Sommes-nous devenus plus enclins à aider une personne qui nous a émus sur la toile que notre voisin de palier ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
La vidéo de cette Américaine, humiliée par des enfants dans un bus scolaire, a ému les internautes. Un appel à lui payer des vacances a réuni l'équivalent de … 380 000 euros.
La vidéo de cette Américaine, humiliée par des enfants dans un bus scolaire, a ému les internautes. Un appel à lui payer des vacances a réuni l'équivalent de … 380 000 euros.
©Capture d'écran

Loin des yeux proche du coeur ?

La vidéo d’une surveillante de bus, humiliée par de jeunes élèves, a provoqué une vague d’indignation sur la toile. Près de 380 000 euros ont même été récoltés pour offrir des vacances à la surveillante. Tous ces généreux internautes en auraient-ils fait autant pour leur voisin de palier ?

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli est membre de l’Institut universitaire de France, Professeur Émérite à la Sorbonne. Il a  publié en janvier 2023 deux livres intitulés "Le temps des peurs" et "Logique de l'assentiment" (Editions du Cerf). Il est également l'auteur de livres encore "Écosophie" (Ed du Cerf, 2017), "Êtres postmoderne" ( Ed du Cerf 2018), "La nostalgie du sacré" ( Ed du Cerf, 2020).

 

Voir la bio »

Atlantico : La vidéo d’une surveillante de bus, humiliée par des élèves, a ému beaucoup de personnes sur Internet. Une collecte a été organisée et a permis de récolter près de 380 000 euros pour lui offrir des vacances. Ces levées de fonds sur la toile, pour des personnes dans le besoin, deviennent légion. Sommes-nous devenus plus enclins à aider une personne qui nous a émue sur la toile que notre voisin de palier ?

Michel Maffesoli : D’abord, je tiens à dire que ce qu’on appelle « virtuel » a aussi une forme de réalité. Dans notre tradition très cartésienne, il y a toujours eu un petit côté péjoratif quand on parle de virtuel. Nous opposons systématiquement réel et virtuel, c’est un petit peu écrit dans nos gènes judéo-chrétiens. Nous avons toujours peur de l’image, de ce qui n’a pas de contact direct. Mon sentiment est que dans le fond il y a autant de réel dans ce qu’on appelle le virtuel que dans le réel lui-même.

On s’aperçoit que nous ne sommes plus dans la verticalité des institutions auxquelles nous étions habitués, en particulier en France. C’est ce que j’appelle « l’horizontalité de la loi des frères » et qui succède à la « verticalité de la loi des pères ». On voit se développer ce phénomène dans tous les domaines et l’histoire de cette contrôleuse de bus en est une illustration.

La vraie « socialité » se crée de plus en plus à travers Internet. Au travers de la toile, on remarque de nouvelles formes de solidarité et de générosité qui sont en train de se créer. Ce fameux « virtuel » est bien aussi réel que ce que nous appelons la réalité. Il va falloir que nous intégrions ce fait.

L’image de cette femme en pleurs a dû également jouer un rôle dans l’émotion collective provoquée par cette histoire ?

Il est crucial d’avoir à l’esprit que l’image va jouer un rôle de plus en plus important. J’appelle cela « la rébellion de l’imaginaire ». La formule de Descartes, « l’imagination est la folle du logis », nous a bien marquée. Dans le fond, cette tendance s’inscrivait dans ce qu’on appelait traditionnellement l’iconoclaste, ce qui casse l’image.

Or, avec le développement technologique, l’image se rebelle et prend une place loin d’être négligeable. L’exemple de cette contrôleuse de bus est à cet égard éclairant. C’est l’hystérie, l’émotion collective, cela ne remue pas le cerveau.

C’est parce qu’il y a une image, une vidéo, que ces nouvelles formes de solidarité peuvent s’exprimer de manière de plus en plus forte.

Le réel et le virtuel peuvent donc largement coexister ?

Ce n’est pas exclusif. Il existe une certaine complémentarité. Nous avons des études sur le fait que beaucoup de gens visitent désormais virtuellement le musée du Louvre, via un smartphone ou un ordinateur. L’habitude est de dire : « consulter le Louvre sur Internet, ce n’est pas y aller » C’est faux ! Au contraire, cela permet de se focaliser, de faire des choix plus judicieux sur ce qu’on compte visiter, etc. On consulte donc virtuellement le musée mais de manière beaucoup plus claire et approfondie.

Encore exemple de la complémentarité du réel et du virtuel : les sites de rencontre type Meetic. Le virtuel est une aide qui développe ce qu’on appelle le réel.

Dans le cas de la contrôleuse de bus, il y a donc quelque chose de virtuel (la vidéo sur Internet) mais cela suscite une réalité, une concrétisation (380 000 euros récoltés).

Les  États-Unis sont-ils plus « atteints » par ce phénomène ?

Je ne crois pas que les États-Unis constituent un modèle. Les cas de la Corée du Sud et du Japon sont beaucoup plus intéressants. Ces types de phénomène y sont monnaie courante. C’est également le cas en Amérique latine où, de fait, les gens sont rentrés de plein pied sur Internet et n’ont pas eu les formes de média intermédiaires comme l’Europe et les États-Unis. Le « laboratoire en gestation » dans ce domaine serait donc plutôt en Extrême-Orient ou en Amérique du Sud.

Le harcèlement à l’école implique le plus souvent deux élèves, une « petite frappe » et un « souffre-douleur ». Ici, les élèves n’hésitent pas à s’en prendre à une adulte. Qu’est-ce que cela dit sur l’évolution de nos rapports avec les aînés ?

Je crois qu’il faut prendre quelques précautions et se demander ce que représentait vraiment cette personne pour les enfants. Dans la vidéo, il n’est pas indiqué quel était son caractère, de quelle manière elle interagissait avec les enfants avant cette « altercation ». Qui vous dit que cette femme n’avait pas abusé de son pouvoir ? L’attitude violente des enfants ne serait à ce moment-là qu’une réaction contre un « vieux modèle surplombant ». Il est difficile de se prononcer d’une manière générale à partir d’un exemple très restreint.

Ceci étant dit, la « loi du père », ou ce pouvoir surplombant des autorités, n’est plus naturelle. Le respect venait automatiquement avec le statut (un père, un professeur, un surveillant, etc). On a remarqué que subrepticement, depuis les années 60, s’est opérée une lente dégradation de cette verticalité. L’ « horizontalité » est de rigueur, ce sont par exemple les phénomènes de wiki, comme Wikipédia. D’une certaine manière, cela court-circuite le pouvoir de l’encyclopédie universelle.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !