Traquer fake news et sites dits litigieux : un sport beaucoup moins vertueux qu’il n’y paraît<!-- --> | Atlantico.fr
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La lutte contre les fake news est difficile.
La lutte contre les fake news est difficile.
©WILLIAM WEST / AFP

Equilibriste

Les fausses informations se répandent comme une traînée de poudre grâce à l'avènement des réseaux sociaux. Mais la lutte contre cette désinformation peut conduire les entreprises à censurer des propos qui ne leur conviennent simplement pas.

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe, docteur d’État, hdr., est directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, derniers livres : « L’art de la guerre idéologique » (le Cerf 2021) et  « Fake news Manip, infox et infodémie en 2021 » (VA éditeurs 2020).

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Atlantico : Selon un rapport de NewsGuard dévoilé en exclusivité par Le_Figaro, des marques financent, malgré elles, la désinformation et versent 2,6 milliards de dollars chaque année à des sites litigieux. Mais est-il si facile de déterminer ce qu’est une fausse information ou un site litigieux ?

François-Bernard Huyghe : Déjà il faut s’entendre sur la définition des mots. « Fake news » est devenu à la mode aux alentours de 2016. Fake ne veut pas dire « faux », mais « fabriqué ». Est faux ce qui n’est pas véridique, quand les mots ne reflètent pas la chose. « Fabriqué » induit une intention de tromper. Le mot « fake news » est très répandu sous Trump. Il accuse ses adversaires qui font de même. CNN passait ses journées à compter les fake news du président. La « fake news » a trois sens. C’est d’une part raconter un évènement qui ne s’est pas produit ou nier qu’un évènement se soit produit. Cela peut aussi être, au sens étendu, des informations très douteuses, qui sont répandues délibérément par des gens qui ont un intérêt. Ici il faudrait plutôt parler d’informations inauthentiques. Des tas de sites se présentent comme des sites d’information pour répandre une information qui servira leurs intérêts. Le troisième sens du mot « fake news » serait : contraire à une vérité de raison, irrationnel. Par exemple dire : « les sorcières peuvent voler ». Je n’en ai pas de preuve mais la raison me le dicte. La chasse au « fake news » est devenue un leitmotiv libéral depuis quelques années pour discréditer les partisans de Trump, Bolsonaro ou Marine Le Pen et autres populistes. Avec la pandémie, il y a eu de très grosses vagues. C’est ce qu’on a appelé « l’infodémie ». Notre période est submergée par le thème des fakes news. D’autant que les technologies numériques permettent de répandre de l’information très orientée. On peut par exemple truquer les avis de consommateurs.

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Dans l’infodémie, il faut faire du tri. La machine à fausses informations s’est enclenchée, comme souvent pendant les pandémies, et avec les réseaux sociaux il est plus facile de les diffuser. Parmi celles-ci, il y a des infos qui sont vraies ou fausses. Mais il y a aussi des informations qui ont été données « officiellement » comme vraies et qui se sont révélées fausses - ou l’inverse. On a vu les membres du gouvernement successivement dire que le masque est inutile puis qu'il est essentiel, etc. En dehors des soupçons qu’on pourrait avoir envers le gouvernement, on voit qu’une information vraisemblable peut devenir complètement différente au moment suivant. En science, on fait une hypothèse et on attend que des pairs la réfutent, ça fait partie du processus. C’est vrai qu’on entend des choses très contradictoires, par exemple sur les médicaments pour lutter contre les symptômes du Covid. Les citoyens vont suivre l’avis d’un comité scientifique qui a suivi des protocoles à un moment X. Mais il y a une forte incertitude qui peut demeurer.

On peut aussi se souvenir que pendant un temps, les gens qui disaient que le virus s’était échappé du laboratoire de Wuhan étaient traités de complotistes, de trumpistes, etc. La thèse vraisemblable était celle de la zoonose, un animal qui l’a transmis à l’homme. Aujourd’hui, c’est plutôt l’inverse. Biden a demandé à ses services de renseignements d’investiguer sur la piste de la fuite de laboratoire. Très probablement, nous n’aurons jamais de preuve absolue. On peut aussi choisir la vérité qui nous arrange un peu idéologiquement.

Où sommes-nous donc le plus perdants : quand des vraies fake news sont diffusées -car incontestablement, elles existent et ont un impact- ou quand des idées qui déplaisent à la doxa néo-progressiste sont de facto censurées au nom de la fiabilité de l’information ?

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Il y a énormément de dispositifs pour contrer les « fake news « : des lois, des ONG, de nombreux médias qui ont un service de fact-checking. Et surtout on rentre dans un stade où ce sont les GAFAM qui commencent à retirer les « fake news ». Les dangers sont évidents : glisser de fake news à opinion non orthodoxes. Mais élargir les fake news à des probabilités, des jugements politiques ou de valeurs, cela pose problème. Il faudrait que cette catégorie soit réduite à des jugements de faits. Il y a toujours le risque de glisser vers la dénonciation des opinions, des théories, des critiques ou des espérances. Et il y a un risque de contre productivité. Si on interdit, le public a d’autres moyens de s’informer que les médias classiques mainstream et va avoir tendance à se dire que si on essaie d’empêcher une opinion de se diffuser c’est qu’elle doit déranger et donc être véridique. A mon sens, il est plus productif de démonter une fake news que de traiter les gens d’imbéciles ou de les empêcher d’accéder à certains contenus. Cela offre plus de chance que le processus soit gratifiant. Mais ça demande du travail et il est plus simple de confier ça à un algorithme.

Est-il sain de déléguer nos filtres à des entreprises privées qui ont elles-mêmes des intérêts et des biais économiques comme idéologiques ?

Le premier danger est qu’elles peuvent le faire en fonction de leurs intérêts financiers ou de leurs croyances. Les cadres des GAFAM sont plutôt démocrates, favorables à une société ouverte, etc. Il y a donc un problème politique et idéologique. Mais il y a même un problème moral : quelques personnes dans la Silicon Valley vont décider de ce qui atteint mon cerveau ou non. Mais ce ne sont pas des élus.

Que peut-on faire face à cela ?

Il faut éduquer l’esprit critique, lire, etc. Internet fournit des méthodes pour repérer les fausses informations. Mais si on avait des citoyens avec plus d’esprit critique, ça ferait du bien à la démocratie. Il y a un devoir d’éducation civique. La démocratie ne peut fonctionner que, comme disait Clémenceau, si on est d’accord sur le fait que pendant la Première guerre mondiale, c’est l’Allemagne qui a attaqué la Belgique. Il faut accompagner les enfants à l’école, former les citoyens, etc. Il faut aussi arrêter de considérer que ceux qui ne pensent pas comme nous sont systématiquement des crétins.

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