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Elisabeth Borne a proposé une médiation aux syndicats dans le cadre de la réforme des retraites.
Elisabeth Borne a proposé une médiation aux syndicats dans le cadre de la réforme des retraites.
©MICHEL EULER / POOL / AFP

Médiation

Les syndicats ont cessé de demander le retrait de la réforme et ont proposé une médiation. Si le gouvernement en refuse le principe, Elisabeth Borne a accepté de recevoir l’intersyndicale, y compris pour parler des retraites.

Virginie Martin

Virginie Martin

Virginie Martin est Docteure en sciences politiques, habilitée à Diriger des Recherches en sciences de gestion, politiste, professeure à KEDGE Business School, co-responsable du comité scientifique de la Revue Politique et Parlementaire.

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Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Atlantico : Les syndicats ont proposé une médiation au gouvernement en amont de la journée de mobilisation du 28 mars et ont annoncé une nouvelle journée de mobilisation le 6 avril. Faut-il voir du côté des syndicats le signe d’un essoufflement, ressenti ou redouté ? Ou un changement de stratégie et une ouverture vers le gouvernement ?

Maxime Tandonnet : Il faut bien voir qu’il y a deux mouvements dans le mouvement, d’abord celui qui est organisé et piloté par les syndicats qui est une mobilisation classique de salariés dont certains sont en grève. On voit bien que cette mobilisation-là ne peut pas s’éterniser. Elle dure depuis deux ou trois mois, ce qui est considérable. Les salariés ne peuvent pas multiplier les absences et les grèves où ils ne sont pas payés surtout dans une période aussi difficile pour le pouvoir d’achat. La participation a baissé d’un tiers depuis le 23 mars, une partie des manifestants se trouvant en outre rebuté par les violences et les destructions comme à Bordeaux. Et puis il y a un autre mouvement qui tend à prendre le relais. Celui qui justement échappe au contrôle des syndicats, formé de jeunes qui veulent en découdre avec la police et qui se rapproche davantage de la logique des gilets jaunes bien que d’une autre nature. Les syndicats ont tout intérêt à chercher une porte de sortie au conflit qui risque fortement de les affaiblir et surtout de dégénérer.  

De son côté, le gouvernement par la voix d’Olivier Véran a fait savoir qu’il n’y avait pas besoin de médiation, alors que les députés Modem s’y sont dit favorables. Elisabeth Borne a proposé mardi soir de recevoir l’intersyndicale la semaine prochaine. Comment analyser la stratégie de la majorité ?

Maxime Tandonnet : Cette stratégie semble encore contradictoire pour l’instant. Officiellement, le président, la Première ministre et le porte-parole l’ont répété : il n’est pas question de revenir sur le report du départ à 64 ans et le « processus démocratique doit se poursuivre ». Mais pourtant, la rencontre entre les syndicats et la Première ministre, prévue la semaine prochaine, montre bien que le pouvoir macroniste, par-delà les coups de menton, s’oriente vers un compromis. Nous sommes dans un jeu de postures. Les 64 ans ne servent strictement à rien compte tenu de la règle des 43 annuités et des mesures prises pour les carrières longues. Leur seul effet est de pénaliser quelques catégories qui semblent échapper aux dérogations prévues pour les personnes ayant travaillé avant 21 ans. Mais en tout cas, ce qui est évident, c’est que l’impact des 64 ans sur le plan des équilibres financiers ne saurait être qu’extrêmement marginal. La majorité en a parfaitement conscience. Son unique objectif est désormais de sauver la face.

Quel intérêt aurait, ou non, une médiation, dans le contexte actuel ?

Virginie Martin : Le pays est dans une situation de blocage extrême. Au niveau intérieur c’est un crise sociale, politique et institutionnelle. Vu de l'extérieur c’est une France qui brûle et un Président qui doit renoncer à des rencontres symboliquement très fortes telle la visite de Charles III. Et tout ceci coûte très cher...

L'image de la France est écornée, le tissu social brûle et toutes les frustrations se font entendre.

Il était temps que soient évoquées discussions et autres rencontres, au lieu d’enjamber les problèmes, les tensions comme Emmanuel Macron sait si bien le faire !
Une crise doit se gérer et se gérer correctement, une crise que l’on ignore, que l’on veut enjamber est une crise qui dure, s’enkyste et se radicalise.

Si les lignes bougent c’est tant mieux mais pour aller où ?

Car, en choisissant un véhicule législatif tel que le PLFRSS, le duo Macron-Borne a opté pour une méthode quelque peu expéditive, méthode permettant de faire passer les textes plus rapidement, avec moins de discussions, et évidemment avec la possibilité d’un 49.3. Ce choix est éminemment politique bien sûr.  Il est déjà un signe de la volonté de faire passer ce texte à tout prix. Avec ou sans les syndicats, mais pas sans LR !

Conséquemment, l’invitation de Elisabeth Borne, si elle s’inscrit dans cette ligne aura très peu de conséquences favorables à l’apaisement. Soit, elle décide de discuter le point de tension de cette affaire, à savoir le recul de l’âge de départ à la retraite, soit cette discussion restera vaine. Elle peut aussi proposer un vrai travail de médiation et de concertation qui aurait du être fait en amont de cette réforme. Mais la tradition française n’est pas celle-ci et les partenaires sociaux sont relativement ignorés dans notre démocratie quelque peu immature il faut le dire.

De son côté c’est sa dernière carte à jouer. Mais quelle est sa marge de manœuvre réelle ? Quelle latitude va lui laisser le chef de l’Etat sur cette rencontre ? La majorité est elle en train de se fissurer et permettre la discussion, voire la pause ?
Car, si c’est pour ignorer les 64 ans et se concentrer sur la sociologie du travail en France, il y a fort à parier que ce sera encore une fois un affront pour les syndicats et pour les 93% des actifs opposés à cette réforme.

Maxime Tandonnet : La seule question qui compte désormais n’est pas celle des équilibres financiers futurs du régime de retraites. Le pouvoir et ses alliés mentent aux Français quand ils disent que cette réforme est indispensable pour le régime des retraites. Nonobstant les cris d’indignation, tout le monde le sait : en soi cette réforme ne sert quasiment à rien. Ce qu’il faudra en retenir plus tard, c’est l’invraisemblable duperie des élites dirigeantes envers le peuple.  Nous sommes dans une logique de totem macroniste et de chiffon rouge syndical, ni plus, ni moins. La seule question qui compte, la vraie, est celle du compromis pour permettre à chacun, le pouvoir macroniste et les syndicats, d’en sortir la tête haute. Alors la « médiation » est le terme qui a été trouvé pour exprimer que les partenaires sont prêts à s’en remettre à un arbitrage, donc qu’il existe un terrain d’entente possible.

Dans quelle mesure les deux parties jouent-ils au-delà du conflit lui-même, le rapport de force futur et la bataille de l’opinion pour l’Après ?

Virginie Martin : Les syndicats, notamment Laurent Berger, ont demandé une médiation, Olivier Véran a rejeté cette proposition, Elisabeth Borne l’accepte quelques heures plus tard.
Les syndicats sont dans leur rôle, leur rôle de négociation et de discussion avec le pouvoir. Ce n’est pas un essoufflement mais au contraire une façon de dire que le feu n’est pas de leur côté… c’est stratégiquement bien pensé.
Mais, il faut que l'intersyndicale survive à ces mains tendues… Et dans ce contexte, l’invitation d'Elisabeth Borne représente un fort enjeu : il va s’agir de conserver ou pas le front commun, l'intersyndicale. Car, le pari de Matignon pourrait être de tenter séparer la CFDT de la CGT, de jouer la réforme avec la CFDT et d’ignorer la CGT, plus radicale.

Sur ce point, Laurent Berger est pour l’instant assez inflexible, car l’enjeu, tout l’enjeu est cet âge reculé.
D’ailleurs qui ira au rendez-vous de Matignon ? Là est aussi la question.

Si la rencontre a lieu, ce qui n’est pas gagné, les propositions alternatives de possibilités de financement de la retraite devront être avancées. Cotisations sociales, patronales, durée de temps de travail hebdomadaire, impôts, efforts plus importants sur le travail des moins de 30 ans et des plus de 50, égalité salariale entre hommes et femmes… les sites sont multiples et peuvent permettre de régler en même temps la question des 64 ans et celle budgétaire.

Dans tous les cas, ces discussions et ces mains tendues sont importantes, car le Conseil constitutionnel ne rendra son avis que dans 3 semaines... et la France ne peut supporter encore 3 semaines d’un conflit qui se radicalise tous les jours.

Maxime Tandonnet : Bien entendu les syndicats jouent leur crédibilité. Après trois mois de mouvements sociaux, un échec sur les emblématiques 64 ans serait désastreux vis-à-vis de leurs troupes. Mais le gouvernement joue encore plus gros. A ce stade, il ne peut plus gagner. Il a jeté le pays dans la crise et la paralysie pendant près de trois mois et pour la troisième fois après les gilets jaunes et le mouvement social de 2019. Les sondages sont révélateurs. Le pouvoir macroniste a sombré dans une impopularité dont il aura du mal à se remettre. Le discours habituel des commentateurs de la politique française consiste à dire : M. Macron ne pourra rien faire s’il cède. Cette vision est à mon sens absurde. Sa posture jupitérienne n’est pas vécue comme de la fermeté dans la France profonde et travailleuse qui rejette cette réforme à 90%. Elle est bien davantage ressentie comme de l’aveuglement, de la déconnexion et de l’entêtement. Dès lors que l’estime et la confiance des Français en leur chef de l’Etat et plus généralement, dans la classe dirigeante, sortira gravement abîmée de cette crise, il deviendra encore plus difficile de gouverner et de réformer.   

Dans cet affrontement des stratégies qui risque d’obtenir les résultats les plus fructueux pour la suite ?

Virginie Martin : Dans cette séquence, les syndicats ont retrouvé de la vigueur, une vigueur perdue au moment des Gilets jaunes. Lors des mouvements des Gilets jaunes d’aucuns précipitaient un peu vite les syndicats dans l’oubli. Cette réforme leur donne une occasion inespérée de retrouver leur utilité, voire leur fonction originelle. Défendre les salariés et être légitimes dans cette défense.

L’exécutif, de son côté, joue - au-delà de Borne- les 4 ans à venir son quinquennat: Macron pourra t-il gouverner le pays comme il l’entend ? Sa / son première ministre actuelle ou à venir sauront-ils  trouver une majorité fiable et solide à l’Assemblée nationale ?

Cette crise est un précipité de la politique à la française et chaque partie prenante y joue son présent et son avenir.

Maxime Tandonnet : La grande leçon, c’est que tout le monde sortira perdant de cette crise, surtout si la médiation ou la recherche d’un compromis échoue. Si une issue raisonnable est trouvée, la classe dirigeante aura limité les dégâts et pourra dire : voilà on a souffert mais on s’en est quand même sorti. En revanche, si aucune issue n’est trouvée sur la question des 64 ans, si la situation glisse dans le pourrissement et le malaise permanent, la France va s’inscrire dans une violence et un mouvement de protestation sporadique qui risque de resurgir dans les grandes occasion, par exemple les jeux olympiques de Paris. L’indifférence et la méfiance de nombreux Français envers la politique risque de se transformer en haine, en colère et en dégoût ce qui serait dramatique pour l’avenir de la démocratie. En attendant, pour le pouvoir macroniste, la pire des attitudes serait de vouloir attiser le chaos pour se poser en protecteur ou sauveur de la paix civile sur le modèle de la crise des Gilets Jaunes. Une telle stratégie peut fonctionner pour une petite frange de la bourgeoisie urbaine, cossue et retraitée. Mais elle ne saurait une nouvelle fois duper le pays dans son immense majorité.  

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