Turquie : ce que nous dit la crise de la livre turque sur l’état du régime Erdogan <!-- --> | Atlantico.fr
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Recep Tayyip Erdogan et le gouverneur de la Banque centrale de la Turquie, Sahap Kavcioglu, lors d'une cérémonie de signature avec le prince héritier d'Abou Dhabi, en novembre 2021.
Recep Tayyip Erdogan et le gouverneur de la Banque centrale de la Turquie, Sahap Kavcioglu, lors d'une cérémonie de signature avec le prince héritier d'Abou Dhabi, en novembre 2021.
©ADEM ALTAN / AFP

Crise économique

La chute de la livre turque a atteint un niveau alarmant pour la population. La Turquie a vu sa monnaie perdre plus de 85% de sa valeur face au dollar depuis le début de l'année 2021. Recep Tayyip Erdogan refusait de changer sa politique monétaire.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Samedi 18 décembre dernier, il fallait 18 livres turques pour acheter un dollar, après 13 livres le premier décembre et 7,6 « seulement » en début d’année. C’est donc une chute, brutale et soudaine de la devise : aucune monnaie, en effet, ne « glisse » doucement contre une autre, jugée bien plus forte qu’elle, de manière continue. Vient toujours un moment où l’inquiétude s’accélère, où surgit une véritable fuite devant la monnaie nationale, un mouvement de panique presque. Il se produit en général vers l’or – sûr mais peu liquide, la bourse – où tout le monde se rue en pariant sur sa liquidité, avec le risque de cet emballement, et le dollar - évidemment plus sûr et surtout plus liquide que tout. Un mouvement de fuite que les autorités turques, comme toutes les autres placées devant une telle situation, veulent absolument arrêter, avant qu’il n’emporte tout, conduisant à des crises bancaires, financières, sociales et, bien sûr, politiques.

Mardi 28 décembre 2021, il fallait « seulement » 11,7 livres turques pour un dollar : le Président Erdogan était intervenu dans les médias et avait pris des mesures. Elles consistaient à figer les liquidités des ménages (pas celle des entreprises) pour trois mois au moins, afin qu’ils puissent bénéficier d’une compensation de la perte éventuelle de change qui sera à la charge du trésor. Un compte en Erdogan-dollar donc. Sur un an, un déposant qui resterait en livres turques percevrait ainsi, en soldant son compte à terme, sa mise initiale plus un intérêt garanti à 14%, sachant quand même que l’inflation turque est actuellement de l’ordre de 21%. Le déposant renonce pour un an à la liquidité, avec un risque de pouvoir d’achat initial : inflation sur l’année moins 14%. Mais, si notre déposant veut sortir plus tôt, il perd l’intérêt et son éventuel gain de change. L’incitation est claire : bloquez une part de vos avoirs, mais ne changez pas d’avis après !

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Mais ces règlementations bancaires et financières peuvent ne pas suffire dans un pays où la politique monétaire entend baisser les taux d’intérêt quand l’inflation monte, sous la pression d’un Président qui promeut une attitude patriotique, une nouvelle théorie économique ou une conception islamiste de l’intérêt, quand la devise nationale fléchit et l’inflation monte.

Il faut donc, en plus, agir en justice, non « contre les spéculateurs », comme c’est souvent le cas, mais au moins contre ceux qui ont critiqué, dans les médias, les mesures prises depuis quelques mois. Il s’agit de l’ancien gouverneur de la banque centrale de 2006 à 2011, désormais député d’opposition, d’autres banquiers centraux, journalistes et économistes : 26 personnes, à ce jour.

Pourtant, ces mesures de freinage de la fuite devant la monnaie nationale, ces interventions politiques et judiciaires dans la politique monétaire, ne pourront arrêter les calculs des marchés. Ils savent que la confiance s’érode devant la monnaie nationale qui a quand même perdu la moitié de sa valeur depuis début janvier, sans compter qu’il fallait seulement 1,5 livre en moyenne pour un dollar entre 2004 et 2010. 90% de perte en dix ans !

Bien sûr, on ne connaît pas tous les chiffres, les dollars, l’or, les avoirs à l’étranger, l’économie grise ou plus foncée, plus peut-être des crypto-currencies, à côté de tout ce qui explique la résilience de cette économie : à court-terme les ventes des réserves en dollars pour acheter des livres, surtout la qualité de sa main d’œuvre et des dirigeants de ses entreprises. On comprend la logique officielle qui est à l’œuvre : déprécier la monnaie pour exporter plus et repartir par l’extérieur, tandis que l’inflation rabote le pouvoir d’achat et pèse sur la demande interne. Elle a un fort contenu économique, social et politique, pour réussir ou échouer.

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Mais, encore une fois, rien ni personne n’empêchera les marchés financiers de faire leurs calculs, en Turquie ou ailleurs : la garantie que donnent les autorités sur les dépôts à terme est une dette implicite du trésor. C’est une hausse déguisée des taux, un impôt sur les pauvres pour payer les spéculateurs si elle rate, sachant que la dette publique dépasse 40% du PIB et que 60% de cette dette est en monnaie étrangère, contre 40% en 2017.

Donc, si la livre repart à la baisse, faute de confiance dans ces mesures (et dans ces menaces), l’inflation risque de remonter, sûrement aussi le déficit budgétaire et les taux longs, conduisant à une fuite vers le dollar, au contrôle des changes et à une dollarisation de l’économie au-delà de la mesure actuelle du Président Erdogan sur les dépôts à terme. Mais il lui reste d’autres portes où frapper : Arabie ou Chine. Aider la Turquie nous renvoie au duopole mondial : États-Unis ou Chine.

Jean-Paul Betbeze

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