Staline : Quel est son héritage aujourd'hui ?

Atlantico : Le monde "fête" ce mardi le soixantenaire de la mort de Joseph Staline, figure majeure du XXe siècle. Malgré un bilan peu reluisant, peut-on dire que l'homme d'acier a laissé un héritage politique ?

Sylvain Boulouque : Aujourd’hui, il est quasiment impossible de parler d’héritage direct et intégral de Staline. Néanmoins, on trouve quelques zones où Staline demeure considéré comme une personnalité importante. Les personnes et les groupes se réclamant de Staline dans le monde sont une quantité marginale, comme des groupes népalais ou les communistes russes, qui sont certes plus nombreux mais dont l’influence demeurent en réalité limitée. Peu de personnes, compte tenu de ce qui s’est passé en Union soviétique, vont officiellement se déclarer stalinien. Néanmoins, son image est utilisée de manière positive en Russie, il est encore aujourd’hui présenté comme le vainqueur de la grande guerre patriotique, le maréchalissime qui a écrasé les nazis à Stalingrad [aujourd'hui : Volgograd]. Ils oublient que ce fut au prix d’un sacrifice humain sans pareil, les peuples de l’Union soviétique étant envoyés comme de la chaire à canon à la bataille, l’important était d’asphyxier les Allemands par la loi du nombre. Son rôle supposé salvateur est aussi mis en avant pour l’industrialisation ou les succès de la recherche scientifique (tout en faisant silence sur les capacités d’espionnage de l’URSS). Il existe par ailleurs une mise en place d’une « stalinostalgie » comme il existe aussi une  « leninostalgie » qui consiste à vendre des portraits de Lénine ou de Staline dans les grands sites touristiques ex-soviétiques. On imagine sans peine le scandale légitime que cela provoquerait avec d’autres dictateurs du XXe siècle.

Enfin on pourrait dire qu’il reste une dimension que personne ne peut nier, à savoir la dimension internationale du dictateur qui a eu un impact international et qui demeure un objet d’interrogation pour les historiens. Contrairement à la légende trotskiste le présentant comme un personnage brutal, Staline a été un des hommes politiques les plus intelligents du XXe siècle, au sens le plus froid du terme, qui a su parfaitement faire avancer ses pions, quel qu’en soit le prix humain. 

Trouve-t-on encore dans le monde des représentations de son modèle ?

On ne peut pas dire, à l’exception peut être de la Corée du Nord, qu’un seul homme politique ressemble directement à Staline. Pour la Corée, l’héritage et la filiation sont évidente même et y compris jusque dans la famine organisée et planifiée par le régime. Cependant, même dans les autres pays affichant le drapeau rouge, Staline et même Mao sont bien loin d'êtres réduits à l’état de simples icônes commerciales. En revanche, il reste des manières d’être des modes de commandements extrêmement autoritaires, une manière de ne faire confiance qu’à soi-même et à ses très proches tout en organisant le pouvoir et le secret du pouvoir que l’on retrouve surtout dans les anciens pays communistes. Par ailleurs, il reste des anciens staliniens (de moins en moins) qui continuent à vivre une retraite politique des plus paisibles.

Qu'en est-il en France ? 

En France, les staliniens sont une espèce en voie de disparition, néanmoins il demeure quelques composantes du Front de gauche ou qui ont soutenu ce parti pendant la dernière campagne électorale qui ont pu voir dans Staline un héritage positif. C'est aussi le cas du Parti communiste des ouvriers de France (maoïste) ou la coordination des groupes communistes pour la reconstruction d’un parti révolutionnaire (communiste orthodoxe). De même, certains sites web comme le site communisme-bolchevisme.net s’affichent ouvertement comme des défenseurs de Staline. C'est également le cas chez certains historiens ou philosophes comme Annie Lacroix Riz ou Dominico Lusurdo.

Enfin il conviendrait de noter une dernière supercherie à laquelle procèdent les communistes comme l’actuel secrétaire du PCF et les historiens proches du Parti communiste présentant les communistes comme les premières victimes de Staline, alors qu’ils en furent les principaux zélateurs. Par ailleurs, il demeure des formes d’humour qui participent de ce relativisme (sur le culte de la personnalité ou les supposés traîtres au régime) et chez une partie des universitaires et même dans une grande partie de la gauche de  la tentation de l’atténuation historique : les staliniens aurait agit au nom « du bien » et de la « générosité de l’engagement communiste ». Enfin on peut trouver dans l’édition une quantité important de livre faisant son apologie, peut importe l’ouverte même partielle des archives et la réalité de ce que fut le régime. 

Propos recueillis par Théophile Sourdille