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Avec Cécile de France, la science est tout de suite plus sexy... (Le tour du Monde en 80 jours d'après Jules Verne, 2003).
Avec Cécile de France, la science est tout de suite plus sexy... (Le tour du Monde en 80 jours d'après Jules Verne, 2003).
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Science sans conscience...

A l'heure où le Japon et le monde vivent dans l'angoisse d'une catastrophe nucléaire majeure - la centrale de Fukushima, sinistrée par le tremblement de terre et le tsunami du 11 mars n'étant toujours pas sous contrôle - le scientifique Michel Claessens s'interroge : Peut-on communiquer la science sans la dénaturer ? Peut-on éduquer le grand public sans le désinformer ?

Michel Claessens

Michel Claessens

Michel Claessens est directeur de la communication du projet ITER à Cadarache.

Docteur en sciences, il a été journaliste scientifique. Son dernier ouvrage s'intitule Allo la science ? (Editions Hermann, 2011).

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L’accident de la centrale nucléaire de Fukushima montre, une fois de plus, la difficulté d’informer le public sur des sujets techno-scientifiques complexes. Bien que disposant d’une solide formation scientifique, il m’a fallu consulter et confronter de nombreuses sources pour savoir ce qui se passait dans les réacteurs et déterminer si les accidents qui s’y sont produit sont « très » graves ou « simplement » graves.

Difficile pour le citoyen français de comprendre l'accident nucléaire japonais...

J’imagine donc aisément les difficultés du citoyen lambda (que nous sommes tous !) à naviguer dans le brouillard des becquerels, des doses admissibles, des moyennes temporelles, des millisieverts et de la radioactivité naturelle. Résultats présentés sans point de référence, absence d'unité, confusions entre valeurs absolues et relatives : comment le public qui n'a pas mon niveau de formation peut-il, sur des questions scientifiques et techniques, trier le bon grain de l'ivraie ?  Les chiffres dont on nous abreuve ouvrent parfois la porte, paradoxalement, à l'approximation et la manipulation. Et les mots ajoutent parfois à la confusion : « pas d’élévation anormale » de la radioactivité entend-on par exemple au JT. Mais si, à Fukushima, élévation il y a bien, n’est-elle pas évidemment « anormale » ?

Le problème est profond. Médiateur scientifique, je constate que, sur des sujets controversés comme l'impact sur l'environnement et la santé humaine des OGM, des téléphones portables et des antennes relais, les données scientifiques disponibles actuellement convergent pour dire que, sur le plan de la santé humaine, il n'y a pas de risque avéré. Ce message, pourtant, ne passe pas, ni dans les médias ni a fortiori dans le public. La visibilité accordée aux opposants à ces technologies paraît, à cet égard, démesurée. Au même instant, le dernier livre de Claude Allègre, L'Imposture climatique, trône en tête de gondole dans les grandes surfaces. Et les talkshows ouvrent grand leurs écrans au créationnisme, au dessein intelligent, à la voyance, etc.

Réconcilier science et grand public

Bref, la question doit être posée au risque de lever un grave paradoxe : est-il encore possible, dans nos sociétés techno-scientifiques, de communiquer la science et d'éduquer le public dans ce domaine ?

Bien que consciente que le public doit recevoir une information scientifique de qualité, la communauté des chercheurs exprime également son malaise. A quoi bon en effet vulgariser, informer, communiquer la science ? Voyez donc le résultat : près d'un Européen sur trois croit toujours que le Soleil tourne autour de la Terre ! Et ce pourcentage est resté inchangé depuis plus de trente ans malgré les efforts quasiment … astronomiques consacrés à expliquer la structure de notre système solaire. Un message repris et rabâché par le corps scientifique, qui y voit la cause des maux européens : le public du Vieux Continent est sous-cultivé en sciences et, pour cette raison, frileux à l'égard des avancées scientifiques et techniques – au contraire des Américains notamment

L'information scientifique en crise

Il y a bien une crise de l'information scientifique, en Europe notamment. La très sérieuse revue Nature a récemment tiré la sonnette d’alarme en évoquant le « chant du cygne » du journalisme scientifique. La fragmentation du savoir, la balkanisation de la science, la réduction des effectifs dans les salles de presse et la course contre la montre exacerbée par Internet rendent très difficile tout travail journalistique digne de ce nom, dès lors réduit à sa plus simple expression – la traduction. A l'heure de la communication choc, la science a-t-elle encore une place au show ?

Ralph J. Cicerone, Président de la puissante Académie nationale des sciences américaine, a évoqué dans la foulée du Climategate les effets d'une crise de confiance qui frapperait non les chercheurs des sciences climatiques mais l'ensemble de la communauté scientifique mondiale. Et d'exhorter les scientifiques "à se discipliner davantage et à mieux communiquer pour contrer les positions extrêmes qui s'expriment à la télévision, à la radio et sur Internet " [1]. On en dirait autant. Mais l'information scientifique est trop importante pour la laisser aux mains des seuls scientifiques. Concilier ou réconcilier science, société et démocratie est à ce prix.

De la science à la "médiascience"

De la science, notre société goûte surtout ce que j'appelle la « médiascience », cette science (in)filtrée par les médias et servie sur un plateau (TV) au public. Bien qu'imparfaite et souvent critiquée, la médiascience me semble plus que jamais nécessaire à la vraie science. Forme spécifique d’accès au monde dans lequel nous vivons, elle apporte à la science ce qui lui manque le plus aujourd'hui : une visibilité publique et politique ainsi qu'une présentation synthétique et contextualisée.

« La science a deux ennemis : l'argent et la presse », affirme Claude Allègre [2]. Qu’il me soit permis de contredire l'ancien ministre sur le second point. Une médiascience de qualité est plus que jamais nécessaire à la (vraie) science. Les publications scientifiques sont inaccessibles au public et même à la très grosse majorité des scientifiques. Et tant que les scientifiques communiqueront, à peu de choses près, avec le public comme ils communiquent avec leurs pairs, difficultés et tensions seront toujours là.

La médiascience : miroir déformant mais contre-pouvoir efficace

A cette communauté scientifique, qui entre avec quelque difficulté dans cette société dite de la communication, bien que elle-même à l'origine de ces nouveaux outils - un paradoxe de plus ! -, la médiascience représente une formidable ouverture. Miroir déformant, certes, de la science, la médiascience est surtout une fenêtre qui permet au public de garder le contact avec la recherche, de prendre connaissance des tenants et aboutissants des travaux en cours et de participer aux grandes orientations de la société sur ces questions. Le développement de notre société, que nous souhaitons tous et toutes aussi harmonieux que possible, passe par la mise en œuvre de ce « partenariat intelligent » entre la recherche et la médiascience.

Les échecs relatifs des initiatives visant à mettre en place une véritable gouvernance démocratique de la techno-science appellent en effet à un contre-pouvoir mais aussi un contre-savoir pour démonter le savoir et ses effets de pouvoir. La médiascience et, dans une certaine mesure, la communication publique de la science contribuent à cette résistance bien nécessaire susceptible de contrer le savoir dominant et de fonctionner comme contre-savoir. Pour sa contribution à la promotion de l’information et de la culture scientifique, la médiascience est aussi un contre-savoir pour savoir.


[1] The New York Times du 2 mars 2010.

[2] Cité par S. Huet, L'Imposteur, c'est lui – Réponse à Claude Allègre, Paris, Stock, 2010.

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