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Terra Nova : le think tank 
qui veut rompre avec les démons gauchistes du PS
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Bienvenue chez les sociaux-démocrates

Terra Nova a organisé ce week-end deux débats avec Ségolène Royal et Arnaud Montebourg. A l'origine de la création de la primaire au PS, ce think-tank s'impose comme la boîte idéologique de la tendance sociale-démocrate du parti.

Sélim Allili

Sélim Allili

Sélim Allili est Président de l’Observatoire français des think tanks (OFTT)

L'OFTT est à l’initiative des trophées des think tanks organisés pour la première fois en France  en juin 2011

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Atlantico : Terra Nova a organisé ce week-end deux débats avec Ségolène Royal et Arnaud Montebourg. Pouvez-vous nous expliquer précisément ce qu’est ce think tank ?

Selim Allili : Terra Nova est un think tank de gauche. Il a été créé au sortir de l’élection présidentielle 2007 avec comme constat de départ le fait que le "logiciel" de la gauche était à refaire quasiment entièrement.

Toute la mouvance social-démocrate, a souhaité mettre en place ce think tank qui peut être analysé comme le prolongement logique du mouvement A gauche en Europe, une émanation des courants strausskahnien et rocardien, qui existait précédemment. Terra Nova a ainsi été lancé en grande pompe avec Dominique Strauss-Kahn et Michel Rocard à Sciences Po Paris.

Le Président de Terra Nova est Olivier Ferrand, un énarque, la cheville ouvrière qui agrège et personnifie ce think tank. De ce point de vue-là il réussit médiatiquement à imposer le discours de Terra Nova dans différents médias. Ce n’était pas couru d’avance. Il s’inscrit clairement dans la social-démocratie, dans la gauche qui accepte les marchés. Tous les vieux démons gauchistes sont ainsi complètement gommés de l’appareil idéologique de Terra Nova.

Certaines notes de Terra Nova ont créé la polémique. Je pense notamment à celle qui préconisait au PS de se tourner plutôt vers les minorités que les classes populaires…

Les réactions à cette note procédaient d’une stratégie électorale. Certains ont crié "haro" en disant que Terra Nova abandonnait le peuple. Mais, jusqu’à preuve du contraire, les classes ouvrières ne représentent pas le peuple dans sa globalité. Alors il ne faut pas non plus faire de démagogie en retour : évidemment il y a des classes dominantes en France, intellectuellement, économiquement, mais ce n’est pas parce qu’on s’oriente vers telle catégorie de personnes qu’on en oublie le peuple.

Cela dit, vous avez raison. Cette note avait fait polémique. Je pense que c’était un peu voulu de la part de Terra Nova pour essayer de faire bouger les frontières, pour essayer d’exister et de rompre un peu avec le train-train idéologique classique de la gauche. Les socialistes s’appuient sur les classes populaires alors que tout le monde sait, depuis maintenant 15 ans, que les gens qui votent pour le PS sont de manière minoritaires des gens de la classe ouvrière. Les gens de la classe ouvrière votent maintenant majoritairement à droite, extrême-droite ou extrême-gauche.

Le but de Terra Nova, c’est donc comme vous dites de « rompre avec le train-train idéologique de la gauche » ?

Terra Nova l’a déjà fait d’une certaine manière : c’est ce think-tank qui a proposé la tenue d’une primaire au Parti socialiste. Je pense que celle-ci a changé énormément de choses. Elle donne à voir les différences tendances du PS et change donc indirectement le parti. Je pense même qu’elle changera la manière dont le PS va fonctionner après la présidentielle.

Terra Nova pèsera-t-il sur la campagne de 2012 ?

On jugera après coup, c’est difficile à dire maintenant. Ce qui est certain c’est que les principaux think tanks, y compris Terra Nova, ont en ligne de mire la présidentielle et feront le maximum pour peser dessus. Mais à l’heure d’aujourd’hui je suis incapable de le dire. Il peut y avoir une thématique qui émerge, sans que personne ne la prévoie, et sur laquelle Terra Nova aura écrit une note quelques mois auparavant.

Terra Nova pèse-t-il aujourd’hui déjà sur la primaire du PS ?

Je ne pense pas qu’il y ait des idées de Terra Nova qui soient reprises de facto et de manière directe par des candidats comme François Hollande ou Martine Aubry. Pour l’instant, et c’est lié à la culture politique, même si Hollande, Aubry et même Montebourg lisent une note intéressante de Terra Nova, ils ne diront jamais qu’ils s’en sont inspirés.

Les think tanks sont encore mal connus et même mal perçus du grand public, spécialement du peuple de gauche. C’est la dernière chose à faire pour un candidat du PS d’avouer s’inspirer d’une note de think tank. A contrario, aux Etats-Unis ou au Royaume Uni, un homme politique n’hésitera pas 2 secondes à citer un think tank…

A quoi attribuez-vous cette culture politique française ?

Le parti politique reste, dans l’inconscient collectif en France, le lieu de la production d’idées. Pourtant, on sait très bien que les partis politiques sont en crise en France depuis une quinzaine d’année à droite comme à gauche. Ce sont essentiellement les corps intermédiaires qui fournissent l’information.

Malheureusement, si un homme politique de droite ou de gauche annonce qu’il a trouvé des idées intéressantes dans un think tank, on lui dira : quelle est la légitimité de ce think tank ? C’est regrettable : il n’existe pourtant aucun lien entre légitimé et identifier de thématiques intéressantes.

On sort petit à petit de cette culture, mais je serais surpris qu’un candidat ose citer publiquement un think tank lors de la campagne présidentielle de 2012. C’est encore trop tôt.

Quand vous discutez avec les hommes politiques, les plus clairvoyants d’entre eux vous disent « les partis politiques ne produisent plus rien depuis 15 ans ». Un membre éminent du PS me disait même « le PS ne produit plus rien d’intelligent depuis les années 1990 ». On en est là, et ce n’est pas pour rien que la France connait depuis maintenant plusieurs années de plus en plus de créations de boites à idées, de think tanks : les citoyens se rendent bien compte que finalement le lieu de la production et d’innovation politique n’est plus dans les partis.

Prenez le programme de 2007 de Nicolas Sarkozy : c’est Emmanuelle Mignon l’a mis en œuvre, absolument pas l’UMP. Or, il y avait un écosystème de think tanks à droite conséquent… mais Nicolas Sarkozy, en 2007, n’a pas dit qu’il s’en inspirait, c’est la task force de Mignon qui a travaillé sur son programme.

Terra Nova pourrait donc, selon vous, constituer la « botte secrète » du PS ?

Non. Le jour où un think tank veut être une botte secrète, il a tout perdu. Le think tank n’a rien de secret. Par exemple, sur leur site Internet tout est dit : leur engagement politique, leurs valeurs, leurs propositions.

Il ne s’agit donc en rien d’un club caché où les grands de ce monde décideraient à l’abri du jeu démocratique. Le think tank c’est justement la clarté idéologique.

Après, bien-sûr, le travail de lobbying et d’influence est difficilement identifiable parce qu’il s’agit de réseau humain, de stratégie d’influence, etc. Et puis il faut évidemment des hommes politiques pour incarner ces propositions…

Quel est pour la primaire le candidat PS soutenu par Terra Nova ?

Le candidat spirituel de Terra Nova c’est François Hollande, même si je ne crois pas que Terra Nova prendra parti avant le 2nd tour de la primaire. Leur objectif reste de créer les conditions du débat, que le meilleur gagne.

Mais si Martine Aubry et François Hollande génèrent à eux deux 70% des votes des électeurs qui se seront déplacés pour la primaire, ce sera un signe fort pour les membres du parti  qui se démarquent par leur positionnement plus à gauche. Peut-être devront-ils alors quitter le PS et rejoindre le Front de gauche : les choses seraient alors clairement établis avec un pôle PS affiché social-démocrate et une gauche un peu plus dure du PS qui choisira soit de rester dans le PS soit d’aller rejoindre le Front de gauche pour créer un pôle « bipartite » avec les Verts. De ce point de vue-là la primaire est une avancée notable, et l’UMP a eu tort de la caricaturer.

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