Malaise dans les cartables
Théorie des genres : "Les politiques n'ont pas à jouer aux scientifiques"
80 députés ont demandé au ministre de l'Education de retirer un chapitre controversé des manuels de SVT de Première. La théorie du genre, qui fait de la masculinité et de la féminité des constructions sociales, fait débat. Ou pas selon Emilie Coutant...
Emilie Coutant
Si vous n’en avez pas marre de vivre dans un pays gouverné par de vieux réactionnaires d’inspiration frontiste, bonne rentrée à tous et prenez vos manuels ! Si au contraire vous avez envie de prendre la fuite, bon voyage et profitez de votre chance : il parait que la prise de distance et le recul favorise l’ouverture vers le monde et la prise en compte de l’altérité. A bon entendeur...
Traditionalisme forcené
En organisant une fronde « anti-théorie du genre dans le manuel de SVT des classes de Première » via une lettre ouverte au ministre de l’Education Nationale, les 80 députés de droite (en grande partie UMP) réagissant à l’introduction d’un chapitre intitulé « Devenir homme ou femme – Vivre sa sexualité », ont en effet montré une bien piètre image de notre pays, de sa conception des identités sexuées et des sciences sociales. Leur souhait de voir retirer ce chapitre mettant en évidence l’aspect socialement construit de l’identité sexuée et sexuelle (théorie, issue des gender studies américaines, selon laquelle les catégories d’ « homme » et de « femme » sont des constructions performatives qui ne sauraient être basées sur des critères exclusivement biologiques) s’apparente à un appel à la censure, animé par un traditionalisme forcené.
En effet, ce spectacle caricatural et désolant dont nous font part nos élus fait suite à l’indignation de nombreux mouvements religieux qui, dès le mois de mai, réagissaient à l’apparition de ce questionnement dans les programmes scolaires. Relayant le discours du lobby des Associations familiales catholiques, les députés s’appuient en outre sur la prise de position de l’essayiste royaliste Gérard Leclerc (éditorialiste du magazine France Catholique et de Radio Notre-Dame) pour dénoncer un « subtil glissement de la science vers l’idéologie » (sic). Ainsi, derrière cette pseudo défense de l’école laïque et républicaine, se cachent en fait un relent de discours traditionalistes voire réactionnaires caractérisés par le refus des différences et une homophobie d’un autre temps.
Quand les politiques jouent aux scientifiques
Si Luc Châtel a rappelé que les programmes de l’Education Nationale ne faisaient pas référence à cette fameuse gender theory (en indiquant sur RTL, mercredi, qu'il ne céderait pas à la demande de 80 députés) et que le ministère avait laissé aux éditeurs une totale liberté éditoriale quant à la rédaction du dit-manuel, il convient de tout de même de rappeler que, selon le Bulletin Officiel du 30 septembre 2010, le thème « "Devenir homme ou femme" [visait] à fournir à l'élève des connaissances scientifiques clairement établies, qui ne laissent de place ni aux informations erronées sur le fonctionnement de son corps ni aux préjugés ». Dépasser les préjugés en les interrogeant et en les remettant en cause, n’est-ce pas justement le rôle de la sociologie, et le point de départ de toute démarche scientifique ? De nombreux chercheurs et intellectuels se sont d’ailleurs mobilisés pour s’indigner contre cet acharnement politique et cette vision rétrograde de l’identité. L’Institut Emilie du Châtelet, spécialisé dans les recherches sur les femmes, le sexe et le genre, a d’ailleurs initié une pétition dans laquelle il rappelle qu’« il n’appartient nullement aux politiques de juger de la scientificité des objets, des méthodes ou des théories [et que] seule la communauté savante peut évaluer les travaux de ses pairs: le champ scientifique, par ses contrôles, en garantit la rigueur ».
Au-delà de cette non moins scandaleuse remise en cause des théories scientifiques du genre et des recherches sur la construction sociale et culturelle des identités sexuées et sexuelles, ce débat révèle de nouveau l’écart profond, véritable fossé béant, qui existe entre la classe dirigeante et le peuple qu’elle gouverne. Animée par des valeurs judéo-chrétiennes et modernes en voie de saturation, cette classe dirigeante se veut porteuse d’un discours sur la Pensée Officielle, straight, abstraite et rationnelle, qui gomme volontairement les différences, les marginalités et les aspérités en brandissant l’étendard de l’assignation normative à une identité. Une identité une et unique, coercitive et hétéronormative, au service de la sexualité procréative, du travail, de la famille et de la patrie. Bonne rentrée à tous.
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