaire, etc. C’était une très bonne mesure.

Dans tous les cas, il n’y a pas de débat droite-gauche parmi les économistes. C’est une mesure que vous pouvez faire n’importe quand, car vous donnez du pouvoir d’achat aux salariés, et que la hausse des taux de CSG va être moindre que la baisse des cotisations sociales. Mais on ne doit pas baisser les charges sociales des employeurs mais seulement celles des salariés. Ca n’est pas de la relance, c’est une mesure de simplification fiscale efficace et équitable.

Propos recueillis par Antoine de Tournemire

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