Souveraineté industrielle : Exxelia, une pépite que la France ne devrait pas laisser filer<!-- --> | Atlantico.fr
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Les composants électroniques fabriqués par Exxelia sont implantés sur Ariane 5 et bientôt Ariane 6, l'avion Rafale.
Les composants électroniques fabriqués par Exxelia sont implantés sur Ariane 5 et bientôt Ariane 6, l'avion Rafale.
©AFP

Excellence française

La vente à l’américain Heico de la pépite électronique Exxelia, qui équipe notamment le Rafale et l’A320, suscite beaucoup de réactions et d'inquiétudes.

Carine Chaix

Carine Chaix

Carine Chaix est Avocate au Barreau de Paris et Présidente de La France en partage.

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Atlantico : Vous avez écrit une lettre ouverte à Bruno Le Maire pour lui demander d’user des prérogatives que la loi lui confère pour empêcher que le projet de cession de l’entreprise française Exxelia n’altère la souveraineté de notre industrie de défense. Pourquoi cette démarche ?

Carine Chaix, Avocate au Barreau de Paris et Présidente de La France en partage :  L’affaire Exxelia met en jeu l’autonomie stratégique de notre industrie de défense, puisque c’est une entreprise qui épuipe notamment le Rafale et des sous-marins nucléaires. Or, en raison de la passe d’armes à laquelle elle a donné lieu entre le ministre Bruno Le Maire et le député Alexandre Loubet, elle a surtout été mise en lumière sous l’angle de la polémique au lieu d’être éclairée par les vrais enjeux.

Alors que l’intitulé du portefeuille ministériel de Monsieur le Maire recouvre la souveraineté industrielle et numérique, on a l’impression que cela relève davantage d’une formule incantatoire que de la mise en œuvre d’une politique cohérente de protection de notre souveraineté. 

Or, derrière les discours convenus, les activités stratégiques de la France font l’objet de prédations régulières de la part d’entreprises étrangères, notamment américaines. Et le ministre de l’Économie a la mission politique et juridique de lutter contre ce phénomène. 

La lettre ouverte de La France en partage - association qui œuvre à la défense de l’héritage culturel et historique de notre pays - co-signée par le Général (2S) Marc Delaunay, en tant que Président de l’Association des militaires entrepreneurs et le Général (2S) Jean-Marie Faugère exhorte le ministre à agir pour éviter de nouvelles atteintes à notre souveraineté que constituerait la cession d’Exxelia, comme d’ailleurs celle de centaines de toits-terrasses à un opérateur téléphonique américain, susceptible de générer un risque d’espionnage de sites stratégiques. 

Au-delà du débat sur la souveraineté, nous avons voulu mettre en exergue les devoirs juridiques du ministre de l’Économie dans ces dossiers, dans cette procédure obligatoire d’autorisation ministérielle des investissements étrangers. 

Vous avancez que le ministre de l’Économie a l’obligation juridique d’agir. Pouvez-vous expliquer en quoi consiste cette obligation. Est-ce à dire que si le ministre est obligé de préserver les intérêts nationaux et qu’il s’abstient de le faire, il enfreint le droit et engage sa responsabilité ?

C’est exactement cela, le Code monétaire et financier impose au ministre en charge de l’économique de refuser un investissement étranger s’il compromet les intérêts nationaux.   

C’est une contrainte très forte, qui ne laisse pas le ministre libre d’exercer discrétionnairement son pouvoir ou non !  S’il y a un risque d’atteinte à notre souveraineté - qui ne peut être minoré par de strictes garanties imposées à l’investisseur étranger - la cession doit être refusée par le ministre.

il est rare que le Droit contraigne un Ministre d’agir dans un sens déterminé et c’est pourtant bien le cas ici. On ne badine pas avec la souveraineté !

Et, à l’instar des autres normes de droit, sa violation est susceptible, en théorie, d’engager la responsabilité de l’État, voire du ministre en cas de faute dite personnelle.

Existe-il des précédents pour lesquels le ministre de l’Économie n’a pas respecté cette obligation de refuser l’autorisation d’investissement étranger ?

Hélas, oui et le cas le plus emblématique, même s’il n’est pas isolé, est l’affaire Alstom en 2014, quand le ministre de l’Economie de l’époque Emmanuel Macron a autorisé la vente de cette entreprise hautement stratégique pour la France à la société américaine General Electric, alors qu’il aurait dû la refuser. 

Reste à espérer que l’histoire serve de guide et que nos ministres méditent cette maxime :  Errare humanum est perseverare diabolicum  !

Monsieur le ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique

169, rue de Bercy

75012 Paris

Paris, le 24 octobre 2022

Par lettre RAR

Lettre ouverte : Monsieur le Ministre, pour Exellia comme pour l’ensemble de nos activités stratégiques, vous avez, non le pouvoir, mais le devoir juridique d’agir !

Monsieur le Ministre,

Pour Exxelia - qui équipe notamment le Rafale, l'A320 neo, Ariane 5 et bientôt 6, les sous-marins de classe Barracuda - comme pour toutes les activités stratégiques, notre souveraineté industrielle mérite mieux que des polémiques et des rodomontades.

Alors que nous apprenons que le Gouvernement vient encore de laisser passer sous pavillon américain l’entreprise française TRAD spécialisée dans l'ingénierie des rayonnements pour les secteurs spatial et nucléaire, ne pensez-vous pas qu’il est temps de faire cesser cette hémorragie ?

Face au projet de vente de la pépite française Exxelia à la société américaine Heico corp., que ferez-vous, Monsieur le Ministre, pour exercer votre devoir de gardien de la souveraineté industrielle de la France ?

Dans la lutte économique et internationale sans merci que se livrent les entreprises et puissances étrangères, on ne peut admettre qu’Exxelia soit une prise de guerre supplémentaire aux mains des Américains.

Car, après Alstom, TRAD, et bien d’autres, si le Gouvernement n’y prend pas garde, ces pertes industrielles et ces cessions feront de notre souveraineté une coquille vide, une musique sans instruments.

Le maintien dans notre cadre national des activités stratégiques pour notre souveraineté est un droit de la Nationet un devoir, juridiquement sanctionnable, de votre Gouvernement.

Oui, Monsieur le Ministre, vous n’avez pas simplement le pouvoir d’agir, vous en avez l’obligation juridique quand nos intérêts nationaux sont en risque.

Car c’est bien ainsi que la règlementation, depuis le décret de Dominique de Villepin, a été conçue : comme une injonction faite au ministre de l’Economie de protéger nos activités stratégiques.

Si elle prévoit que doivent être obligatoirement soumis à autorisation préalable du ministre chargé de l'économie les investissements étrangers[1]elle enjoint audit ministre de refuser cette autorisation si les intérêts nationaux ne peuvent être préservés[2].

Or, le projet de cession d’Exxelia à l’entreprise américaine Heico met en risque notre autonomie stratégique en matière d’industrie de la défense. 

Permettre que cette entreprise soit soumise, même partiellement, à la législation des Etats-Unis et à leur pouvoir de contrôle sur l'utilisation des matériels d’équipements du Rafale ou de sous-marins nucléaires, c’est rendre dépendant des américains l’approvisionnement de nos forces arméeset nucléaires.

Et dans notre cher et vieux pays, la souveraineté ne se partage pas.

Aussi, Monsieur le Ministre, usez de vos prérogatives de puissance publique dans ce projet de cession d’Exxelia, faites primer les hautes exigences de notre souveraineté sur les intérêts économiques des uns ou des autres.

Car si seule la vertu des dirigeants d’entreprise peut les inciter à concilier développement de leur chiffre d’affaires avec les intérêts nationaux, vous, Monsieur le Ministre, votre raison d’être est la défense de la souveraineté industrielle !

La raison d’être d’un gouvernement est la défense de notre souveraineté !

Aussi, Monsieur le Ministre, nous osons croire que vous respecterez le droit qui vous oblige à préserver nos intérêts nationaux et à vous opposer à ce projet de vente si desstrictes conditions, de compartimentation par exemple, ne suffisent pas à garantir la sécurité d’approvisionnement de nos forces armées.

Cela afin que le cas Exxelia, ou d’autres projets en cours dans des secteurs stratégiques comme celui de la cession de milliers de terrasses à la société américaine Phoenix Tower International (générant un risque potentiel d’espionnage massif), ne viennent pas s’ajouter à la liste des affaires dans lesquelles notre souveraineté n’a pas été suffisamment protégée.

Thucydide pensait avec raison que la force d’une cité réside dans le caractère de ses citoyens. Ajoutons l’implicite : et de ses gouvernants  !

Nous vous prions de croire, Monsieur le Ministre, en l’assurance de notre très haute considération.

Maître Carine CHAIX

Présidente de la France en partage

Général (2s) Marc DELAUNAY

Président de l’Association des militaires entrepreneurs               

Général (2s) Jean-Marie FAUGERE                                                                        

CC : Copie adressée au Ministre de la Défense, aux Présidents de groupe parlementaire, aux Présidents des Commissions des Affaires économiques et des Commissions de la Défense nationale à l’Assemblée nationale et au Sénat.


[1] Article L. 151-3 du CMF : Sont soumis à autorisation préalable du ministre chargé de l'économie les investissements étrangers

[2] Article R.151-10 du CMF : « Le ministre chargé de l'économie refuse, par décision motivée, l'autorisation d'investissement demandée, si la mise en œuvre des conditions prévues à l'article R. 151-8 ne suffit pas à elle seule à assurer la préservation des intérêts nationaux définis par l'article L. 151-3 ».  Or, il est constant que les énoncés juridiques rédigés au présent de l’indicatif s’entendent comme ayant une valeur impérative, Cf. Par ex. Décision du Conseil Constitutionnel du 17 janvier 2008, 2077-561 DC.

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