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Trump ou la révolte contre le politiquement correct : qui dans la droite française pourrait réussir à exploiter le même filon ?
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Libération de la parole

Enchaînant les victoires dans le cadre de la primaire républicaine aux Etats-Unis, Donald Trump surfe sur une vague de mécontentement de la population envers les élites politiques. Un ras-le-bol également présent en France, que certains candidats à droite pourrait exploiter.

André Bercoff

André Bercoff est journaliste et écrivain. Il est notamment connu pour ses ouvrages publiés sous les pseudonymes Philippe de Commines et Caton.

Il est l'auteur de La chasse au Sarko (Rocher, 2011), Qui choisir (First editions, 2012), de Moi, Président (First editions, 2013) et dernièrement Bernard Tapie, Marine Le Pen, la France et moi : Chronique d'une implosion (First editions, 2014).

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Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Nicolas Dupont-Aignan a déclaré ce mercredi que Donald Trump incarnait le "ras-le-bol" du peuple, quand Laurent Wauquiez affirmait, lui, qu'il était révélateur du fait que "les citoyens ne [voulaient] plus avoir des gens qui leur disent ce qu'ils ont le droit de penser et de dire". Quelles autres réactions suscite Donald Trump chez les politiques français aujourd'hui ?

André Bercoff : Donald Trump suscite énormément de réactions. Que ce soit au sein du monde politique ou du monde médiatique, on peut en dégager trois types.

Premièrement, il y a ceux qui affirment que Donald Trump est d'extrême-droite. Pour eux, c'est un fasciste semblable à Benito Mussolini, notamment suite à ses déclarations sur le mur qui devrait être construit à la frontière avec le Mexique, ou sur l'interdiction aux musulmans de rentrer sur le territoire américain.

Deuxièmement, il y a ceux qui affirment que Donald Trump est un populiste qui dit ce que les gens ont envie d'entendre, mais qui n'a pas de programme et ne profère que des imprécations. Ceux-là citent alors Silvio Berlusconi, Beppe Grillo, pointant du doigt le fait qu'il ne fait aucune proposition mais qu'il surfe sur les peurs des gens. J'ai notamment entendu cela de la part d'Eric Woerth, qui affirmait ne pas beaucoup apprécier Trump pour cette raison.

Troisièmement, vous avez ceux comme Nicolas Dupont-Aignan, Laurent Wauquiez ou d'autres, qui assurent que Donald Trump dit des choses qui méritent d'être écoutées et qu'il parle directement aux gens.

Ce qui est intéressant à observer, c'est que sur les 10 Etats qu'il a réussi à remporter jusqu'à présent, vous avez des Etats extrêmement différents. Certains ont une forte minorité afro-américaine ou hispanique, d'autres sont très "classes moyennes", d'autres encore sont très sophistiqués (Massachusetts). Il représente, selon moi, l'auberge espagnole des fantasmes politiques français. "Qu'est-ce que c'est que cet animal sur lequel on ne pariait pas un kopek il y a encore six mois et que tout le monde prenait pour une espèce de clown ?".

Chacun projette ce qu'il a envie d'exprimer. Je ne suis pas loin de penser, comme Dupont-Aignan ou Wauquiez, que pendant très longtemps, nos élites dirigeantes nous ont dit savoir mieux que nous ce qui était bon pour nous. Or, cet adage est bien quand on a quatre ans et que nos parents nous disent cela. Après 20 ans, il serait bon que l'on sorte un peu de l'enfance et que l'on décide nous-mêmes de ce que nous avons envie.

Que veulent dire ces politiques français de droite qui se réfèrent à Trump ? Cherchent-ils à se démarquer d'une droite trop timorée qui considère qu'on ne peut pas tout dire et tout penser ?

Christophe Bouillaud : Les politiciens français ayant réagi positivement à la victoire de Donald Trump lors du Super Tuesday de la primaire républicaine américaine veulent s'en inspirer pour mettre en avant leur propre discours. C'est un discours de rupture avec le consensus d'après-guerre, fondé sur des valeurs sociales, humanistes, libérales et européennes. Autant de valeurs avec lesquelles ces personnalités politiques veulent rompre. Dans ce contexte, le point le plus important pour ces hommes politiques réside dans leur capacité à parler aux "mauvais instincts" des Français.

L'opinion publique française dans sa globalité est particulièrement hostile à tout ce qui pourrait laisser supposer qu'on aide les étrangers. On observe une véritable montée en puissance d'un égoïsme national sur lesquels Laurent Wauquiez et d'autres veulent surfer, et qui correspond effectivement très bien au discours de Donald Trump de l'autre côté de l'Atlantique : les Américains d'abord et le reste du monde après. Le même sentiment est prégnant en France. Lorsqu'on pose la question aux gens, toutes les dépenses qui pourraient être faites pour les étrangers ne doivent surtout pas être débloquées, contrairement aux dépenses qui pourraient profiter aux Français.


Sur quels sujets précis pourraient-ils se démarquer de la droite actuelle ? Quels tabous espèrent-ils lever ?

Christophe Bouillaud : Il y a au moins trois tabous qui sont en train d'être levés.

Le premier concerne l'Europe. Ce n'est pas un hasard si ce sont Nicolas Dupont-Aignan et Laurent Wauquiez qui réagissent au succès de Donald Trump – suivant d’ailleurs les pas d’un certain Jean-Marie Le Pen. Il y a derrière cela l'idée que l'Union européenne n'est plus du tout l'avenir de la France et que les intérêts français doivent l'emporter sur les intérêts communs de l'UE (pour autant qu'ils existent encore aux yeux de ces mêmes personnes).

Le deuxième fait écho au respect des droits de l'homme. Fondamentalement, on constate un élan sécuritaire très présent. L'idée ici est de pointer le fait qu'un certain "droits-de-lhommisme" empêche de garantir véritablement la sécurité des Français. Nous voyons bien dans certaines propositions, particulièrement chez Laurent Wauquiez dans sa lutte contre l'islamisme radical, que les droits de l'homme constituent une variable dont on pourrait bien se passer. Il n'est pas encore en train de proposer, à titre de prévention du terrorisme, des camps d'internement pour les musulmans un peu trop pratiquants, mais je caricature à peine. Ce n'est pas encore cela, mais cela commence à y ressembler.

Le troisième tabou si l’on veut, c’est la tendance à réaffirmer la supériorité et l’universalité des valeurs françaises de la République. Tout le discours contre le "communautarisme" revient à force d’être rabâché à affirmer qu’il existe un mode de vie, des valeurs, une façon de voir le monde intrinsèquement français dont il ne faut surtout pas avoir honte. On souhaite en revenir en quelque sorte à la bonne conscience des Français républicains de 1890 qui se croyaient les représentants de la Civilisation avec un grand C contre toutes les barbaries encore présentes dans les colonies et contre toutes les réactions avec toutes ces monarchies qui entouraient en Europe la "patrie de l’Universel". 

Il semble qu'il n'y ait pas (encore) d'équivalent de Donald Trump en France. Peut-on imaginer qu'un homme politique français actuel occupe (même partiellement) ce créneau de liberté de parole, de populisme, d'anti-politiquement correct, etc. ?

André Bercoff : Très sincèrement, je ne vois pas qui pourrait occuper ce créneau. Aujourd'hui, tous les politiques français, de gauche comme de droite, sont prisonniers de leur appartenance à un parti. Ils disent tous qu'ils vont faire de grandes choses, mais d'un autre côté, ils doivent faire attention aux gens qu'ils ont autour d'eux et aux attaches économiques, identitaires ou locales qu'ils ont. Je ne vois pas de Donald Trump français. Trump ne s'est jamais présenté à une élection, il vient de la société civile et entrepreneuriale. Où est l'homme politique français qui vient de là ? Où est celui qui n'a pas derrière lui déjà 20 ans d'activité au moins dans le sérail ? Où est celui qui n'était pas dans le système des énarques, des chefs de cabinet, des administrations, des collectivités, etc. ? Je ne vois pas aujourd'hui en France l'équivalent d'un Donald Trump. Il y a bien eu une tentative il y a 20-30 ans avec Bernard Tapie. Mais nous avons vu que cette tentative a tourné court.

On a souvent évoqué le parallélisme avec le populisme de Marine Le Pen, mais je crois que c'est très différent. Effectivement, certains thèmes de Trump se retrouvent chez Marine Le Pen, et vice-versa (immigration, sécurité, etc.). Mais la démarche n'est pas du tout la même. Marine Le Pen a toujours baigné dans le milieu politique. Lui vient du milieu des affaires, de la négociation, du deal. Son grand best-seller s'appelle The art of the deal. Par ailleurs, quel est l'homme politique qui a tenu comme lui pendant 15 ans une émission de téléréalité comme The Apprentice ? Cette double expérience immobilière (où il a incontestablement réussi) et médiatique fait la spécificité de Trump.

La nouvelle donne qu'est en train de créer Donald Trump peut-elle conduire en France à l'émergence de deux droites opposées sur ces sujets, comme il y a aujourd'hui deux camps idéologiques contradictoires au sein du Parti socialiste ? 

Christophe Bouillaud : Je ne crois pas qu'il y ait deux camps qui émergent au sein de la droite républicaine.

D'une part, les militants et le corps électoral qui va s'exprimer à la primaire de la droite et du centre sont largement convaincus par les trois éléments qu'on vient d'évoquer dans la question précédente. L'Europe n'a plus vraiment la cote, idem pour les droits de l'homme quand ils entravent les politiques sécuritaires. Enfin, les valeurs universelles françaises sont très nettement réaffirmées. Il suffit de voir les succès en librairie d'un Eric Zemmour, d'une Natacha Polony ou d'un Alain Finkielkraut pour constater qu'il y a aujourd'hui à droite une ambiance très peu favorable à une ouverture vers le centre. Par ailleurs, le centre manque cruellement de leaders, la bataille devrait donc se dérouler à la droite de la droite.

D'autre part, du strict point de vue tactique, il serait extrêmement stupide de la part de n'importe quel leader de la droite de provoquer une rupture avec le centre, sachant que cette dernière ne séduirait pas les militants, ni les électeurs de droite. Tout le monde va plutôt se concentrer vers la droite de la droite et essayer de refaire l'opération que Nicolas Sarkozy avait brillamment réalisée en 2007, à savoir une certaine radicalisation de la droite.

S'il est impossible de trouver un équivalent français de Donald Trump, n'y a-t-il tout de même personne pour occuper ce créneau et tirer parti de cette envie des citoyens français de "ne plus avoir de gens qui leur disent ce qu'ils doivent penser", pour reprendre la phrase de Laurent Wauquiez ?

André Bercoff : Le Front national le fait en partie. Depuis longtemps, bien avant Marine Le Pen, il tient un discours où il pourfend les élites en affirmant parler au nom des oubliés. Pour autant, il est très difficile de comparer. En deux mots, Donald Trump affirme tout le temps qu'il réussira à faire pour l'Amérique ce qu'il a réussi à faire de son entreprise. Là encore, je ne vois pas de comparaison possible avec la France. Si l'on fantasmait, imaginez un peu Xavier Niel ou quelqu'un comme cela aller en politique avec l'idée d'y entreprendre les méthodes qui lui ont souri dans le monde de l'entreprise. Or, vous ne voyez pas un entrepreneur en France qui ose se lancer. Il y a eu quelques tentatives, notamment avec Charles Beigbeder et compagnie, mais ce n'est pas grand-chose.

Christophe Bouillaud : Tous les candidats importants vont se positionner sur ce créneau. Autant un Nicolas Sarkozy qui va essayer de prouver qu'il est encore plus radical qu'il ne l'était en tant que président de la République, autant un Bruno Le Maire, autant un François Fillon… Même Alain Juppé ne devrait pas rester très longtemps sur son créneau relativement modéré. Il se rendra compte que son électorat de primaire à droite est en forte demande d'un discours musclé, autoritaire et peu tolérant envers les étrangers. Au vu de la longueur de sa carrière politique, il peut faire valoir une certaine légitimité radicale : il a été au RPR et n'est pas non plus totalement un modéré issu du giscardisme ou autre…

Cette course vers la droite a, par ailleurs, déjà été enclenchée lors des dernières élections régionales. Les candidats les plus performants de la droite républicaine ont été ceux qui avaient un discours ou un passé relativement droitier. Ajoutez à cela le fait que le centre manque désespérément de candidats crédibles aujourd'hui…

Une récente enquête du Cevipof sur la structure de l'électorat de la primaire de la droite et du centre indique que ceux qui iront voter sont relativement plus âgés et issus de catégories sociales plus aisées que le gros de la population et de l'électorat de la droite plus généralement. L'électorat qui se déplacera sera plutôt âgé, intéressé par la politique et sensible à des thèmes "réactionnaires". Enfin, le contexte post-attentats de 2015 amène nécessairement un discours plus musclé à l'encontre de tout ce qui pourrait constituer une menace perçue comme venant de l'étranger.

Parmi les candidats déclarés, Bruno Le Maire se veut l'incarnation du renouveau. Est-il mieux placé que les autres pour s'engouffrer sur ce créneau-là ?

Christophe Bouillaud : Il est mieux placé que les autres, dans la mesure où il apparaît comme un personnage nouveau. Le problème pour lui, c'est qu'il n'est pas le seul car, dans le fond, Nicolas Sarkozy est le seul à avoir un passé et un passif. Paradoxalement, c'est lui qui avait exploité en premier ce filon en utilisant une certaine vision de l'identité française pour refonder la droite. C'est quand même lui qui a fait le discours de Grenoble. Paradoxalement, c'est sûrement lui qui est le moins susceptible de bénéficier de cet élan-là. Son problème, c'est sa crédibilité : en ayant été président de la République, est-il encore crédible pour être radical ?

Tous les autres candidats, y compris Alain Juppé qui a été en première ligne mais dans des temps très anciens au regard du rythme contemporain de l'actualité, peuvent faire jouer la nouveauté. Même François Fillon, Premier ministre de Nicolas Sarkozy pendant cinq ans, peut jouer sur l'oubli des citoyens. Il était tellement dans l'ombre de Sarkozy... Quel est son apport à son quinquennat ? Très faible. Cela peut être retourné comme une force, en le faisant apparaître comme un homme nouveau.

En-dehors de Nicolas Sarkozy, tous les candidats n'ont pas de passé et pourront se redéfinir par rapport à une rupture et une radicalité nouvelle. Bruno Le Maire est très bien placé, mais François Fillon n'est pas mal non plus de ce point de vue-là. Paradoxalement pour Nicolas Sarkozy, sa méthode risque de triompher, mais pas lui.

Finalement, quel pourrait être "l'effet Trump" sur les échéances politiques françaises à venir (primaire de la droite et du centre, primaire de la gauche si elle a lieu, élection présidentielle) ?

André Bercoff : On observe aujourd'hui le spectacle assez effarant de la décomposition politique. A gauche, il suffit de regarder ce qu'il se passe au niveau de François Hollande, de Manuel Valls, de Martine Aubry, etc. A droite, ils sont déjà 15 ou 20 pour la primaire et nous voyons là aussi ce que cela donne. Paradoxalement, Donald Trump est en train de renverser complètement la table et la vaisselle au sein du parti républicain et d'en pulvériser les fondements. Il y a un certain nombre de problèmes où l'establishment n'est pas du tout d'accord avec Trump, en matière économique notamment. Quel rôle cela va-t-il jouer en Europe ? Je ne sais pas, mais il y a en tout cas quelque chose de commun à la France et l'Amérique : la décomposition incontestable du système. Les termitières des partis politiques sont en train de se fissurer assez rapidement. Sur ce point, la similarité entre les deux côtés de l'Atlantique est réelle.

Propos recueillis par Benjamin Jeanjean

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