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Avertissements des agences de notation, quelles conséquences ?
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L'Europe au pied du mur

L'agence de notation Standard & Poor's a placé la note de 15 des 17 pays membres de la zone euro sous surveillance négative ce mardi. A la veille du Conseil européen de jeudi, cette annonce résonne comme une menace directe à l'intention des États membres. Mais qu'ont-ils à redouter des agences de notation ?

Driss Lamrani

Driss Lamrani

Driss Lamrani a exercé pendant plus de 10 ans les métiers de banquier d'affaires, d'opérateur de marché sur les produits dérivés et d'analyste financier au sein de divers établissements bancaires. Il a aussi participé à plusieurs ouvrages, en tant que spécialiste des opérations de marché.

Il a récemment publié, aux Editions Mélibée, un ouvrage intitulé "Vers de nouvelles bulles spéculatives... Comment les éviter ?", préfacé par Jacques Attali. Il est actuellement  stratégiste et économiste au sein d'un fonds alternatif à Londres spécialisée dans le Global Macro.

Il s'exprime sur Atlantico à titre personnel, et ses propos n'engagent en aucune façon son employeur.

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Standard & Poor's a émis la mise sous surveillance de 15 des 17 États membres de la zone euro, avec une implication négative. Cette annonce s'entend comme une probabilité de 50% d'abaissement de la notation de la quasi-totalité des États membres, y compris la France et l'Allemagne.

Une dégradation plausible qui n'est pas un phénomène nouveau, puisque d'ores et déjà partagée par les marchés financiers, comme en témoigne la hausse du prix des assurances contre le défaut potentiel des États souverains de la zone euro (CDS souverains).

Baisse de notation des États membres de la zone euro, et conséquences...

La mise en pratique de la baisse de la notation des États membres risque de se traduire par plusieurs effets :

  • L'accroissement du coût de la dette (l'agence France trésor estime que l'abaissement d'un cran se traduirait par un renchérissement du crédit français de 2,5 milliards d'euros) ;
  • La nécessité de renforcer les plans de rigueur pour absorber la dégradation du déficit née d'un coût de crédit plus élevé ;
  • La nécessité des institutions financières (qui risquent d'être aussi dégradée puisqu'elles ne disposeraient plus d'un garant en dernier ressort suffisamment solvable) de fournir des sécurités vis à vis des dérives dont elles sont contreparties (ex: mécanisme AIG) ;
  • La mise en œuvre d'un crédit crunch (resserrement du crédit ou pénurie du crédit) consécutif à la quantité de liquidité que les banques de la zone euro devront verser aux autres contreparties (notons qu'une grande banque allemande est un acteur important du marche immobilier américain, et risquerait de devoir payer des quantités importantes de dollars à des banques américaines pour les sécuriser) ;
  • La perturbation de la liquidité des institutions financières européennes en dollar, déjà mises à mal par la défiance des financiers américains (fonds monétaires qui boudent les contreparties européennes depuis juillet 2011), et pour lesquels les banques centrales mondiales se sont mobilisées pour desserrer l'étau.

Face aux menaces des agences de notation, il faut raison garder

Les agences de notation sont des observateurs comme les autres. Ils ne détiennent pas d'informations privilégiées. Ils n'ont pas de connaissances supérieures à celles des autres acteurs et opérateurs financiers. Cependant, les régulateurs, les marchés financiers, et les États ont donné une prépondérance importante aux avis des agences de notation. Cette prépondérance est issue de l'utilisation des notations dans la définition des besoins de capitaux, et conséquemment pour l'accompagnement des activités de financement et de prise de risque.

À titre d'exemples, Bâle III (propositions pour une réglementation bancaire suite à la crise financière de 2007) exige d'allouer des fonds propres réglementaires (quantité de capital nécessaire pour une activité ou une transaction) en fonction de la solvabilité analysée par ces agences externes. Les normes prudentielles des compagnies d'assurance Solvency II (réforme réglementaire européenne du monde de l'assurance) appliquent une démarche similaire. L'allocation des actifs des fonds de pension utilise aussi les notations externes pour allouer l'investissement de leurs placements. Finalement, les contrats dérivés utilisent ces notations pour déterminer les sécurités nécessaires pour mitiger les conséquences du risque de défaut. En effet, comme ce fut le cas pour l'assureur AIG, les banques dont la notation est réduite doivent fournir des liquidités en représentation des risques de contreparties qu'elles représentent vis à vis des autres opérateurs financiers.

Elles peuvent se tromper de manière similaire aux analystes financiers qui conseillent l'achat ou la vente d'une action cotée sur le marché des actions. Cependant à la différence de ces  analystes financiers, les agences de notation, compte tenu de la prépondérance de leurs avis et leurs conséquences sur l'économie, ne sont pas suffisamment nombreuses pour créer un consensus et faire émerger un avis médian.

De plus, les mécanismes financiers, dont nous avons donné quelques exemples, auto réalisent les prévisions des agences. En effet, si un émetteur venait à être déclassé, par erreur, la défiance des acteurs financiers accroîtra les conditions difficiles pour poursuivre l'activité précipitant le défaut ou la fragilisation et validant ainsi un avis initialement faux.

48 heures pour un impossible plan d'action politique et économique...

Le sommet européen sera très important à suivre. À force d'une régulation inadéquate, les États de la zone euro ont donné le pouvoir à quelques acteurs qui dictent aujourd'hui les démarches à suivre pour faire face à la crise. La convergence des budgets et les plans de rigueurs sont en bonne place dans la discussion des membres de la zone euro.

Cependant, il est regrettable que la croissance, l'emploi, l'amélioration de la régulation financière et l'adaptation des systèmes sociaux des États membres aux enjeux démographiques ne soient pas suffisamment discutés lors de ce sommet. Il est évident que 48 heures sont insuffisantes pour établir ce plan d'action de politique économique. Cependant, la BCE (Banque centrale européenne) pourrait mettre en œuvre dès aujourd'hui les actions de sauvegarde (notamment par la monétisation des dettes des États membres, et en contribuant à la dévaluation de l'euro pour aider les économies de la zone à gagner en compétitivité vis à vis des États-Unis et des brics - Brésil - Russie - Inde - Chine) pour donner du temps à la mise en place de réformes en profondeur.

La dead Line est fixée par à 3 mois, le compte à rebours a débuté. Nous ne pouvons qu'espérer que la politique européenne rompra avec sa longue ligne d'échec et de "trop tard trop peu", qui a caractérisé la majorité des sommets depuis deux ans. Cette rupture est nécessaire pour éviter de précipiter toute la zone euro dans la dépression et la déflation. Les conseils n'engagent que ceux qui les écoutent. Cependant, dans la présente situation, la prépondérance donnée aux agences de notation remplace le choix démocratique par un vote censitaire : celui des "sachants" qui s'impose aux citoyens de la zone euro.

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