Touché par la crise sanitaire et confronté à la fronde de ses actionnaires, Total doit urgemment faire la pédagogie de sa stratégie<!-- --> | Atlantico.fr
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Le PDG de Total, Patrick Pouyanné, s'exprime lors d'une conférence de presse à l'aéroport de Roissy le 18 mai 2021 avant le décollage du premier avion long-courrier à réaction d'Air France alimenté au carburant durable d'aviation.
Le PDG de Total, Patrick Pouyanné, s'exprime lors d'une conférence de presse à l'aéroport de Roissy le 18 mai 2021 avant le décollage du premier avion long-courrier à réaction d'Air France alimenté au carburant durable d'aviation.
©Eric PIERMONT / AFP

Atlantico Business

Total : un cas d’école en communication. Patrick Pouyanné, le PDG, va risquer d’en faire l’expérience demain, lors de l’assemblée générale des actionnaires. Des actionnaires qui veulent à la fois des rendements et une activité plus verte que verte. Compliqué!

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Pour calmer des actionnaires de plus en plus turbulents, le président de Total va confirmer le changement de nom, qui marque la volonté de s’éloigner du cœur très pétrolier de ce qui a fait sa fortune, pour prouver son intérêt à soccuper de toutes les autres énergies et notamment les plus vertes.

Total le pétrolier s’appellera désormais Total Énergies. Au pluriel, SVP ! Tout un programme…Mais il y a fort à parier que ça ne suffira pas à satisfaire un éco-système qui nest pas à une contradiction près. 

La vie quotidienne du président de Total est donc de plus en plus compliquée. Tout se passe comme si, depuis quelques mois, tous les éléments de la stratégie empruntée par Total était sujette à critiques. Critiques plus ou moins larvées, mais critiques qui obligent lexécutif du groupe à examiner à la loupe ce quil fait et surtout ce qu’il envisage de faire dans l’avenir.

Pendant des années, le groupe Total a été une des plus belles et des plus puissantes multinationales françaises. Belle et intouchable. Et depuis plus de dix ans, Total avait initié un changement stratégique vers les énergies vertes pour anticiper le recul des énergie fossiles et lengouement légitime pour les énergies alternatives, avec pour objectif de devenir dans le futur, le premier fournisseur d’énergie naturelle et notamment éolienne.

Seulement voilà, depuis la disparition du président Christophe de Margerie, mort dans des conditions étranges lors dun accident davion à Moscou, tout se passe comme si la visibilité de Total était en mal de clarté.

Affaire de réalité dune stratégie industrielle prudente ou dune communication mal perçue ou alors activisme de quelques fonds dactionnaires qui profitent de la situation actuelle pour renforcer leur influence.

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Le président de Total est donc désormais obligé de se justifier sur tous les fronts.

1er front : les résultats. Total, qui avait la réputation et l’habitude de générer des résultats annuels plantureux, liés dailleurs à limportance du pétrole et de son prix, sest retrouvée en 2020 confrontée aux effets de la crise pandémique.  Double peine. Le groupe a perdu 7,2 milliards deuros en 2020 alors qu’il avait dégagé 11,2 milliards de profits en 2019.

Le covid 19, les cours pétroliers et les dépréciations d’actifs ont raboté toutes les ventes et les profits. L’année 2020 a dû supporter un écroulement de la demande et une baisse du prix du pétrole. Sans parler d’une dépréciation importante des actifs au Canada où on ne croit plus à l’avenir des sables bitumineux.

Les analystes ont très bien compris le problème, mais ils savent que faute de résultats, Total aura du mal à maintenir ses efforts d’investissement tout en rémunérant correctement les actionnaires. Et un actionnaire qui voit ses revenus baisser finit par grogner, quoi qu’on lui explique.

2e front  : la situation internationale et les rapports avec les pays à risque. Il est évident que Total est désormais attendu sur sa stratégie dans les pays émergents où la situation politique ne correspond pas forcément à ce dont rêvent les démocraties occidentales. C’est le cas en Afrique et notamment au Mozambique, ça peut être le cas en Russie, c’est surtout le cas aujourd’hui en Birmanie. Total se retrouve piégé entre ses engagements contractuels et une situation politique qui ne respecte pas le minimum des codes de bonne conduite internationale. Dans le collimateur des observateurs, on trouve le gisement gazier de Yadana en mer d’Andaman, dans les eaux birmanes, gisement très riche exploité par Total et Chevron. Depuis le 1er février de cette année, jour du coup d’état militaire du général Min Aung Hlaing, les deux groupes pétroliers sont accusés de remplir les coffres de la junte militaire et de financer les massacres par certaines ONG qui dénoncent les groupes pétroliers en leur demandant de verser les redevances à des organisations qui viennent en aide à la population.

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L’an passé, Total a versé près de 176 millions de dollars au ministère des Finances, lequel est passe depuis aux mains de la junte militaire.

Pour Total et les autres compagnies pétrolières, la situation devient de plus en plus difficile à tenir. Sauf que de tels gisement contribuent aussi aux résultats du groupe, donc aux actionnaires.

Patrick Pouyanné répétera sans doute que pour les dirigeants de Total, « la répression est révoltante », mais quoi faire quand il rappelle que le groupe alimente en électricité près de la moitié de la population de Rangoon et une grande partie de la Thaïlande. Couper les vivres à la junte militaire, c’est fermer l’approvisionnement d’une population qui vit déjà en dessous du seuil de pauvreté.

Si Total refuse de payer la contribution au budget de l’Etat birman qui avait été négociée avec le gouvernement précédent, les militaires au pouvoir risquent fort de faire fermer les exploitations, ce qui priverait les populations d’électricité. Tout se passe comme si les producteurs d’énergie étaient pris en otage. Cette position est tristement banale.

Mais là encore, les fonds d’investissement internationaux ne se préoccupent pas trop des situations politiques, ils attendent des résultats en espérant ne pas trop savoir d’où vient l’argent. 

3e front : la mutation énergétique est au centre des débats au plus haut sommet des groupes pétroliers. Depuis plus de dix ans, les économistes se frottent aux écologistes pour débattre du jour où le pétrole viendra à manquer, et surtout du jour où le réchauffement climatique ne pourra plus être freiné. Le débat est sans fin, sauf que les opinions publiques, les consommateurs, les actionnaires et les salariés se préoccupent de l’évolution vers une économie plus verte. Et beaucoup de fonds d’investissement ont compris qu’ils avaient là un levier de pouvoir et d’influence pour, d’un côté, recruter des épargnants et de l’autre, peser sur les conseils d’administration.

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Donc que ce soit chez Unilever, Procter, Danone mais plus encore chez Shell ou Total, les résolutions climatiques proposées par les sociétés réunissent en général l’unanimité des actionnaires. Chez Vinci, la résolution climat a été reçue par 98% des actionnaires. Les autres sont votées avec des scores phénoménaux situés entre 90 et 95 % des votants.

Ces résolutions s’appellent  « le Say for climate». Et les actionnaires qui votent ainsi peuvent remercier Greta Thunberg qui a beaucoup fait pour pousser l’idée.

Ceci dit, le résultat n’est en général pas à la hauteur de ce qu’espéraient les dirigeants de fonds d’investissements. Ils voulaient, à la demande leurs mandants, engager des discussions avec les dirigeants d’entreprise. Le résultat est allé au-delà de ce qu’ils prévoyaient. Les chefs d’entreprise ont souvent proposé des résolutions qui ont été plébiscitées. Mais une fois que les résolutions climat ont votées, les fonds d’investissement ne peuvent pas en rajouter, et surtout ne peuvent plus critiquer l’entreprise.

Conséquence : les fonds d’investissement veulent garder leur pouvoir de débattre et de discuter. Par conséquent, ils ne souhaitent pas être obligés de voter une résolution.

Les grandes compagnies internationales sont très gênées par cette guérilla interne des fonds. Sous la pression des marchés, elles ont mis en place des options stratégiques mais ils ne tiennent pas trop à les soumettre au vote sinon elles risquent de se retrouver avec des résolutions qui pourraient perturber leur équilibre. Les orientations climat sont évidemment nécessaires, à condition d’en garder le contrôle et de rester cohérent avec les options financières.

Demain, Patrick Pouyanné va se retrouver face à 34 investisseurs de la coalition internationale, qui ont demandé au groupe pétrolier d’aller plus loin pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Mais paradoxalement, ils ne voteront pas tous contre la stratégie climatique de Total. Ce qui laisse une marge de liberté au président. Patrick Pouyanné va évidemment confirmer les choix de réorientation vers les énergies renouvelables mais à son rythme, lequel doit en faire le numéro un de l’énergie naturelle.

Et pour bien marquer cette évolution, il va proposer un changement de nom. Le groupe Pétrolier Total sera rebaptisé Total Énergies, avec Énergies au pluriel, bien sûr.  

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