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Et si, après le choc PSA Peugeot-Citroën, on abordait enfin
la question des vraies réformes
pour sauver notre industrie ?
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Des réformes !

Alors que PSA Peugeot-Citröen vient d'annoncer la suppression de 8 000 postes, imaginer qu'il suffirait d'abaisser les salaires des ouvriers français pour relancer notre compétitivité relève de l'aveuglement idéologique. Cotisations sociales, charges patronales, TVA sociale, flexibilité ou encore rôle des syndicats... Voici le tour de pistes des réformes jamais entreprises et qui auraient pu éviter un tel choc.

Hubert Bonin

Hubert Bonin

Professeur d'histoire économique à Sciences Po Bordeaux.

Chercheur au Groupe de recherche en économie théorique et appliquée du CNRS de Bordeaux.

 

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Oser imaginer qu’il suffirait d’entailler les salaires des ouvriers et techniciens de l’industrie automobile française (ou des autres branches manufacturières) pour redonner de la compétitivité internationale aux entreprises qui ferment des usines relève de l’aveuglement ! Cela constituerait d’ailleurs un casus belli social… Ce serait surtout oublier un fait essentiel : depuis le démarrage de la troisième révolution industrielle dans les années 1970-1980 et la fin du « fordisme technique » (travail à la chaîne, division extrême du travail, taylorisme à outrance), l’automatisation, la robotisation, la flexibilité de la chaîne (plusieurs voitures ou types de voitures pouvant être produits sur les mêmes machines à commande numérique) ont comprimé énormément la masse de main-d’œuvre utilisée dans la majorité des activités manufacturières. Nos ouvriers ne sont plus les prolétaires de base de jadis (genre « Les Temps modernes ») mais des salariés polyvalents, réactifs, chargés de gérer peu ou prou les enjeux immédiats de qualité, dans le cadre de ce qu’on appelle « le toyotisme ». L’on ne peut les traiter comme de vulgaires « gagne-petit » !

Deux enjeux sont néanmoins au cœur des débats. Tout d’abord, la question des cotisations/charges sociales patronales suscite des polémiques autour de la différenciation causée par une « surcharge » en France ; mais l’on n’est jamais parvenu depuis une dizaine d’années à négocier sereinement et sérieusement ce point, d’autant plus qu’on l’a transformé en polémiques autour de la fameuse « TVA sociale », thème qui a troublé les élections législatives de 2007 et qui a nourri un « passage en force » ridicule à l’extrême fin du mandat du président Sarkozy. À quand un cycle de négociations « entre adultes » sur ce sujet ?

Le second débat, lui aussi récurrent, touche aux gains de compétitivité qu’on pourrait aisément obtenir en négociant des accords de « flexibilité ». N’oublions pas que, discrètement, dans un codicille, la loi Aubry sur les 35 heures avait prévu la possibilité d’une semestrialisation du temps de travail, et que divers textes successifs, depuis 2002, ont « aménagé » ce genre de modifications. Mais l’on n’a jamais eu France le courage de négocier de « beaux accords » comme en Scandinavie ou en Allemagne pour permettre aux entreprises de faire varier leurs effectifs, mois par mois, en fonction de la conjoncture, tout en maintenant leurs salariés dans leur mouvance. Du coup, on le sait, nos constructeurs automobiles coupent dans leurs effectifs, insensiblement ; et, surtout, ils s’appuient sur un volant de main-d’œuvre intérimaire hyper flexible (et plutôt « exploité » car instable ou précaire, même si elle dépend des conventions collectives de ce secteur de l’intérim). À quand donc un cycle de négociations « entre adultes » sur ce sujet ?

Par ailleurs, même en taillant à la hache dans les salaires, l’on n’atteindrait jamais le niveau des usines « à bas coût » installé en Europe centrale pour produire les petits modèles (Slovénie, Tchéquie, Slovaquie, Roumanie, notamment). C’est une pure illusion que d’en faire une solution viable – sans parler des effets sur le pouvoir d’achat en général. La paupérisation du pays n’est pas la réponse à la crise de compétitivité !

Il faut donc œuvrer sur le moyen-long terme : négocier entre syndicats responsables, patrons fiables, hauts fonctionnaires lucides, autour des thèmes de la flexi-sécurité ; des projets de fermeture, pour anticiper de plusieurs années, avec transparence et sincérité, sur les décisions inéluctables – puisque des experts assurent qu’il faudrait couper un dixième au point des capacités de production automobile en Europe de l’Ouest ; et enfin des fonds à affecter à la formation permanente (afin d’adapter les salariés aux mutations techniques, quel que soit leur âge) et à la formation de recyclage. Mais c’est autre chose, évidemment, que d’organiser une « grande messe sociale » devant des centaines de membres des « forces vives » pour y déclamer des discours lénifiants !

Tout cela ne doit pas faire oublier qu’il nous manque un Grand Conseil de stratégie industrielle : des patrons se sont avérés conduire des stratégies peu efficaces, mais il a fallu attendre des semestres pour leur conseil d’administration les remette en cause, sur la pression d’actionnaires institutionnels impatients. La reprise par General Electric d’une grosse usine de turbines à gaz Alstom à Belfort a débouché sur une relance fantastique de la compétitivité commerciale et technique et donc des garanties sur l’emploi ; et cela a été aussi le cas de la branche Biscuit Lu reprise à Danone par Kraft…

Nombre d’experts (universitaires, ceux du groupement Gerpisa, notamment, analystes, journalistes, ceux des Échos, par exemple) ont émis nombre d’interrogations sur le talent gestionnaire et le sens stratégique de la famille Peugeot, aujourd’hui en cause. Le groupe doit-il rester alourdi d’une grosse activité de transports et logistique (Gefco), même si elle transporte ses voitures ? Doit-il conserver une forte activité de composants automobiles (Faurecia) ?

Ne pourrait-il pas s’alléger, devenir plus « agile », dénicher des fonds pour investir plus rapidement et plus sur le cœur de ses métiers ? Et, surtout, ne devrait-il pas augmenter fortement ses fonds durables (actions, obligations convertibles »), quitte à diluer le poids de la holding familiale (un petit tiers du capital) ? Au-delà des vitupérations grandiloquentes d’un gouvernement tout aussi impuissant que son prédécesseur, il serait temps de lancer une grande commission d’information et d’enquête, qui travaillerait tout l’été, et un Grand Conseil stratégique, plus réactif que l’ex-Commissariat au Plan, où l’on pourrait débattre (toujours « entre adultes », donc loin de la démagogie politicienne ou celle de certains syndicalistes) de l’avenir de « notre » industrie automobile ?

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