Bombe à fragmentation... Comment la guerre en Syrie déstabilise l’ensemble du Moyen-Orient<!-- --> | Atlantico.fr
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Les attaques communautaires se multiplient en marge de la crise syrienne. Dernièrement, les Kurdes ont attaqué un poste frontière turc près de l’Irak et dimanche, un groupe de Palestiniens a provoqué des troubles entre Israël et l’Egypte.
Les attaques communautaires se multiplient en marge de la crise syrienne. Dernièrement, les Kurdes ont attaqué un poste frontière turc près de l’Irak et dimanche, un groupe de Palestiniens a provoqué des troubles entre Israël et l’Egypte.
©Reuters

Embrasement

Alors que la bataille d'Alep continue de faire rage, les attaques communautaires se multiplient en marge du conflit syrien. Le soulèvement des populations chiites du Moyen-Orient semble indiquer que la crise syrienne se régionalise.

Karim Sader

Karim Sader

Karim Sader est politologue et consultant, spécialiste du Moyen-Orient et du Golfe arabo-persique. Son champ d’expertise couvre plus particulièrement l’Irak et les pays du Golfe où il intervient auprès des entreprises françaises dans leurs stratégies d’implantation et de consolidation.

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Atlantico : Ce week-end, 48 Iraniens ont été enlevés par des rebelles. Téhéran a demandé à la Turquie et au Qatar de s’ingérer dans les affaires syriennes pour leur libération. Si ces deux pays n’agissent pas, peut-on s’attendre à une intervention iranienne ?

Karim Sader : Il existe d’ores-et-déjà une interférence iranienne dans cette crise, et ce, depuis les premières semaines de son déclenchement. La présence sur le terrain de combattants du Hezbollah ainsi que des membres des gardiens de la révolution – les redoutables pasdarans, venus épauler les forces pro-Assad - constitue un « secret de polichinelle ».  Il est d’ailleurs important de s’interroger sur l’identité réelle des otages iraniens, présentés officiellement par Téhéran comme des pèlerins chiites capturés par les insurgés.

Par conséquent, la République islamique, qui ne veut pas dévoiler sa réelle implication sur le terrain, n’a pas intérêt à amplifier cette nouvelle crise des otages, préférant recourir aux canaux de négociations via les deux puissances sunnites alliés des rebelles que sont la Turquie et le Qatar. En revanche, l’axe iranien pourrait répliquer sur d’autres terrains d’affrontement, qui l’opposent au front sunnite conduit par les pétromonarchies du Golfe, Arabie et Qatar en tête. Je pense par exemple au Liban, à l’Irak ou encore dans les monarchies du Conseil de Coopération du Golfe où Téhéran dispose d’une capacité de nuisance par l’intermédiaire de membres de la minorité chiite.

Quoiqu’il en soit, cet évènement dénote très clairement d’une internationalisation de la crise syrienne, devenue incontestablement l’une des caisses de résonance de la « guerre froide » régionale qui oppose le « croissant chiite », c'est-à-dire l’axe est-ouest s’étendant de Téhéran à Beyrouth, en passant par Bagdad et Damas, face au front sunnite nord-sud qui lie les puissances sunnites d’Ankara à Riyad en passant par la Syrie sunnite et les autres principautés du Golfe.


En marge de la crise syrienne, se multiplient les attaques communautaires. Dernièrement, les Kurdes ont attaqué un poste frontière turc près de l’Irak et dimanche, un groupe de Palestiniens a provoqué des troubles entre Israël et l’Egypte. Le conflit syrien est-il en train de déstabiliser tout le Moyen-Orient ?

Depuis l’avènement des Assad en Syrie, il y a près d’un demi-siècle, ce pays aux faibles ressources économiques a su développer une capacité d’influence à la fois politique, diplomatique et militaire sur les principaux dossiers « chauds » de la région. Je pense en particulier à la question libanaise, cet autre terrain d’affrontement privilégié de grands acteurs régionaux, où la Syrie, après avoir tenu une force d’occupation durant plus de trois décennies, continue d’exercer une influence importante à travers ses alliés locaux, Hezbollah en tête. C’est également le cas du conflit israélo-palestinien dans lequel Damas dispose toujours de relais parmi certains groupes armés palestiniens, dont certains lui sont directement inféodés.

Par conséquent, la déstabilisation du régime alaouite et ses graves conséquences sur la pérennité du dispositif régional de l’Iran, dont il est l’une des pièces maîtresses, aurait un impact considérable sur d’autres foyers de crise dans la région, tel un séisme aux multiples répliques.

  • Sans doute le Liban pourrait en être la première victime, comme en témoigne le débordement entamé de la crise syrienne sur son territoire à travers les affrontements entre sunnites et alaouites dans le nord du pays du cèdre. A cela s’ajoutent les divisions plus large entre sunnites et chiites, qui se reflètent dans l’antagonisme entre les forces du 14 mars menées par le clan Hariri, face au camp chiite pro-Assad, conduit par le Hezbollah et ses alliés.


  • Une autre réplique potentielle pourrait concerner l’Irak et la fragile cohabitation entre sunnites et chiites, déjà menacée par l’influence grandissante exercée par l’Iran voisin. Depuis le renversement de Saddam Hussein, les chiites conduits par Nouri Al-Maliki, l’actuel Premier ministre, exercent une influence considérable sur Bagdad, marginalisant la minorité sunnite au centre et à l’est du pays, c'est-à-dire à la frontière avec la Syrie. Or, depuis le déclenchement de la crise syrienne, les sunnites d’Irak sont de plus en plus tentés de se soulever, à l’instar de leurs coreligionnaires syriens, face au régime autoritaire chiite de Bagdad, faisant courir le risque d’une partition du pays, et ce, au moment où les kurdes au Nord ont bâtit un gouvernement autonome.


  • Le Royaume du Bahreïn, situé au cœur du très stratégique golfe arabo-persique, est également un autre foyer de crise connecté à la crise syrienne. Il en est même la réplique immédiate, puisque c’est après le soulèvement des chiites, majoritaires dans cet archipel et soutenus par l’Iran, que l’Arabie Saoudite  - pourtant hostile aux révoltes arabes qui pourraient la menacer – a décidé de soutenir la révolution syrienne conduite par des sunnites. Par conséquent l’axe syro-iranien pourrait attiser le feu mal éteint de cette révolte du Bahreïn passée sous silence par la communauté internationale et entraîner dans son sillage une déstabilisation des intérêts stratégiques et énergétiques des occidentaux dans cette zone.


  • Notons que le risque d’une déstabilisation du Golfe, à travers des minorités chiites téléguidées par l’Iran et ses alliés existe dans les autres monarchies, notamment en Arabie Saoudite, où la province orientale du Royaume, celle-là même dont le sous-sol regorge de la majorité des ressources pétrolières du pays, est en proie à des émeutes fréquentes des chiites qui y sont majoritaires.

  • Pour ce qui est du conflit israélo-palestinien, la Syrie a gardé le contrôle d’une partie de certaines fractions palestiniennes. Mais cette influence est en voie de déclin depuis que les principales factions du Hamas qui avaient un temps flirté avec l’Iran, sont repassées sous l’influence des puissances sunnites, et plus particulièrement du Qatar qui en est le principal bailleur de fonds.

Que se passe-t-il exactement à Bahreïn ?

Les ingrédients sont quasiment les mêmes ! A Bahreïn nous avons une majorité chiite qui est soumise à l’autorité d’un régime dynastique autoritaire, celui des Khalifa. On est dans une situation propice à une révolution. D’ailleurs, il y a déjà eu un soulèvement réprimé par la force à travers l’intervention, en mars 2011, de la force d’interposition du Golfe commandée par l’Arabie. La seule différence avec le cas syrien, et c’est le point essentiel, c’est qu’il n’y aura pas le même appui international envers les insurgés chiites du Bahreïn, et ce, pour plusieurs raisons :

  • L’Archipel est une des principales bases américaines dans le Golfe, Bahreïn étant le siège de la Vème flotte de l’US Navy.
  • Bahreïn est la chasse gardée de l’Arabie Saoudite. Il est hors de question que le petit royaume tombe aux mains des chiites, avec le spectre d’une cinquième colonne de l’Iran.

Une révolte comme en Syrie paraît donc difficile sur l’île même s’il y a un lien certain entre les deux crises. En revanche, la crise peut perdurer tant que cette majorité ne sera pas satisfaite. Les chiites de Bahreïn veulent la mise en place d’une monarchie parlementaire ainsi qu’un meilleur partage des ressources économiques. Or, au contraire des autres principautés du Golfe, Manama n’a plus les ressources pétrolières suffisantes pour acheter la paix sociale auprès de ses sujets à grand renfort de pétrodollars.

Finalement, les véritables cibles à abattre au cours de ces « printemps arabes » auront été ces républiques « laïques » autoritaires, un temps considérés par les Etats-Unis comme un rempart à la mouvance islamiste, avant de tomber dans la désuétude.Si l’on n’a pas saisi cet enjeu primordial des révoltes arabes, alors il ne faut pas s’étonner devant les réactions naïves des européens face à l’émergence de nouveaux pouvoirs islamistes jaillissants des décombres des dictatures déchues.

En France, on n’a pas compris que les États-Unis et les monarchies du Golfe sont en train d’installer des pouvoirs islamistes dit « modérés » c'est-à-dire essentiellement ouverts au libéralisme économique, avec qui on va pouvoir marchander.

Concernant le Liban, en tant que Libanais et chrétien, comment voyez-vous cette régionalisation de la crise ?


S’il y a un pays accoutumé aux guerres par procuration, c’est bien le Liban. Son tissu communautaire fragile et la faiblesse de son état en font un pays des plus perméables aux conflits de son voisinage. On connait le jeu, l’influence de la Syrie au Liban depuis très longtemps.

Aujourd’hui plus que jamais, la crise syrienne est capable de s’exporter le plus facilement du monde chez ses voisins. Concernant le sort des chrétiens, mais aussi de la minorité druze, elles se retrouvent une fois de plus tiraillées et vivent le syndrome de la minorité. D’un côté elles craignent l’avènement d’un grand pôle sunnite à travers le basculement de la Syrie. De l’autre côté, le rapprochement d’une partie des chrétiens dans le giron chiite du Hezbollah, au nom d’un soit disant « pacte des minorités »,  est loin de faire l’unanimité au sein de la communauté, comme en témoigne ses divisions internes.

Je dirais que, de manière générale, la crise syrienne, et les différents foyers de crise qui pourraient en découler, traduisent une confessionnalisation du « printemps arabe » avec un retour en force de la lecture religieuse des conflits, principalement à travers l’antagonisme sunnite/chiite… On est donc bien loin des revendications démocratiques ou bien socio-économiques qui avaient été mises en avant aux premières heures des révolutions.

Vous n’avez pas fait référence à la Jordanie, un autre voisin de la Syrie…

Le cas jordanien est différent, on assiste dans le pays à quelque chose d’historique grâce à l’effet du printemps arabe. Le pays a connu des manifestations classiques au début du printemps arabe mais très vite est née une désolidarisation des Transjordaniens qui sont le socle du régime. 

Le pays est de plus en plus divisé entre les Palestiniens d’origine qui sont majoritaires (environ 70 %) et les Transjordaniens, qui sont les bédouins. Les Transjordaniens reprochent aujourd’hui à la monarchie d’avoir accordée trop de privilèges aux Palestiniens, particulièrement sur le plan économique. Il y a donc un risque qui plane sur la monarchie à travers le spectre d’une rupture entre le roi et la population de souche. Sans compter que la Jordanie doit gérer à ses frontières l’instabilité de tous ses voisins, des territoires palestiniens à l’Irak, en passant par la Syrie et le Liban !

Propos recueillis par Charles Rassaert

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