Rétablissement en vue ? Petites nouvelles de la politique économique de Javier Milei venues du FMI<!-- --> | Atlantico.fr
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Javier Milei lors d'une cérémonie officielle.
Javier Milei lors d'une cérémonie officielle.
©DENIS BALIBOUSE / AFP

Argentine

Selon un rapport du FMI, le plan de stabilisation déployé en Argentine par le gouvernement Milei a permis de réaliser des excédents budgétaires et extérieurs, un retournement marqué des réserves, un renforcement du bilan de la banque centrale et une désinflation plus rapide que prévu, tout en augmentant les dépenses sociales.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Carlos Quenan

Carlos Quenan

Carlos Quenan est professeur d'économie à l'université IHEAL-Sorbonne Nouvelle. Il est titulaire d'un master en "Monnaie, Finance et Banque" et d'un doctorat en économie de l'université de Grenoble Alpes.

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Atlantico : Quels sont les principaux facteurs qui ont contribué à la stabilité macroéconomique de l'Argentine selon le FMI, autrefois sceptique et critique envers le pays, sous la direction de Javier Milei ?

Alexandre Delaigue : Les déclarations du FMI sur la situation économique de l’Argentine et sur les mesures de Javier Milei s’inscrit dans un contexte de plan d'ajustement et de collaboration avec le gouvernement. Le FMI doit décider ou non d'octroyer un certain nombre de prêts. Il faut toujours s'attendre à ce qu'il y ait une certaine dose de langue de bois dans ce type de propos. Le FMI peut difficilement complètement descendre et critiquer la politique d'un gouvernement. Il y a toujours une espèce de langue de bois.  

L'avis récent du FMI est tout de même beaucoup plus favorable que ce qu’il se passait auparavant. Après une période pendant laquelle la situation économique de l'Argentine partait à la dérive, avec une inflation extrêmement forte, avec des déficits publics qui n'étaient pas maîtrisés, l’Argentine était dans la configuration classique d'un pays qui avait besoin d'un plan d’ajustement. Javier Milei, depuis qu'il a été élu, a tout de suite mené un tel plan d'ajustement. Ce plan est extrêmement classique. Il ressemble vraiment à ce qu'on trouverait dans tous les manuels qui décriraient les solutions nécessaires lorsqu'un pays a besoin d'un plan d'ajustement. Il est assez légitime que, par rapport à une situation antérieure où il n'y avait pas d'ajustement, le FMI soit beaucoup plus favorable à l’action de Javier Milei avec le plan d'ajustement qui est mis en place.

Carlos Quenan : Le Fonds monétaire international a apprécié le redressement des comptes publics et le fait que, pendant cette première phase du gouvernement Milei, le budget de l’Etat ait dégagé un léger excédent financier. Cela s’est accompagné d’une diminution persistante de l'inflation, alors qu’elle progressait à un rythme dangereusement croissant avant le 10 décembre 2023, au moment de la prise de fonction du président Milei. Sa première mesure a été de libérer les prix et en même temps de produire une très forte dépréciation du change visant à rapprocher la parité officielle des taux du marché parallèle. Cette méga- dévaluation et la libération des prix ont produit une forte poussée inflationniste qui a renforcé la dynamique déjà existante. De ce fait, l’inflation du premier mois du gouvernement Milei a été de 25 %. Mais elle a progressivement diminué depuis pour se situer, toujours en variation mensuelle, légèrement en dessous de 5% en mai 2024, en vertu de la diminution du déficit budgétaire et de la réduction de l'émission monétaire. Tout comme les marchés financiers (les spreads des obligations de l’Etat argentin, tout en restant élevés, ont diminué, le marches des actions s’est redressé…), le FMI a particulièrement apprécié le retour à l’équilibre budgétaire et le ralentissement de l’inflation. Cependant d’autres facteurs de tension et de divergence entre le gouvernement Milei et le FMI, avec lequel l’Argentine a connu une histoire très mouvementée, sont apparus récemment.

Comment la politique de Javier Milei a-t-elle influencé la situation économique de l'Argentine par rapport au contexte et au bilan difficile du pays ?

Alexandre Delaigue : L’Argentine avait un très fort solde extérieur dégradé. Il y avait beaucoup plus d'importations que d'exportations. Le deuxième déséquilibre était un très fort déficit public qui était financé par la Banque centrale d'Argentine qui faisait des avances de trésorerie à l'Etat, au gouvernement pour qu'il puisse payer ces dépenses puisqu’il y avait un énorme déficit. Elle finançait cela en vendant de la dette au système bancaire. Cela entretenait l'inflation et cette situation a contribué à augmenter les taux d'intérêt et le coût de cet endettement de la banque centrale vis-à-vis du système bancaire. Cela a considérablement dégradé les finances publiques et n'a pas eu pour effet de réduire l'inflation. 

En décembre dernier, le gouvernement Milei a dévalué le peso argentin très fortement. Sa valeur a été divisée par deux par rapport au dollar en vue de restaurer une certaine dose de compétitivité et donc d'améliorer un peu le solde extérieur. La deuxième chose a été d'abandonner totalement le recours à la Banque centrale pour financer les dépenses publiques et de faire un ajustement assez rapide des finances publiques pour supprimer le déficit public avec quelques réductions des dépenses et surtout beaucoup d'augmentation des recettes. Cela est passé par une taxe exceptionnelle sur les vins, sur les importations et un certain nombre d'autres prélèvements. Le gouvernement est allé chercher des recettes là où il pouvait essayer de les obtenir et à chercher à redresser le solde extérieur en taxant plus fortement les importations. Lorsque les importations sont taxées, il va y en avoir moins. Les recettes des taxes sur l'importation viennent améliorer la situation des finances publiques. Dans le même temps, cela permet une diminution des taux d'intérêt et la réduction de l'inflation après un pic important d'inflation en décembre avec la dévaluation. 

En quoi la stratégie économique de Javier Milei a-t-elle permis un retournement marqué des réserves et un renforcement du bilan de la banque centrale ?

Alexandre Delaigue : A partir du moment où la Banque centrale n'a plus besoin de dégrader ses finances et son bilan en faisant des avances au Trésor public et en les finançant par de l'endettement, la banque centrale se retrouve dans une situation où elle peut fonctionner d'une manière plus normale. La Banque centrale est dans un contexte dans lequel elle doit faire en sorte que l'inflation ne redémarre pas. Mais si elle commence à remonter les taux d'intérêt, elle va être coincée. La situation de la Banque centrale s’est améliorée parce qu'elle n'a plus à faire directement du financement budgétaire de l'Etat et à le faire en émettant et en vendant des obligations auprès du système bancaire. Cela était temporaire. C’est la politique qui va maintenant être menée, après l'ajustement initial, qui va faire la différence.

Carlos Quenan : C’est justement la suite des événements après l’ajustement initial ce qui suscite des interrogations. Le gouvernement, au début de l’année 2024, a reconduit les budgets 2023 en termes nominaux par rapport à l'année précédente. Dans le cadre de l’accélération initiale de l’inflation déjà mentionnée, cela a entraîné une diminution très importante en termes réels des salaires des employés de l'État, des fonctionnaires, une diminution importante des montants des retraites également. Cela a entraîné une perte de pouvoir d'achat à cause de la désindexation et de l'évolution de ces revenus vis-à-vis de l'inflation. Dès lors, la forte contraction de l'activité économique a conduit à une forte augmentation du taux de pauvreté. Pour éviter une forte chute de leur niveau de vie, les classes moyennes ont désépargné.

Toujours dans la perspective du redressement budgétaire, outre la hausse des impôts aux importations -qui devrait être temporaire-, le gouvernement a interrompu ou réduit les transferts de fonds aux provinces et a reporté les paiements de certaines subventions aux entreprises qui fournissent et produisent de l'électricité par exemple. 

En somme, les résultats obtenus, en particulier la forte diminution de l'inflation, ont été salués par le Fonds Monétaire International. Mais le FMI a aussi alerté sur la soutenabilité de cet ajustement budgétaire en soulignant que la forte récession en cours peut constituer un obstacle pour la poursuite de ce redressement budgétaire. La récession va induire inévitablement une diminution des recettes liées à l'activité économique.

Quelles mesures ont été prises pour accélérer la désinflation en Argentine et comment ont-elles réussi à dépasser les attentes initiales ?

Alexandre Delaigue : A part l'ajustement initial de décembre dont on attendait qu'il réduise l'inflation, il y a eu quelques mesures structurelles de plus, en particulier sur les prix de l'immobilier. Lorsqu’ils ont été libéralisés, cela a conduit beaucoup plus de gens à mettre des logements sur le marché. Cela a réduit le coût du logement. Cette mesure a fonctionné. Avant l’arrivée de Milei, l’Argentine était dans un contexte de très forte inflation et les loyers étaient gelés, il y avait très peu de logements qui étaient mis sur le marché. Dès que vous commencez à le louer, votre loyer va être gelé. Avec la hausse des prix, vous n'allez pas pouvoir ajuster votre loyer, donc vous allez perdre de l'argent régulièrement. 

Dès lors que les loyers ont été libéralisés, cela a conduit beaucoup plus de gens à mettre des logements sur le marché. Cela a libéré le marché. Paradoxalement, cela a fait baisser les loyers et cela a eu un effet modérateur sur l'inflation. 

Face à un gouvernement qui fait de l'austérité budgétaire, qui réduit ses dépenses et qui essaie d'augmenter ses recettes par des taxes, cette austérité crée une dépression. Les gens sont plus pauvres. L’économie se contracte. Mécaniquement, cela réduit l'inflation. Il n’y a pas de mesures véritablement structurelles qui permettent de réduire l'inflation. 

L'objectif du gouvernement est de mettre en place une série de réformes structurelles à l'intérieur de l'économie. Mais le gouvernement, jusqu'à présent, n'a pas de majorité pour pouvoir mettre en œuvre ces mesures.

Ses résultats en matière d'inflation sont les conséquences de l'ajustement du mois de décembre et depuis le mois de janvier de l'austérité budgétaire. 

Les idées initiales de Milei consistaient à dollariser l'Argentine pour faire en sorte qu'il y ait plus de possibilités de financement monétaire et à libéraliser l'économie. 

Javier Milei déclare être officiellement libertarien. Son objectif est de libéraliser un très grand nombre de secteurs de l'activité. 

De quelle manière l'augmentation des dépenses sociales a-t-elle été compatible avec la réalisation des excédents budgétaires sous la politique de Javier Milei ?

Alexandre Delaigue : Ces mesures ont été mises en place dans une situation d'ajustement par rapport à l'inflation. Ces mécanismes sont là pour faire passer la pilule de l'austérité budgétaire, pour faire en sorte que cette austérité ne touche pas de manière disproportionnée certaines parties de la population. 

Durant sa campagne électorale, Milei avait décidé de supprimer de nombreux ministères et des activités jugées inutiles. Dans la pratique, il faut passer par le processus parlementaire et pour l'instant ce processus est bloqué.

Au regard des commentaires encourageants du FMI, les premières mesures de la politique économique et de la vision libérale de Milei sont-elles prometteuses et encourageantes pour l’avenir de l’économie argentine ?

Alexandre Delaigue : Pour l'instant, cela n’est pas encore le cas. La seule chose qui a été faite concerne l'ajustement structurel tel qu'il est préconisé par les institutions internationales comme le FMI dans un pays en situation de crise financière. L'Argentine est toujours dans une espèce d'alternance entre des gouvernements plutôt populistes et péronistes qui laissent filer la dette, les dépenses, l'inflation et qui détruisent tout ce qui a été fait par le gouvernement précédent, suivis par des périodes avec l’arrivée au pouvoir de gouvernements plus droitiers qui vont faire des plans d'ajustement structurel, qui vont redresser les finances publiques mais en même temps s'attirer les foudres de la population et qui vont réduire les impôts.

Cette alternance dure depuis les années 1980 en Argentine. Javier Milei n'a pas encore pu apporter un renouveau en Argentine ou révolutionner la situation économique du pays malgré ses promesses. Pour l'instant, les mesures d’ajustement sont appliquées pour tenter de rééquilibrer la situation économique.

Carlos Quenan : Après les premières mesures visant l’équilibre budgétaire et la diminution de l’inflation le plus difficile commence. Le gouvernement Milei doit éviter que les tensions sociales s’accentuent. Une grande mobilisation des universités qui a rassemblé 1 million de personnes dans tout le pays a constitué une première alerte. Les professeurs, les étudiants et les chercheurs se sont mobilisés contre la coupe des crédits dans la recherche et dans le monde universitaire. 

Par ailleurs, Javier Milei, avec sa petite force politique libertarienne, est minoritaire dans les deux chambres. Il faut donc procéder à des négociations pour trouver des accords. Le style Milei ne favorise pas cette culture de la négociation car à plusieurs reprises il a insulté les députés. Cela reflète l'exaspération d'une partie de la société argentine qui est très en colère par rapport à la dégradation de la situation précédant l’arrivée de Milei, mais n’aide pas à faire avancer les réformes structurelles et institutionnelles qu’il propose.

Une évolution s’est produite récemment. Après de nombreux aller-retours la « mega-loi » dite « Bases » (en espagnol Ley de Bases y Puntos de Partida para la Libertad de los Argentinos, soit « bases et points de départ pour la liberté des Argentins ») a été approuvée. Il s’agit de la première loi approuvée par le parlement après six mois de gouvernement Milei. Le nouveau ministre-coordonnateur, M. Francos, politicien expérimenté et négociateur habile, nommé à ce poste il y a quelques semaines pour, entre autres, débloquer la situation, a réussi à faire approuver un texte moins ambitieux : un tiers des projets des lois prévus initialement dans « Bases » ont été approuvés, au lieu d’une quarantaine de privatisations seules huit entreprises publiques seront cédées au secteur privé… 

Même amaigrie la loi approuvée au Parlement reste ambitieuse : elle comporte la réforme du marché du travail dans le sens de la flexibilisation, de nombreuses mesures de dérégulation de l’économie, un régime spécial et fiscalement très avantageux pour les grands investissements étrangers et l’octroi de « facultés délégués » pendant un an au Président Milei. Désormais, le gouvernement mise beaucoup sur les décrets afin de poursuivre les réformes, en particulier les coupes dans les budgets de l’État, la suppression des subventions aux services publics -pas encore entamée – et le progrès dans la perspective de la libéralisation de l’économie.

Or les marchés n’ont pas connu une phase d’euphorie après l’approbation de cette loi et d’autres « bonnes nouvelles » telles que la diminution du taux d’inflation en mai et le renouvellement d’un emprunt contracté avec la Chine d’environ 5 milliards de dollars. Les spreads des obligations souveraines ont repris une tendance haussière, la valeur des titres et des actions dans les marchés boursiers recule et l’écart entre le taux de change officiel du peso et les taux parallèles se creusent à nouveau.

Les marchés, tout comme le FMI, avec lequel l’Argentine doit négocier un nouvel accord, s’inquiètent de la soutenabilité du redressement budgétaire, de la réappréciation du peso induisant une perte de compétitivité de l'économie, du fait de l’inflation accumulée depuis la mega-dévaluation de décembre 2023 du peso, et des difficultés éprouvées par le gouvernement pour en finir avec le « cepo », c’est-à-dire le dispositif de contrôle de changes hérité des administrations précédentes, alors que les échéances de la dette publique de ce pays en 2024-2025 sont considérables…

Dans l’avenir l’Argentine va alterner entre les bonnes et les mauvaises nouvelles sur le plan économique. Dans la nouvelle phase ouverte avec l’approbation de la loi Bases le gouvernement de Javier Milei est confronté à des multiples obstacles et contradictions. Mais, avec une opposition divisée et en bonne partie déboussolée, l'absence d'alternative favorise à court terme le projet de Milei. 

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