Travailler pour toucher le RSA : voilà pourquoi il s’agit d’une (très, très) fausse bonne idée <!-- --> | Atlantico.fr
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Sur cette photo de l'AFP, une personne effectue des démarches pour bénéficier du RSA.
Sur cette photo de l'AFP, une personne effectue des démarches pour bénéficier du RSA.
©FRANCOIS GUILLOT / AFP

Réformes

Les bénéficiaires du RSA devront désormais effectuer 15h d’activité par semaine. Emmanuel Macron a repris nombre de propositions de Valérie Pécresse, dont l’idée d’instaurer des contreparties au versement du RSA, qu’il s’agisse d’heures travaillées ou de véritables démarches actives d’insertion. Mais n’est-elle pas plutôt une énième usine à gaz technocratique, une parade pour éviter l’idée qui fait peur depuis la débâcle de Hamon en 2017 : instaurer un véritable revenu universel, simple, efficace, et surtout authentiquement libéral ?

Marc de Basquiat

Marc de Basquiat est consultant, formateur, essayiste et conférencier. Fondateur de StepLine, conseil en politiques publiques, il est chercheur associé du laboratoire ERUDITE. Il préside l’Association pour l’Instauration d’un Revenu d’Existence (AIRE) et intervient comme expert GenerationLibre. Il est diplômé de SUPELEC, d'ESCP Europe et docteur en économie de l'université d'Aix-Marseille. 

Son dernier ouvrage : L'ingénieur du revenu universel, éditions de L'Observatoire.

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Atlantico : La droite et le camp présidentiel ont trouvé ce jeudi 28 septembre 2023  un compromis à l'Assemblée nationale sur l'un des points les plus décriés du projet de loi "plein emploi", en s'accordant sur un minimum de 15 heures d'activités obligatoires pour les bénéficiaires du RSA, sauf exceptions.

Les bénéficiaires du RSA devront désormais effectuer 15h d’activité par semaine.

Les députés de la majorité présidentielle ont voté en faveur d'un amendement des députés LR, qui insistaient pour que ce minimum apparaisse dans la loi, comme l'avait voté le Sénat lors de son examen du texte en première lecture.

Ce mécanisme prévoit un minimum de 15 heures pour les bénéficiaires du RSA, tout en fixant des exceptions possibles pour les parents isolés sans solution de garde ou pour les personnes en situation de handicap.

Atlantico : Les programmes d’Emmanuel Macron et de Valérie Pécresse comportent un dispositif visant à mettre en place des contreparties au RSA. Le principe de ces mesures vous parait-il légitime ? L’Etat est-il capable d’apprécier le nombre de gens concernés, c’est-à-dire ceux qui se maintiennent volontairement en situation d’assistance ?

Marc de Basquiat : Lorsque le RMI a été créé, en 1988, on imaginait que chacun de ses quelques centaines de milliers de bénéficiaires y ferait un passage transitoire avant de retrouver un emploi salarié correspondant aux capacités développées grâce à des mesures efficaces d’accompagnement. Las ! On s’est rapidement habitués à décompter un puis deux millions de bénéficiaires du RMI puis du RSA, souvent définitivement installés dans la précarité. Personne ne s’en satisfait, évidemment, mais comment en sortir ?

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Deux approches moralisatrices opposées me paraissent autant à bannir : celle qui exonèrerait d’effort les bénéficiaires – ils n’ont pas eu de chance dans la vie – comme celle qui leur attribuerait l’entière responsabilité de leur situation. Je pense à une charmante vieille dame rencontrée il y a fort longtemps, qui s’énervait à voix haute de recevoir des sollicitations d’œuvres charitables diverses : « les aveugles n’ont qu’à voir ! ». Ces réactions caricaturales sont des comportements de fuite devant la complexité. Instinctivement, nous préférons le confort d’un monde partagé entre gentils et méchants.

Admettons donc que les situations individuelles sont compliquées et qu’elles conjuguent une part de pas-de-chance avec un soupçon de responsabilité individuelle, ne serait-ce que l’assiduité scolaire permettant d’être doté d’une employabilité suffisante ou le respect de quelques règles de vie en société.

Une partie des abonnés des minima sociaux s’y sont installés et ne cherchent plus à en sortir. Comprenons que si leurs efforts n’aboutissent jamais à rien, le découragement les envahit. Ceci justifie un dispositif expérimental tel que TZCLD (Territoires zéro chômeur de longue durée) : détecter ces cas individuels et leur proposer un emploi payé au Smic, sans condition de performance laborieuse, pour réinstaller les personnes dans le circuit économique « normal ».

Ce qu’évoque Emmanuel Macron ou Valérie Pécresse est très différent. Il s’agit d’instaurer « une obligation de 15 à 20 heures d’activité par semaine » pour tout bénéficiaire du RSA. La définition de cette activité est vague, « permettant d’aller vers l’insertion ». Ce schéma vise le profiteur de la société fuyant sa responsabilité de recherche d’un travail, qu’il s’agit de remettre en mouvement pour justifier la solidarité collective à son égard. Mais en souhaitant traquer le « mauvais pauvre », qui se dissimule parmi les « bons pauvres » réellement incapables de se réinsérer, on généralise une règle dure dont on sait pertinemment qu’elle connaîtra de nombreuses exceptions qu’il s’agira de détecter.

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Au-delà du principe de ces heures travaillées et/ou consacrées à des démarches d’insertion en contrepartie du RSA, l’Etat et les organismes en charge de la distribution du RSA comme de l’insertion sur le marché du travail sont-ils armés pour le faire ? En ont-ils la compétence comme les moyens ?

Rien n’est dit sur les institutions qui seraient chargées d’identifier et organiser ces presque deux millions d’activités à temps partiel, mais on voit mal comment un gestionnaire pourrait dynamiser, alimenter en activité éligible et contrôler plus de 20 ou 30 « bénéficiaires RSA en activité d’insertion ». Il s’agirait donc de créer environ 60.000 postes, soit un budget de l’ordre de deux milliards d’euros. Avons-nous vraiment envie de dépenser cela pour multiplier les activités-alibis d’un à deux million de personnes ?

Quel employeur a envie d’accueillir dans son entreprise des personnes soumises à cette forme de « travail forcé » ? Celles-ci se retrouveraient inévitablement réparties dans divers services publics, sans mission autonome. Peut-on parier sur une amélioration globale de leurs performances ?

Osons comparer cela avec l’apprentissage. Dans ce cas, le jeune est motivé par la voie professionnelle qu’il a choisie ; il est formé et suivi par son école, rémunéré par une entreprise qui espère intégrer à l’issue de la période d’alternance un jeune compétent et reconnaissant envers les ainés qui lui ont partagé leurs savoirs. Pouvons-nous imaginer que la même magie opère en forçant les personnes les plus fragiles de notre société à venir s’asseoir 15 heures par semaine dans le bureau d’une administration, sans mission claire et sans perspective d’intégration ?

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Cette « idée / signal électoral » de campagne vous paraît-elle relever d’un volonté politique réformatrice saine ou de la énième expression du mal technocratique français ?

En réalité, cette idée n’est aucunement destinée à se concrétiser dans un système opérationnel. Pour Valérie Pécresse qui l’a lancée pour la première fois lors de son discours au Zénith le 13 février, le seul enjeu est de rassurer les électeurs de droite sur son attachement à la « valeur travail », en opposition aux renoncements coupables des irresponsables de gauche qui « crament la caisse ». Pour Emmanuel Macron, dont le seul risque électoral est la confrontation au deuxième tour avec Valérie Pécresse qu’il ne pourra pas ridiculiser comme Marine Le Pen en 2017, il s’agit de capter le maximum de voix de centre-droit pour assécher son adversaire.

Cessons de lire naïvement dans les déclarations des candidats des orientations réelles, basées sur des valeurs profondes assumées… Nous assistons simplement à des joutes tactiques dont le suffrage des électeurs est le seul enjeu.

Lorsqu’il s’agit de réformer « pour de vrai » le système social français, il est plus intéressant de scruter les travaux de fond des administrations. En l’occurrence, un travail colossal a été mené pour le projet RUA (Revenu universel d’activité) depuis son annonce par le président Macron en septembre 2018. Sous la direction du très rigoureux Fabrice Lenglart, actuel directeur de la DRESS, il a été envisagé de regrouper le RSA, la Prime d’activité et les aides au logement. Le 5 janvier, il déclarait devant les sénateurs : « nous pensions initialement à un socle commun, assorti de suppléments selon les situations. Nous pensons aujourd'hui que nous conserverions trois prestations, le RSA, les allocations logement et la prime d'activité, mais avec des bases de ressources harmonisées ».

C’est ainsi que l’affichage politique initial d’une fusion est rendu caduc, trois ans plus tard, par l’épouvantable complexité des dispositifs. L’objectif politique du projet est alors reformulé de façon très différente par les experts : « Les 15 prestations de solidarité sont octroyées en fonction de 15 bases ressources, ce qui est une source fondamentale d'illisibilité. De même qu'il existe un revenu fiscal de référence en France, il faut créer un revenu social de référence en harmonisant les bases ressources. La réforme du revenu universel d'activité n'aura pas pour objet de fondre l'ensemble des prestations ; il restera l'équivalent du RSA, de la prime d'activité, du minimum vieillesse et de l'AAH, ainsi que des aides au logement identifiées, mais les barèmes seront conçus de façon cohérente les uns avec les autres ».

Il est impossible pour un candidat à la présidentielle d’expliquer pendant sa campagne ne serait-ce que le centième du millième de l’épouvantable usine à gaz de nos systèmes sociaux. Ceci induit une déconnexion totale entre leurs discours simplistes et la réalité des réformes très techniques qui se trament dans l’ombre, grâce à la bonne volonté de quelques experts qui y comprennent un peu quelque chose. Le 5 janvier, Fabrice Lenglart a expliqué au sénateurs qui a travaillé avec lui pendant deux ans sur le projet RUA : « se trouvaient autour de la table 24 directions d'administration centrale de 12 ministères, toutes les caisses de sécurité sociale, Pôle emploi et le CNOUS ».

Pendant que la démocratie en campagne présidentielle se distrait à coups de slogans et petites phrases, la technocratie souffre.

En quoi un véritable revenu universel d’inspiration libérale (couplé à un impôt universel donc) pourrait-il être une solution bien plus efficace pour qui aurait le courage de l’imposer à la technostructure ?

Dans la quatrième partie de L’ingénieur du revenu universel, j’explique la difficulté pour la technostructure d’accepter qu’un revenu universel mensuel de 500 euros par adulte, financé par un prélèvement de 30% des revenus imposables, aurait un effet redistributif très proche de la combinaison de l’actuel impôt sur le revenu, du RSA et de la Prime d’activité. C’est trop simple ! Comment pourraient-ils admettre que les dizaines de milliers de règles compliquée et obscures actuelles ont une utilité très relative ?

Ce blocage est humain. Parmi les experts des ministères et administrations à qui j’ai expliqué ma proposition, plusieurs l’ont compris et validée, mais comment se lancer dans un projet de simplification aussi massif sans une impulsion politique très déterminée ? Et du côté politique, beaucoup d’élus ont compris notre proposition de revenu universel et la soutiennent, mais comment avancer sur un projet inconnu des citoyens ?

Un collectif associatif lance une nouvelle pétition pour faire connaître la proposition d’un revenu universel combiné à un impôt universel. Espérons que ce sujet émergera pendant la campagne des législatives.

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