Être une pop star doit-il priver Rihanna du droit de pardonner l'homme qui l'avait frappée ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Il y a 3 ans, Rihanna se séparait de Chris Brown après qu'il l'ait frappé.
Il y a 3 ans, Rihanna se séparait de Chris Brown après qu'il l'ait frappé.
©Reuters

Happy Birthday (cake)

Il y a 3 ans, Rihanna se séparait de Chris Brown après qu'il l'ait frappé au sortir de la cérémonie des Grammy Awards. Les 2 chanteurs viennent d'annoncer qu'ils travaillaient sur une nouvelle chanson intitulée "Birthday Cake" provoquant un scandale outre-Atlantique : la pop star se voit reprocher de donner un exemple "désastreux" de femme battue qui pardonne. Mais n'est-elle pas libre de son destin ?

Eric Corbobesse

Eric Corbobesse

Eric Corbobesse est médecin psychiatre, en parallèle d'une activité clinique, il travaille depuis de plusieurs années sur les liens entre art et psychopathologie, il est l'auteur avec Laurent Muldworf de Succès Damnés, Manuel de psychologie à l'usage des gens célèbres et de ceux qui comptent le devenir (Fayard, 2011).

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Les Stars ne sont pas réelles. Ce sont des images idéalisées et magnifiées de nous-même. C'est d'ailleurs à ces conditions qu'elles deviennent des objets de désir fabuleux, mais aussi des supports d'identification  particulièrement puissants.

Les Stars sont dès le départ une co-création, d'un côté la volonté d'une personne de gagner la reconnaissance et l'amour, en offrant la partie la plus grandiose possible d'elle-même ; de l'autre la foule anonyme du public, qui ne demandent qu'à rêver, admirer et chérir des modèles. Une fois que cette mayonnaise prend, c'est comme une réaction nucléaire en chaine : la célébrité appelle la célébrité selon une logique inflationniste et exponentielle. Voilà donc une première réponse : le public se permet de donner des conseils à ses Stars préférées parce qu'il pense leur avoir donné vie!

Ensuite si faut chercher des explications au sein même de la relation si singulière que  les stars entretiennent avec leur public. Les psycho-sociologues lui ont donné un nom : ce sont les relations « parasociales ».  Grâce à une exposition médiatique fréquente, les spectateurs en viennent à croire qu'ils connaissent parfaitement une célébrité, malgré l’absence de toute communication directe avec elle. Une relation parasociale est donc intrinsèquement asymétrique. Ce fan qui se rue sur une célébrité, il l'a connaît  par cœur (ou en tout cas le croit), mais pour elle c'est un parfait inconnu. Quelle étrange situation ! Les stars sont devenues des « étrangers intimes». Les spectateurs ont tendance à imaginer que les relations affectives, qu’ils ressentent si puissamment, sont réelles. Le comportement de la célébrité et les événements qu'elle traverse  dans sa vie,  provoquent des sentiments et des émotions chez les fans, proches de ceux rencontrés dans les relations de la vie réelle.

Ce fantasme de proximité donne classiquement beaucoup de droit aux fans, comme par exemple examiner en détails des éléments d'intimité de la vie de leur idole. Mais aussi avoir la possibilité de s'immiscer dans leur quotidien. Rien de nouveau, cela est présent dès le début de l'industrie du spectacle et du divertissement. Dès la naissance d'Hollywood, les magazines donnent des infos (pour la plupart grandement trafiquées) sur la vie des vedettes de cinéma. Et dans ces mêmes magazines se développe la rubrique « courrier des lecteurs » où l'on voit apparaître entre deux déclaration d'amour, des avertissements ou recommandations sur des sujets aussi personnels que la coupe de cheveux, le prochain rôle ou encore la vie amoureuse... Ce qui a changé ces dernières années c'est la technique qui permet de communiquer avec les célébrités. Cela passe moins par les journaux, les agents ou les producteurs, et  les filtres se sont amoindris. Grâce à internet, aux blogs ou  à Tweeter, les célébrités  peuvent dorénavant communiquer directement avec leur fans et les fans peuvent transmettre  à leur tour des messages en toute immédiateté. Les relations parasociales, en parallèle des outils médiatiques, se sont ainsi étendues et l'impression de familiarité s'est  indéniablement renforcée.

Les Stars donnent à voir une image fantasmée et majestueuse d'eux-même, cette image plait et nourrit le public d'idéal. De ce fait le public tient à ses images, qui deviennent quelques fois  des symboles voir des mythes. Le risque alors est d'enfermer les célébrités dans des clichés, des  images rassurantes certes, mais  immobiles, comme gelées et utilisable à loisir.  L'idéalisation devient  rigide et aliénante. Pour preuve, ces acteurs  cloitrés dans le même rôle ou ses chanteurs condamnés à faire sempiternellement le même album. Le public par certain aspect peut se montrer tyrannique. Gare aux représailles, il se peut qu'il décide brutalement de la fin d'une carrière.

C'est pour cela que les vedettes ont finalement toujours étaient assez attentives aux exigences du public. Pour être aussi désirable, de toute façon il faut bien tricher un peu, soit par le biais de photoshop, soit en arrangeant la réalité de sa personnalité ou de sa biographie, et cela toujours dans le même sens : être le plus séduisant possible, au maximum en adéquation avec le désir du public.

L'affinage des techniques de marketing notamment télévisuelles ont atteint à ce sujet des sommets dans l'élaboration de produits à succès. Il s'agit alors de créer une image vendable, clairement conforme aux supposées aspirations du public, quitte à dépouiller l'artiste d’une partie de lui-même. Il n'est pas anodin que la carrière de Britney Spears, dont on connaîtra plus tard les affres, débute quand elle est encore adolescente,  dans un show télévisé de Walt Dysney. L'image y est primordiale. Des panels de téléspectateurs sont consultés régulièrement, afin de réguler l’attitude des comédiens, pour rester au plus proche des attentes du public.

Déjà en son temps Claude François anticipait avec angoisse les réactions de ses fans. Il crée d'ailleurs avec le magazine Podium une sorte de Twitter avant l'heure qui lui permet d'avoir un canal direct entre lui et son public. En 1969, il décide par peur de décevoir ses fans en grande partie féminines, de cacher la naissance de son second fils et ce pendant plusieurs années. Quant à ceux qui ont changé leur image, souvent c'est au prix d'une colère rageuse de leurs fans qui ont criés à la trahison. C'est un peu ce qui arrivent à Bon Dylan en 1965, il abandonne les fripes du chanteur contestataire, jette sa guitare folk et empoigne une guitare qu'il branche sur l'électricité. L'Amérique considère son geste comme une infamie.  Mais n'est-ce pas au fond le meilleur moyen d'être tranquille... Ne m'aimez pas pour mon image, semble-t-il dire, mais pour ce que je suis vraiment. Il ne sera jamais là où on l'attend.

Quand les critiques, les medias ou les fans demandent à Rihanna de ne pas chanter avec Chris Brown, c'est sûrement parce qu'ils veulent la protéger, mais c'est probablement aussi parce qu'ils veulent préserver l'image qu'ils attendent d'elle : une femme forte qui allie à la fois une féminité flamboyante à une volonté sans faille. Ils ne veulent surtout pas d'une femme objet soumise à un homme violent qu'elle n'avait pourtant pas hésité à dénoncer.

Pour Rihanna cela ne va pas être simple de se décider, doit-elle risquer de paraître dominée par son ex-petit ami ou de passer pour le jouet de son public? On ne peut que lui conseiller pour trancher au mieux de prendre en compte en premier sa volonté créatrice. Ce n'est pas la même chose de mettre sa célébrité au service de son image ou de la mettre au service de son art. A l'époque une photo de Rihanna défigurée circulé sur le web. Veut-elle aujourd'hui montrer qu'elle a surmonté cet épisode sinistre ou bien a-t-elle en poche un single rutilant qui collera à merveille avec la voix de son ex. Si c'est le cas alors qu'elle n'hésite pas! Et puis peut être va elle chanter en duo un hymne aux sales types, qui sait?

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