Imprévisible
Trump, Kim Jong Un et les surprises des chefs : notre monde est-il de moins en moins prévisible... ou simplement de moins en moins compris par les experts occidentaux ?
Personne ne semblait avoir prévu cette possibilité : Donald Trump et Kim Jong-un ont décidé de se rencontrer. Preuve que la stratégie offensive de Trrump a peut-être fonctionné... et que les "experts" ont des difficultés à penser un avenir qui leur déplaît.
Edouard Husson
Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli.
Atlantico : Personne ne semblait avoir prévu cette possibilité : Donald Trump et Kim Jong-un ont accepté d'entamer des négociations de paix. Et ce, peut-être parce que personne n'envisageait que la stratégie offensive de Trump puisse fonctionner. Cette impression d'imprévisibilité n'est-elle pas d'une certaine façon liée à la difficulté qu'on les "experts" à penser un avenir qui leur déplaît ?
Edouard Husson : Vous avez plusieurs éléments à prendre en compte. Le premier, effectivement, c’est une tendance permanente à sous-estimer Trump. Un grand historien allemand, Karl-Dietrich Bracher, disait souvent à ses étudiants: « L’histoire du nazisme, c’est d’abord l’histoire de la manière dont on a sous-estimé le nazisme ». Je ne prétends pas assimiler Trump à un fasciste; je remarque juste que la gauche commet toujours la même erreur face à ses adversaires: elle décrète a priori leur bêtise. Elle n’imagine pas que l’on puisse être de droite et raisonner. Au fond, Hillary Clinton a chuté par excès de confiance en soi, par sous-estimation de son adversaire. Rappelez-vous ces commentaires, nombreux, qui expliquaient que Trump n’avait aucune stratégie de campagne ; jusqu’à ce qu’on découvre qu’il avait ciblé certains Etats systématiquement et abandonné la Californie, perdue d’avance, à Hillary Clinton. Depuis que Trump est élu, on ne cesse de nous expliquer qu’il va échouer, que le chaos règne à la Maison Blanche. Résultat: Trump s’installe ; et le fait que personne ne sache le combattre est un élement important de sa remontée dans les sondages.
On nous avait expliqué qu’il n’obtiendrait aucun résultat en Corée... Evidemment, nous ne savons pas tout. Peut-être que la Russie et la Chine ont joué un rôle important pour amener la Corée du Nord à la table de négociation. Mais l’important est de voir que peu nombreux sont ceux que leur détestation de Trump - une position politique tout à fait estimable - ne conduit pas à refuser de le comprendre. C’est un phénomène classique en sciences sociales: l’analyste devrait toujours commencer par faire l’inventaire de ses préjugés et de ses croyances mais il ne le fait que rarement.
N'y a-t-il pas un biais occidental consistant à considérer que l'Occident "l'emportera", ce qui viendrait troubler une vision objective des situations ? En quoi ce trop plein de confiance pourrait nous aveugler ?
Je crois surtout que nous assistons à la fin de l’ère libérale qui avait commencé dans les années 1960. L’individualisme exacerbé qui caractérise le dernier demi-siècle a conduit à un mélange d’agressivité et de faiblesse conjuguées. Il s’est agi, largement, de faire tomber les frontières, au besoin par la force. En même temps, une sorte de guerre civile culturelle permanente a conduit à être très intolérant envers tous ceux qui ne partagent pas la croyance dans le fait que l’hyperindividualisme serait la solution de toutes les questions éthiques, politiques, économiques et sociales. Cela conduit à faire l’éloge de régimes à l’opposé du libéralisme pourvu que l’on puisse dénoncer tous ceux qui en Occident ne sont pas entièrement ralliés à l’individualisme. Je n’ai pas compris ces dernières semaines comment on pouvait, par détestation de Trump, excuser à ce point Kim Jong Un. Le débat démocratique réclame une forte opposition à Trump. Mais cela ne veut pas dire être indulgent avec les ennemis de la liberté parce qu’on est dans l’opposition au président des Etats-Unis.
Quels risques prenons-nous en l'espèce ?
Le risque que nous prenons, c’est de comprendre de moins en moins le monde tel qu’il évolue. Et il évolue à grande vitesse, que cela nous plaise ou pas. Le grand défi va être de renouer avec la démocratie. Trump ne change rien au fait que la démocratie américaine est menacée de l’intérieur par le militarisme, et plus largement ce que certains appellent « Etat profond », un autre nom du complexe militaro-industriel - qui dispose aujourd’hui des immenses ressources techniques de la révolution numérique. En Amérique latine, la démocratie est fragilisée par la permanente ingérence des USA dans les fragiles équilibres sociaux. En Europe, la démocratie est vidée de son contenu par la technocratie supranationale. Et pendant ce temps la Chine connaît une phase que l’on pourrait qualifier de néo-totalitaire sans que personne ne s’en émeuve vraiment.
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