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Les suicides en Grèce marquent-ils le déclenchement d’un printemps européen ?
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Dépression

Un homme de 77 ans s'est tiré une balle dans la tête dans les rues d'Athènes, à quelques mètres du Parlement grec. L'événement a provoqué l'émoi des Grecs. Un millier de personnes ont afflué spontanément sur les lieux du drame. Mais cette tragédie est loin d’être un cas isolé.

Joëlle Dalègre

Joëlle Dalègre

Joëlle Dalègre est maître de conférences à l'INALCO, spécilisée en civilisation de la Grèce. Elle est notamment l'auteur de La Grèce inconnue d'aujourd'hui, de l'autre côté du miroir, l'Harmattan 2011, 252p. En collaboration avec 4 doctorants ou docteurs de la section grecque de l'INALCO.

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Le suicide spectaculaire d'un ancien pharmacien de 77 ans sur la place Syntagma à Athènes a mis en première ligne un phénomène jusque-là occulté par les considérations purement financières : l'augmentation rapide (+ 45% entre 2010 et 2011) des suicides en Grèce.

La Grèce se distinguait par le plus faible taux de suicides en Europe, 3,2 pour 100 000 habitants en 2004 (France : 18, Biélorussie et Russie, le triste record : 35). Les cigales méditerranéennes – l'Italie, à 8, est proche de la Grèce- étaient-elles immunisées contre le suicide ? Traditionnellement, on explique ce chiffre par la réticence des familles à déclarer publiquement un suicide et par la forte empreinte de l'orthodoxie qui, comme toutes les religions bibliques, n'approuve pas le suicide. Resterait à expliquer pourquoi l'orthodoxie russe n'a pas les mêmes effets... On invoque parfois l'ensoleillement, on peut aussi recourir aux valeurs antiques de la culture grecque, toujours sous-jacentes. Depuis l'Odyssée, chacun apprend qu'il vaut mieux, selon Achille, être berger sur la Terre que roi aux Enfers ! Les chants traditionnels, tout comme le rébétiko, chantent la valeur de la vie, l'urgence qu'il y a à profiter de cette vie terrestre face à un Hadès peu attirant, à une immortalité qui ne semble pas  toujours  garantie ou aux souffrances infernales présentées sur les fresques des églises. Jouir de la vie car on ignore ce que demain vous réserve : c'est l'épicurisme symbolique (et caricatural) de Zorba.

Pourquoi alors cette augmentation soudaine ? Zorba serait-il mort ? L'association Klimaka qui a créé en  2007 un numéro d'urgence pour les désespérés dit qu'en 2009 elle recevait 10 appels par jour, 25 cette année. La presse, depuis l'automne 2011, signale presque chaque jour un suicide, majoritairement des hommes de plus de 45 ans qui croyaient avoir une petite place au soleil, entrepreneur, petit patron, employé, commerçant, retraité et que brusquement le licenciement, la faillite, la baisse de retrait plonge dans la déchéance et le désespoir. Et ce dans tout le pays. Désespoir ? les experts vous donnent le choix entre la catastrophe immédiate ou la guérison dans 20 ans si vous acceptez le traitement proposé. Déchéance et déshonneur ?  pour un homme surtout, en ce monde méditerranéen, ne plus pouvoir assumer sa famille, être contraint à mendier...

La Troïka a voulu ignorer une valeur profonde du monde grec : l'honneur, la fierté, le respect de soi. Il est toujours difficile de connaître le faisceau de raisons qui conduit à un suicide, mais les morts récents laissent des mots explicatifs : ce n'est pas un simple abandon face à des difficultés financières, c'est la perte totale d'estime de soi, « ne plus être un homme libre » dit l'un d'eux. Or chaque Grec sait maintenant que ni lui ni son pays n'est libre, que la Grèce est passée du stade de berceau des arts et des lettres à celui déshonorant de PIG, qu'elle est, tel une colonie, entièrement gérée par la Task Force de la Troïka. Qui sait que son pouvoir va jusqu'à contraindre les navires des lignes intérieures à diminuer leur vitesse de 20% pour réduire la consommation de carburant ?

Mais le suicidé de la place Syntagma, par le lieu choisi et par le mot qu'il a laissé, place sa mort à un degré supérieur, ce n'est plus le désespoir, c'est un acte politique militant, de quelqu'un qui avait déjà manifesté en juin avec les Indignés. « Le gouvernement d’occupation de Tsolakoglou (le Pétain grec) a littéralement anéanti tous mes moyens de subsistance, qui consistaient en une retraite digne, pour laquelle j’ai cotisé pendant trente-cinq ans (sans aucune contribution de l'Etat). Mon âge ne me permet plus d’entreprendre une action individuelle plus radicale (même si je n’exclus pas que si un Grec prenait une kalachnikov, je n’aurais pas été le dernier à suivre), je ne trouve plus d’autres solutions qu’une mort digne, ou sinon, faire les poubelles pour me nourrir. Je crois qu’un jour les jeunes sans avenir prendront les armes et iront pendre les traîtres du peuple, sur la place Syntagma, comme l’ont fait en 1945 les Italiens pour Mussolini, sur la Piazzale Loreto, à Milan ».

Un tel texte a submergé le pays d'émotion, les cierges, les mots de soutien, les déclarations révolutionnaires sont déposées en grand nombre sur la place Syntagma, les blogs crient vengeance.Stathis Kouvelakis, il y a un mois,  parlait de faire de la Grèce « la Tunisie » de l'Europe (Revue des livres, 1/03/2012, « Grèce : la destruction programmée d'un pays »), Panagiotis Grigoriou qui n'avait sans doute pas lu cet article, a fait faire à son pays un pas dans cette direction. La presse de gauche en témoigne qui cite l'exemple tunisien. Mais la Grèce sera-t-elle la Tunisie ? Les révoltés tunisiens espéraient un changement, les amis de la Troïka ont persuadé une large part des Grecs qu'il n'y avait aucun changement possible sinon vers une situation pire encore. Alors... 5 autres suicides ont déjà suivi celui de Syntagma. Une « épidémie » ou une révolution ? Mourir dignement plutôt qu'à petit feu dans la honte ? Et finalement si tous les chômeurs de plus de 45 ans et tous les retraités pauvres se suicidaient, les caisses sociales ne feraient-elles pas enfin des économies ?

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