Trafics de titres de séjour : Kofi Yamgnane livre en exclusivité sa vision des faits<!-- --> | Atlantico.fr
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L'ancien ministre Kofi Yamgane
L'ancien ministre Kofi Yamgane
©jyc1 on Flickr

Kofi le naïf ?

L’ancien secrétaire d’Etat à l’Intégration d’Edith Cresson et de Pierre Bérégovoy a été mis en examen dans une sombre histoire de délivrance de titres de séjour. Pour fruit de son intervention auprès des autorités, il aurait perçu 3 000 euros. Ce qu’il dément catégoriquement. Pour la première fois depuis sa convocation par les juges, il livre en exclusivité pour Atlantico, sa version des faits.

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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  • Cette affaire de délivrance de titres de séjour démarre à l’automne 2014 avec la mise  en examen de Christophe Rocancourt, alias "l’escroc des stars", de l’ex-patron du GIGN, Christian Prouteau, de l’avocat Marcel Ceccaldi  et Kofi Yamgnane.
  • L’ancien secrétaire d’Etat laisse clairement entendre qu’il s’est fait piégé  et précise qu’il ne connait qu’un seul des protagonistes de cette histoire rocambolesque, à savoir Me Ceccaldi
  • Me Charrière-Bournazel, l’avocat de Kofi Yamgnane, dans une lettre adressée le 23 février dernier aux  deux juges d’instruction demande un non-lieu pour son client.

Kofi Yamgnane est un Monsieur fort sympathique. Un tantinet naïf. Tellement qu’il se serait fait avoir comme un petit garçon dans une sombre histoire de délivrance de papiers. Résultat : Kofi, qui fut jadis secrétaire d’Etat à l’Intégration d’Edith Cresson et de Pierre se retrouve mis en examen pour trafic d’influence dans une  affaire où apparaissent aussi l’escroc des stars, Christophe Rocancourt, sa compagne, un notaire du Val d’Oise, Christian Prouteau, l’ex-chef de la cellule de l’ Elysée sous François Mitterrand et Me Marcel Ceccaldi… L’avocat par lequel Kofi Yamgnane, c’est ce qu’il nous affirmé au cours d’un entretien exclusif, se retrouve à devoir rendre des comptes à la justice. Quant aux autres protagonistes, l’ancien ministre se montre formel : il ne les connait pas. Il ne les a jamais vus. (voir Atlantico du 18 octobre 2014) Voici donc les explications que nous a fournies l’ancien ministre sur cette histoire passablement alambiquée.

Juin 2012. François Hollande a été élu président de la République quelques semaines plus tôt. C’est la rentrée de l’Assemblée nationale renouvelée. Le jour même, Kofi Yamgnane, sans qu’il ne se souvienne avec précision du lieu et par l’intermédiaire de qui, rencontre Me Marcel Ceccaldi, un avocat qui s’affiche comme un bon connaisseur de l’Afrique. Il sait que Yamgnane, qui a la double nationalité-togolaise et française- souhaite être candidat à la présidence de la République du Togo en avril 2015. "De combien avez-vous besoin" interroge Me Ceccaldi. "800 000 euros" répond l’homme politique. "Pas assez, renchérit  le bienfaiteur. Je suis prêt à vous trouver 2 à 3 millions d’euros".  Galopent les semaines. Plus de nouvelles de Me Ceccaldi… Quand l’ancien ministre reçoit un coup de fil : "Bonjour, M. le Ministre. J’ai un service à vous demander. Ma femme est d’origine étrangère. Elle a un frère qui vit en France depuis de nombreuses années et souhaite obtenir la nationalité française. Pourriez-vous m’obtenir un rendez-vous avec le préfet des Hauts-de-Seine pour qu’il examine le dossier ?"  Bon prince, Kofi accepte et obtient un rendez-vous avec le préfet. Quelque temps après, coup de fil de la secrétaire du Préfet : "M. le Ministre, que s’est-il passé ? Me Ceccaldi n’est jamais venu au rendez-vous …"  Furieux, Kofi Yamgnane envoie un mail à l’avocat : "Ne me refaites plus jamais cela." Cette fois, c’est terminé. Les relations entre les deux hommes sont définitivement rompues. Eh bien, non. Fin 2012, Me Ceccaldi relance l’ancien ministre : "Je vous dérange à nouveau pour un autre service. Je connais une jeune fille marocaine de belle extraction,(sic) dont le mari se trouve en prison, qui a besoin d’aller voir son père au Maroc. Mais elle veut être sûre de pouvoir revenir du Maroc et entrer sur le territoire français"… Demande bizarre, puisque normalement quand une personne peut quitter le territoire français, elle ne doit avoir aucune difficulté pour retourner dans l’hexagone. Aussi gentil que coopératif, on pourrait presque dire bonne poire, Kofi Yamgnane envoie un mot au préfet de police Bernard Boucault afin qu’il jette un œil sur le dossier de cette jeune marocaine. La réponse ne tarde pas. Elle émane de Magali Charbonneau, la chef de cabinet du préfet de police :" J’ai bien reçu votre demande, M. le Ministre. Mais ce qui est curieux, c’est qu’on ne trouve pas la moindre trace de cette jeune femme. Transmettez-moi son numéro de dossier"… A la préfecture de Police, on cherche. Désespérément rien.

Sauf que le mari de la jeune dame est incarcéré pour trafic de stupéfiants. Et que la dite dame a fait l’objet, en avril 2014, d’une OQTF. En clair : Obligation de quitter le territoire français. Or, elle aurait versé, apprendra-t-on plus tard, 6 000 euros à Me Ceccaldi pour rémunération d’un service qui a capoté. Ce qui expliquerait le zèle qu’aurait développé l’avocat auprès de Kofi Yamgnane pour  justifier la rémunération de 6 000 euros ! Inutile de le dire, quand ce dernier apprend que le mari de la jeune femme se trouve impliqué dans une sale histoire de trafic de drogue, bref qu’il a été berné, il stoppe tout contact avec Me Ceccaldi et rentre à Lomé. Il reste un mois avant de reprendre le chemin de Paris pour y dédicacer son livre "Afrique : introuvable démocratie".

C’est ainsi que le 29 janvier 2014, il se rend à une séance de dédicace organisé dans un salon privé situé dans le XVI ème arrondissement de Paris. Assis à une table, Kofi Yamgnane commence le rituel des signatures, quand arrive un homme accompagné d’une jeune femme, identifiée comme Mlle K..  L’homme n’est autre que Marcel Ceccaldi. L’ancien ministre est abasourdi. Aimable, l’avocat le salue et lui remet – à moins que ce ne soit la dame, il ne s’en souvient plus très bien- une enveloppe. "Une contribution à votre campagne présidentielle" lance l’avocat. Kofi prend l’enveloppe et la met dans sa poche sans l’ouvrir. Ce n’est que 48 heures plus tard, que l’ouvrant, il s’aperçoit qu’elle contient 3 000 euros. Le tout en coupures de 200 euros. L’ancien ministre est piégé. Quelque temps après, une information judiciaire, dans laquelle apparaissent d’autres personnages, est ouverte. Kofi Yamgnane nous l’a répété haut et fort : "je ne connais personne d’autre dans cette histoire que Me Ceccaldi. Je me suis fait avoir." Et d’ajouter : "Si j’avais pu penser un seul instant que ces 3 000 euros constituaient la rémunération d’un service, il est bien évident que je les aurais refusés." Il poursuit, visiblement abattu : "Cette affaire m’a profondément meurtri. Je n’ai jamais touché un centime de ma vie dans le cadre d’interventions au demeurant légales." Ce qu’a martelé son avocat, Me Christian Charrière-Bournazel, ancien bâtonnier de Paris, dans une lettre récemment adressée aux juges Charlotte Bilger et Roger Le Loire.  "Le fait pour un ancien élu, de surcroît ancien ministre, d’écrire à des fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions, souligne Me Charrière-Bournazel, n’a rien à voir avec un trafic d’influence. Le trafic d’influence suppose que l’on utilise l’aura dont on peut disposer pour obtenir ce qui n’est pas dû ou qui aurai été refusé en respectant les règles légales et administratives qui s’imposent à tous. Rien à voir avec les faits imputés à M. Kofi Yamgnane." Aussi, est sans surprise, que Me Charrière-Bournazel sollicite un non-lieu pour son client. Laissant entendre implicitement que la naïveté n’a rien à voir avec le Code pénal. L’argument convaincra-t-il les juges ? 

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