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De plus en plus de consommateurs se tournent vers l'alimentation locale, les circuits courts et s'intéressent à l'origine des produits alimntaires qu'ils achètent.
De plus en plus de consommateurs se tournent vers l'alimentation locale, les circuits courts et s'intéressent à l'origine des produits alimntaires qu'ils achètent.
©LOIC VENANCE / AFP

Consommation

De nombreuses études révèlent que le transport ne joue qu’un faible rôle dans l’empreinte énergétique de notre production alimentaire (seulement 5% de l'empreinte carbone). Alors que les consommateurs se tournent vers les circuits courts, d'autres solutions existent pour diminuer notre empreinte carbone vis-à-vis de l'alimentation.

Philippe  Stoop

Philippe Stoop

Philippe Stoop est membre correspondant de l’Académie d’Agriculture de France, où il intervient sur l’évaluation des effets sanitaires et environnementaux de l’agriculture. 

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A l'occasion de l'été, la rédaction d'Atlantico republie les articles marquants de ce début d'année 2022

Atlantico : Alors que "les systèmes alimentaires" étaient responsables en 2015 de 34% des émissions de gaz à effet de serre d'origine humaine, de nombreuses études révèlent que le transport ne joue qu’un petit rôle dans l’empreinte énergétique de notre production alimentaire (environ 5 % de l’empreinte carbone). Comment expliquer un tel chiffre ?

Philippe Stoop : Ce chiffre de 5% pour les transports est une moyenne à l’échelle mondiale. Dans le pays développés et fortement importateurs comme la France, la « facture » environnementale du transport est plus élevée, mais reste très modérée. Il y a deux raisons à cela :

  • D’une part, le transport des produits agricoles et alimentaires est globalement assez performant sur le plan environnemental. On pense souvent aux excès des transports de produits frais par avion, comme les fruits de contre-saison d’Amérique Latine ou d’Afrique du Sud, mais ils sont très minoritaires : en tonnes*km parcourus, les transports par avion ne représentent que 0,5% des transports (mais 5% des émissions). La grande majorité des transports à longue distance est assurée par bateau, avec une faible consommation énergétique par tonne transportée (57% des transports, mais à peine plus de 10% des émissions de GES). Le « maillon faible » est le transport routier (83% des émissions de CO2). Au final, le transport des aliments « de la fourche à la fourchette » représente 30Mt de CO2/an : cela parait considérable mais ne représente que 18 % du total des émissions de l’ensemble de la filière. Et, contrairement à ce que l’on croit souvent, le « dernier km », du lieu de vente au domicile du consommateur, est loin d’être négligeable : il représente 27% de l’empreinte carbone totale du transport.
  • En fait, les plus gros postes d’émissions de gaz à effets de serre sont à l’étape de la production agricole elle-même : 2/3 du total. Cela représente les consommations d’énergie du matériel agricole, et de la fabrication des intrants, les engrais azotés en particulier qui génèrent du CO2. Mais aussi, et surtout, les émissions de méthane produites par les animaux d’élevage, et de protoxyde d’azote (N20) produit par les sols cultivés. Les quantités produites sont plus modestes, mais elles sont aggravées par le fait que ces gaz ont un effet de serre beaucoup plus élevé que celui du CO2 : 25 fois pour le méthane, près de 300 fois pour le N2O. Au final, ces deux gaz représentent donc 40 et 35% respectivement de l’effet de serre produit par l’agriculture.

Si le transport n’est responsable que d’une petite partie des émissions de carbone, quels facteurs de notre production alimentaire génèrent des gaz à effet de serre ? Certains types de produits en génèrent-ils plus que d’autres ? 

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En dehors du transport et de la production agricole déjà évoquée, les autres postes d’émissions de GES sont la transformation des produits agricoles et la préparation des aliments par les industries alimentaires, les points de vente et les consommateurs eux-mêmes. Mais à eux trois ces postes ne pèsent que pour 15% environ du bilan carbone. C’est donc bien au niveau de la production agricole que sont les gros enjeux, avec de très fortes disparités selon les produits : au niveau mondial, un kg de blé a une empreinte d’environ 1,6kg de CO2, celle d’un kg de soja 3,2 kg de CO2. Ce sont les produits animaux qui ont la plus forte empreinte carbone, puisqu’il faut y intégrer celle des plantes qui les ont nourris : 3,2 kg de CO2 pour 1kg de lait, mais 10 pour les volailles, 12 pour le porc. Ce sont les ruminants qui ont la plus forte empreinte carbone, avec 33kg environ de CO2 pour une vache laitière (après déduction de la part attribuable à sa production de lait), 40kg pour les ovins, et jusqu’à 99kg pour les bovins viande.

Dans ce contexte, comment expliquer la si bonne réputation du « localisme » et des circuits courts, à qui on prête souvent un rôle de bienfaiteur pour l’environnement ?

Les consommateurs ont tendance à projeter sur leur alimentation le mode de calcul de leur propre empreinte carbone, où l’énergie et les transports sont les postes déterminants, comme pour les produits industriels. Mais ce n’est pas du tout le cas pour l’agriculture, où les causes majeures de production de GES sont les phénomènes biologiques associés à la croissance des plantes et des animaux.

Bien entendu, cela ne retire rien à l’intérêt du « locavorisme » pour restaurer les liens entre les mondes ruraux et urbains, et permettre à certains agriculteurs de mieux valoriser leurs produits. Mais il est erroné de croire que l’alimentation locale est forcément meilleure pour l’environnement.

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Au niveau des exploitations agricoles, les leviers sont multiples, mais il n’y a pas de solution miracle et il faut se méfier des idées simplistes. Contrairement à ce que l’on croit souvent, revenir à une agriculture plus extensive n’est pas une solution : même si les intrants de synthèse utilisés en agriculture ajoutent leur propre empreinte carbone à celle de la culture elle-même, c’est souvent compensé par leur meilleure efficience, et le fait qu’ils permettent d’obtenir des rendements plus élevés : en réduisant la surface agricole nécessaire pour produire 1kg d’aliment, il réduisent les émissions de GES produite spontanément par le sol, qui sont loin d’être négligeables par rapport à celles induites par les engrais. De plus, contrairement à ce qu’a laissé croire la campagne de presse qui avait accompagné le vote (heureusement repoussé) d’une taxation des engrais azotés au printemps dernier, les engrais organiques produisent autant de N20 que les engrais de synthèse.

Pour réduire les émissions de GES au niveau de leurs exploitations, les agriculteurs peuvent mobiliser toute une série de leviers différents :

  • Pour le C02, séquestrer du carbone dans leurs sols, en y incorporant plus de résidus de leurs récoltes qui vont s’y transformer en matière organique, ou en recourant davantage aux engrais organiques (dont c’est le seul vrai bénéfice environnemental). La restauration de haies ou la transition vers l’agroforesterie sont d’autres façons de stocker du carbone de façon durable.
  • Pour le N20, mieux ajuster les apports d’engrais azotés (qu’ils soient de synthèse ou organiques), afin que leur libération par minéralisation dans le sol coïncide au mieux avec les périodes de croissance de la culture, en évitant les périodes où le sol est gorgé d’eau, particulièrement favorables à la production de N20.
  • Pour les émissions de méthane par les troupeaux, les solutions passent par une meilleure maitrise de l’efficience et de la qualité de l’alimentation, en particulier en maximisant la teneur de l’alimentation en ALA (acide alpha linolénique), contenu par exemple dans la luzerne et la graine de lin).

Mais les agriculteurs ne sont pas les seuls à pouvoir agir : les choix des consommateurs seront tout aussi importants. Une évolution vers un régime plus flexitarien sera déterminante. Mais là aussi, les mesures radicales et manichéennes ne sont pas de mise. Malgré la forte empreinte GES de l’élevage bovin, il serait absurde de bannir totalement la viande rouge de nos assiettes : d’une part parce que les bovins fournissent aussi le lait, une source majeure de protéines, dont l’empreinte environnementale est du même ordre que celle des protéines végétales. D’autre part parce que l’élevage des bovins à l’herbe, dont l’empreinte est particulièrement élevée, permet par contre l’entretien de paysages essentiels pour la biodiversité. De plus, contrairement aux porcs et aux volailles, l’alimentation des ruminants est complémentaire plutôt qu’en concurrence avec celle des humains : grâce à leur capacité à digérer la cellulose, ils peuvent valoriser des sols pauvres ne permettant de produire que de l’herbe, qui auraient une productivité très faible pour alimenter les humains.

Réduire notre empreinte alimentaire est donc l’affaire de tous, et ne se prête pas aux solutions simplistes. Pour les agriculteurs, il s’agit de démarches hautement techniques, relevant pleinement de l’agriculture ou de l’élevage dits « de précision », et non d’un retour à l’agriculture d’autrefois.

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