"Secrétaire national du PS, je pense que la vision de Manuel Valls sur les Roms est à courte vue"<!-- --> | Atlantico.fr
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Lorsqu’on démantèle des camps et qu'on reconduit à la frontière les Roms, ils vont tenter de revenir.
Lorsqu’on démantèle des camps et qu'on reconduit à la frontière les Roms, ils vont tenter de revenir.
©Reuters

Démantèlement

Manuel Valls s'est justifié dans Libération sur la question du démantèlement des camps illégaux de Roms. Mais Pouria Amirshahi, Secrétaire national aux Droits de l'Homme au sein du PS, se montre critique vis-à-vis de la politique menée par le ministre de l'Intérieur.

Pouria Amirshahi

Pouria Amirshahi

Pouria Amirshahi est membre du bureau national du PS. Il est également député de la neuvième circonscription des Français établis hors de France (Afrique du Nord et de l'Ouest).

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A lire sur le même sujet : 80% des Français favorables au démantèlement des camps illégaux de Roms... mais 73% jugent la mesure inefficace

Atlantico : La position de Manuel Valls sur la question des Roms a été très critiquée ces derniers jours. Atlantico a toutefois publié un sondage qui indique que 80% des Français sont favorables au démantèlement de leurs camps illégaux. Vous êtes le Secrétaire national du PS en charge des questions des Droits de l’Homme : considérez-vous que ces démantèlements sont nécessaires ?

Pouria Amirshahi : Si on prend le problème de cette manière en mettant le terme « illégal » dans la question, il faut évidemment répondre oui... Mais je ne partage pas cette approche.

Le fait de déplacer le problème sans le régler peut coûter cher à la France. Lorsqu’on démantèle des camps et qu'on reconduit à la frontière les Roms, ils vont tenter de revenir. Manuel Valls le reconnait lui-même.

Par ailleurs, souvenons-nous que les Roms sont menacés et maltraités dans leurs pays d’origines. Ils migrent parce que chez nous « l’herbe est un peu plus verte » : il existe des possibilités de protection et de sécurité qu’il n’y a pas ailleurs dans le monde.

En outre, si on veut pouvoir permettre une intégration des Roms, il faut lever leur interdiction de travailler. On entrerait alors dans une logique vertueuse d’intégration. Il s’agissait d’ailleurs d’une des grandes contradictions de Nicolas Sarkozy qui disait qu’il fallait revaloriser la valeur travail tout en plaidant pour cette interdiction. Dès lors que vous ne travaillez pas, vous créez vous-même les conditions de pauvreté tout en faisant perdurer les cercles mafieux qui peuvent exister dans des économies parallèles.

Je ne suis pas angéliste, je comprends la position de Manuel Valls qui est celle de faire respecter la loi, je peux comprendre qu’on cherche à répondre à des problématiques de cohésion territoriale, mais je ne crois pas à la stratégie du coup par coup. Lorsque les gens du voyage s’installent sur un camp où il n’y a ni eau ni électricité, c’est compréhensible qu’ils sombrent vite dans l’illégalité.

Une action politique doit s’inscrire dans le long terme. Il suffirait de faire en sorte que sur un an ou deux, on allie des personnes compétentes comme des médecins, des psychologues avec les collectivités territoriales et l’Etat pour créer des parcours d’insertion des Roms. Par exemple, créer des obligations pour eux de scolariser les enfants.

Pour résumer : il y a un travail important d’intégration et d’accompagnement à faire, axé en priorité sur les enfants.

Qu'en est-il des devoirs des Roms ? N’est-ce pas également à eux de s’adapter aux lois françaises ?

On ne s’adapte pas à la misère quand on n’est pas aidé. Tout le monde doit s’adapter aux lois. Les Roms, comme toutes les populations étrangères, doivent respecter les lois françaises. Mais le fait est qu’il existe des poches de pauvreté qu’on ne fera pas reculer grâce à des reconduites à la frontière. Il faut accepter de poser le problème, mais l’Etat doit inscrire des programmes d’insertion sur l’école, le travail, la sédentarisation, le tout sur plusieurs années.

Et quand Manuel Valls évoque la « fermeté » nécessaire sur cette question…

Mais que signifie donc le fait d’être ferme ? Notre objectif demeure que les populations en France et en Europe ne soient plus discriminées. Il faut donc renforcer les coopérations entre pays européens. Manuel Valls le dit, mais restreint également cette coopération policière. Il faut notamment que cessent les discriminations en Roumanie, qui sont proprement intolérables.

Pensez-vous que votre discours est audible par les populations qui se situent à proximité des camps de Roms et dont le point de vue semble sensiblement différent du votre ?

Cela est compliqué, car ces situations créent évidemment des nuisances. Je suis contre les discriminations et la chasse aux Roms mais j’assume devant l’opinion le problème et les moyens que se donne l’Etat pour y mettre un terme. Je continue de penser que les démantèlements ne servent à rien car cela déplace le problème.

C’est précisément ce que pensent les Français : selon notre sondage, 73 % d’entre eux indiquent que cela ne fait que déplacer le problème…

C’est du bon sens. L’autorité et la fermeté doivent servir à dire que nous souhaitons mettre en place une politique d’insertion durable, grâce au Pôle emploi, à l’Education nationale…

Vous dites que vous n’êtes pas angéliste, mais vous semblez tout de même sacrément optimiste…

Je suis en effet optimiste et je crois que l’action publique porte ses fruits quand on s’en donne les moyens. Manuel Valls devrait se rappeler que quand la pédagogie de l’opinion s’appuie sur la raison et la vérité, elle produit toujours ses effets.

Pensez-vous qu’il fait preuve ici de démagogie ?

Non, mais je pense qu’il a une vision à courte vue. Si le gouvernement est dans la culture de l’immédiateté, il sera rattrapé par un temps qui va plus vite que lui.

80% des Français, selon notre sondage, sont favorables au démantèlement des camps illégaux de Roms. Même son de cloche chez les sympathisants PS où ils sont 71 %. Votre position n’est-elle pas en totale opposition avec les attentes des Français ?

J’assume d’avoir un débat avec les Français ou les sympathisants socialistes pour leur expliquer qu’un démantèlement ne suffit pas. Assumons  le fait que mettre fin à ce problème prend du temps.

Regardons les quartiers qui étaient des bidonvilles à Saint Denis il y a 30 ans. Il a fallu réinventer une politique de la ville et, malgré les imperfections du système, il y a eu des améliorations. Il ne faut pas chercher à assouvir ou à satisfaire l’instinct de peur, la peur du pauvre.

On parle beaucoup de Manuel Valls. Ne faudrait-il pas que François Hollande prenne la parole sur ce sujet ?

François Hollande s’est exprimé pendant la campagne. Il a été clair et explicite puisqu’il était pour la levée des mesures transitoires, qui permettent à ces populations de s’intégrer avec leur famille en sortant de l’illégalité.

 Il y a une marge entre les discours de campagne et la pratique du pouvoir…

Pas pour moi. Je ne juge pas les gens en fonction de ce qu’ils disent ni en fonction de ce qu’ils font mais en fonction de l’adéquation entre les deux. Il se trouve que le gouvernement Ayrault est là pour mettre en œuvre le programme de François Hollande. Manuel Valls n’est pas le Premier ministre. Il faut développer la cohérence intergouvernementale sur la question des Roms.

Puisque les positions de Manuel Valls semblent différer des promesses de campagne de François Hollande, devrait-il être rappelé à l’ordre par Jean-Marc Ayrault ?

Il faudrait surtout que le ministre de l’Intérieur ne soit pas le seul à traiter des questions des Roms. Les ministre de la Famille, des Affaires sociales, ou de la Lutte contre les exclusions devraient s'emparer enfin de cette question.

 Je fais le pari que dans deux ou trois ans, grâce à une action coordonnée, on peut inverser la tendance sur la situation des Roms, tant pour cette population que pour les riverains.

Cette posture morale n’est-elle pas l’une des raisons pour lesquelles la gauche a mis des années à revenir au pouvoir ?

J’assume ce discours. Etre de gauche, ce n’est pas être de droite. Et être de droite n’est pas une condition pour gagner l’élection.

Encore une fois, 71% des sympathisants de gauche sont favorables à ces démantèlements…

Ils sont le reflet d’une contradiction. Les Français ont voté pour François Hollande pour les mesures qu’il a proposées, notamment en ce qui concerne les mesures transitoires sur les Roms, même si j'imagine que tout le monde ne les a pas forcément lues. On peut avoir des propositions de gauche et être élu.

Propos recueillis par Aymeric Goetschy

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