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Theresa May, la femme qui avait le mieux compris le défi politique du Brexit tout en se révélant incapable de le traduire en actes
©DANIEL LEAL-OLIVAS / AFP

Occasion manquée

La Première Ministre britannique avait toutes les cartes en mains pour sortir son pays de l'UE, mais elle a échoué faute d'avoir fait les bons choix de négociation.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Ce vendredi, la Première ministre Theresa May devrait être sous pression et on parle déjà de l'annonce d'une démission. Si son mandat risque d'être rattaché à l'échec des négociations en vue d'une sortie de l'Union européenne, faut-il pour autant remettre en cause son mandat ? N'a-t-elle pas particulièrement bien saisi le défi politique que représentait le Brexit pour son pays ?

Edouard Husson : Theresa May est loin d’être la seule mais elle est la première responsable de l’impasse dans laquelle se trouve son gouvernement. Elle avait pourtant toutes les cartes en main.  Sur le papier, elle était capable de rassembler les Remainers et les Leavers de son parti: elle avait voté contre le Brexit mais était acceptable pour les Brexiteers. Ses premiers discours correspondaient bien à l’état d’esprit du Parlement: même les députés ayant voté Remain, majoritaires, étaient prêts à respecter le vote du peuple. Madame May prononçait le discours de Lancaster, début 2017, avec sa fameuse formule «Brexit means Brexit ». En fait, le Premier ministre a commis une erreur stratégique: elle aurait dû demander la dissolution du parlement juste après son arrivée à Downing Street. A ce moment là, elle aurait eu une majorité claire. Et pu faire passer un accord de retrait de l’Union Européenne. La machine s’est déréglée avec sa majorité relative, qui l’a rendue dépendante du DUP nord-irlandais. Le plus étonnant, c’est que le Premier ministre ait accepté alors la grosse ficelle de l’Union Européenne consistant à agiter la question de la frontière irlandaise. Elle aurait dû rompre les négociations à ce moment-là, si elle ne l’avait pas fait plus tôt. Donald Trump lui a conseillé une méthode de négociation beaucoup plus dure mais elle n’a pas suivi le conseil.

Si on lui a mis nombre de bâtons dans les roues, quelle est la part de responsabilité de la Première ministre Theresa May ?

Theresa May n’est pas la seule à s’être effondrée, politiquement et moralement. Jeremy Corbyn a été aussi lamentable, finalement, que Madame May. On sait qu’il a voté pour le Brexit mais il a finalement fait la politique des Remainers de son parti. Il aurait pu faire obstruction à Madame May, pour le meilleur: en prenant la défense du peuple et en la forçant à faire aboutir le Brexit. Après tout, le Labour aurait vocation à rassembler les « Somewheres », ces électeurs sédentaires perdants de la mondialisation, pour reprendre la terminologie de David Goodhart ( qui les oppose aux « Anywheres », les nomades, gagnants de la mondialisation). Mais non, Jeremy Corbyn, qui a tweeté aujourd’hui sur la nécessité de faire barrage à l’extrême droite (entendez le Brexit Party), montre qu’il n’est pas du tout à la hauteur des événements. Il devient le symbole d’un blairisme gauchiste.

Il reste que Jeremy Corbyn n’était que le chef de l’opposition. Theresa May pouvait être porteuse d’un accord modéré, trouvant les moyens d’une entente avec l’UE mais intraitable sur la souveraineté britannique. Et surtout, il fallait résister aux pressions de l’UE. C’est largement parce que Theresa May a été très mauvaise dans la négociation avec Bruxelles qu’elle a amené le parlement à se déchirer - les négociateurs de Bruxelles ayant beau jeu de dire à un Premier ministre qui acceptait tout de leur part: eh bien, débrouillez-vous !

On annonce Boris Johnson comme successeur. Ce dernier, malgré un positionnement plus marqué en faveur du Brexit ne risque-t-il pas de se trouver dans la même impasse que Theresa May ?

Boris Johnson n’est pas quelqu’un de très constant. C’est surtout une grande gueule. Mais son accession à Downing Street est infiniment préférable à celle de Jeremy Corbyn. Et puis, on peut imaginer qu’il réveille le sens tactique du Maire de Londres qu’il a été entre 2008 et 2016. Deux éléments vont jouer en faveur du prochain Premier ministre britannique, quel qu’il soit, pourvu qu’il ait le courage de mettre en oeuvre le Brexit: tout d’abord, l’opinion britannique en faveur d’un Brexit rapide, au besoin dans le cadre de l’OMC, gagne du terrain. Ensuite, l’Union Européenne va ressortir groggy des élections européennes, qui vont faire entrer à Bruxelles bien des amis des Brexiteers. L’UE va devoir bouger (question du backstop irlandais) et Boris Johnson ou un autre bon négociateur pourront en profiter.

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