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Crise : seule la transparence pourra sauver les marchés financiers
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Lunettes noires pour crise blanche

La crise financière nous confronte à une contraction sans précédent du crédit privé. Mais comment pourrait-il en être autrement dans un système où plus personne ne fait confiance aux données des autres acteurs économiques... (épisode 2/2)

Hernando de Soto

Hernando de Soto

Hernando de Soto est un économiste péruvien.

Il est président de l’Institut pour la Liberté et la Démocratie et conseille plus de vingt gouvernements dans le monde.

Il a reçu de nombreuses récompenses, dont notamment le prestigieux prix Milton Friedman pour le progrès des libertés.

Il est l'auteur notamment de « Le mystère du capital » (Flammarion, 2005).

Voir la bio »

Pour la première partie, cliquer sur le lien suivant :
SOS capitalisme en danger : alerte à l'opacité sur l'information économique !

Nous n’avons donc pas à faire à une crise financière habituelle. L’effondrement de l’économie n’est qu’un symptôme. L’appauvrissement en information en est la véritable cause, profonde. Sans les registres de propriétés et de transactions qui nous permettent de connaître les potentiels bénéfices et pertes, les marchés ne peuvent pas fonctionner.

C’est ce que nous tentons actuellement de faire dans les nouvelles économies en croissance – et c’est pourquoi nous réussissons à faire émerger nos marchés, de mon Pérou natal à la Tanzanie, en passant par l’Inde et la Chine : nous poussons ceux qui n’ont jamais enregistré officiellement leur propriété à accepter certaines normes. Nous nous efforçons de ramener notre économie parallèle sous le principe de la loi, pour recréer de la responsabilité individuelle.

En Inde, par exemple, le visionnaire que fut l’ancien directeur d’Infosys, Nandan Nilekani, travaille désormais avec le gouvernement à l’identification et à la localisation de chacun des 1,2 milliard d’habitants du pays : si les acteurs sont identifiés, identifiables, s’ils existent légalement, si on sait qui ils sont et où ils se trouvent, alors seulement le monde des affaires et les banques peuvent leur accorder leur confiance. De la même façon, la Tanzanie a récemment créé Mkurabita, un programme actualisant toutes les données concernant les actifs du pays, les faisant ainsi basculer de l’économie informelle à l’économie formelle.

Depuis 1990, mon organisation, l’Institut pour la Liberté et la Démocratie, a réorganisé le système de propriété péruvien. Aujourd’hui, on sait que l’immobilier non officiel qui a été enregistré selon la loi de 1997 a vu sa valeur augmenter d’approximativement 700% entre l’année de son enregistrement et 2010 ; comparez ces données avec le New York Stock Exchange, qui dans la même période a connu une hausse de seulement 79% !

Dans l’esprit de nos réformes au Pérou, qui visent à légaliser les entreprises de l’économie parallèle, le projet « Doing Business» de la Banque Mondiale approvisionne désormais les marchés émergeants en données pour les aider à mettre en place des réformes similaires. Ces dernières années, presque chaque marché émergent – même la Russie et la Chine – a mis en place des procédures d’enregistrement légal des actifs et des transactions.

Nous possédons désormais dans les économies émergentes plus d’informations sur notre économie formelle que jamais. C’est pour cela qu’il est peu probable que la crise initiale des subprimes qui a touché les Etats-Unis et l’Europe parvienne jusqu’à nous.

Aussi tragique qu’ait été, pour chacun d’entre eux, l’incapacité de propriétaires à revenus modestes à rembourser leur crédit, et dans certains cas la saisie de leurs biens, un encours de dette à haut risque de moins de mille milliards de dollars n’était pas suffisant pour déclencher une telle crise du crédit, persistante et historique. Et pourtant, la crise a eu lieu. Pourquoi ? Parce que le crédit ne reposait pas sur des espèces sonnantes et trébuchantes ni sur des repères solides (à qui j’emprunte ? qui est-ce ? quand et comment dois-je le rembourser ? etc.), mais sur une information appauvrie et des registres de propriété illisibles.

Quand ces registres et autres documents cessent d’être fiables, quand ils ne signalent plus la qualité d’un gage, qu’ils ne fonctionnent plus comme une garantie applicable, comme une assurance crédible, ou comme une raisonnable mesure du risque, alors, évidemment, le crédit disparaît. Exactement comme votre identité si vous vous présentiez au guichet de l’immigration en ayant perdu votre passeport.

C’est ce qui est arrivé avec la crise des subprimes. Les dérivés qui finançaient les crédit-hypothécaires de mauvaise qualité ont perdu rapidement de la valeur, menaçant de causer une panique bancaire parce qu’il n’y avait alors – et il n’y a toujours – que très peu d’informations sur la propriété les concernant.

Lorsque le gouvernement américain a cherché à racheter ces instruments financiers pour les ôter du marché par l’intermédiaire du « Troubled Asset Relief Program», il a été incapable de les évaluer rapidement, victime du manque d’informations. Il a été obligé alors d’improviser, et les fonds ont été utilisés pour augmenter le crédit public, baisser le taux d’intérêt et consolider les banques. Un traitement dans l’urgence, qui a un peu soulagé les symptômes, mais pas soigné le mal.

Après l’injection, en vain, de grande quantité de monnaie dans les économies des marchés émergeants et de transition, on comprend mieux pourquoi il ne peut y avoir de crédit sans information fiable. Parce que le crédit, et l’économie, sont loin d’être seulement une histoire de « cash ». 

Fermez vos livres de comptabilité, marchez dans une rue animée, et regardez autour de vous : vous constaterez que les commerces, ou les bâtiments, les moins avenants sont ceux qui n’ont pas pu obtenir les moyens de se développer, parce qu’ils ne sont pas enregistrés dans les cadastres, parce qu’ils sont inconnus, et impossibles à connaître mieux.

Instinctivement, nous savons que ce que nous connaissons de l’économie est, plus ou moins, ce que l’on enregistre. Sans enregistrement, il n’y a pas de mémoire, pas de savoir – et donc aucune raison pour faire confiance aux marchés.

Restaurer l’ordre en Occident va au delà de la compétence des spécialistes financiers qui ne sont pas nécessairement en possession des informations requises et n’ont pas les incitations nécessaires pour mettre la main à la pâte et remettre à flot le système qui génère l’information des marchés.


Réparer ce système est une entreprise politique, dans laquelle les hommes doivent avoir le courage de se hisser au dessus des problèmes strictement financiers pour considérer la crise à l’aune des éléments fondamentaux de l’économie. Je n’appelle pas à plus ou moins de régulation, ni à l’injection de plus de monnaie dans l’économie, ni à plus ou moins de dépenses. Je propose simplement de ramener le monde de la finance dans la règle de droit pour mieux éclairer le coté sombre et désordonné de nos marchés financiers.

Cette mise en ordre de l’information, c’est ce que des réformateurs audacieux ont fait en leur temps pour régler les conflits de propriété lors de la Ruée vers l’or en Californie,  pour civiliser le Far West, pour reconstruire l’Europe ruinée d’après-guerre, pour transformer le système féodal japonais en économie de marché (entrapinant par la même occasion la Chine dans le même sens), ou pour ouvrir l’Europe de l’est au reste du monde après la chute du mur de Berlin. Les marchés ne peuvent fonctionner sans l’information produite par le régime de la propriété privée. C’est ainsi que le capitalisme a émergé, et c’est comme ça qu’il peut fonctionner de façon vertueuse.

Une fois qu’il apparaîtra clairement que la récession actuelle est liée à l’organisation de l’information, ou, plus précisément à son manque d’organisation, les gouvernements occidentaux pourront enfin y remettre bon ordre. Cela leur permettra de soigner le mal sans s’enfermer dans un débat droite-gauche sur le type de règlementations des marchés à mettre ou non en place. La seule solution à long terme, c’est de rétablir la vérité sur ce qui existe, et sur qui possède quoi.

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