Résistance aux antibiotiques : l’autre pandémie qui se développe en silence <!-- --> | Atlantico.fr
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résistance aux antibiotiques médicaments pandémie Covid-19
résistance aux antibiotiques médicaments pandémie Covid-19
©RHONA WISE / AFP

Et pendant ce temps là

L'OMS a lancé en 2020 une opération de sensibilisation aux antimicrobiens. La résistance aux antibiotiques semble prendre la forme d'une nouvelle pandémie rampante.

Philippe Glaser

Philippe Glaser

Philippe Glaser est responsable de l’unité Écologie et évolution de la résistance aux antibiotiques à l’Institut Pasteur.

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Atlantico.fr : L’OMS a lancé l’an dernier la semaine mondiale de sensibilisation aux antimicrobiens avec un objectif de “facilitation de la synergie et l’efficacité des programmes, et de catalysation de l’action au niveau des pays pour lutter contre les infections pharmacorésistantes". La résistance aux antibiotiques est-elle en train de devenir une pandémie ?

Philippe Glaser : Cette semaine de sensibilisation a lieu tous les ans au mois de novembre, et l’OMS tire ce signal d’alarme depuis déjà plusieurs années. Contrairement à l’émergence et la dissémination d’un virus, comme c'était le cas du SRAS, c’est un processus qui est beaucoup plus lent. On peut à raison parler d’une pandémie rampante, qui se développe au niveau mondial. 

L’économiste anglais Jim O’Neill, dirigeant le comité d’étude de la résistance antimicrobienne estimait en 2016 qu’elle représentait 700 000 morts par an, une étude suédoise quant à elle en évoquait plus de 750 000 par la simple résistance aux antibiotiques : ces chiffres vous semblent-ils cohérents ? Dispose-t-on données permettant de mieux voir l’avancée de cette résistance aux antimicrobiens ? 

Bien que ce soit toujours difficile de donner des chiffres de mortalité, on peut estimer que ces chiffres correspondent à la réalité, même s’ils sont différents d’un territoire à l’autre. L’Europe par exemple recense environ 27 000 décès par an mais concernant l’Afrique ou le Sud-Est asiatique, nous manquons de données. La difficultés dans la mise au point de ces chiffres, permettant d’avoir une vision d’ensemble de cette situation mondiale, est que l’on dispose de chiffres vérifiables et corrects concernant l’Europe, les Etats-Unis et un certain nombre de pays mais concernant la plus grande partie du globe, on a une méconnaissance totale de l’impact réel de l’antibiorésistance. Ce qu’on sait c’est que dans certaines régions du globe, on a une augmentation très importante de la résistance aux antibiotiques, pour des raisons de surconsommation ou de sous-consommation, ce qui veut dire une réduction de l’efficacité des traitements et que c’est un problème qui est en train d’augmenter, mais qui n’est pas quantifié de manière très précise. 

Des médecins travaillant auprès de nouveaux nés ont pu observer (enquête New ReAct du 16 novembre 2020) une augmentation des infections multirésistantes chez les nourrissons au cours des cinq dernières années, notamment dans les pays pauvres, à quoi est-ce dû selon vous ? 

Dans les pays à bas niveau de revenus, ces infections sont rendues plus complexes et plus difficiles à traiter du fait de la multirésistance aux antibiotiques ; les traitements sont plus difficiles à réaliser et cela entraîne une augmentation de la mortalité. En France, en Europe ou en Suède, les systèmes de santé sont bien développés et permettent de répondre à cette résistance aux antibiotiques. Toutefois ceci est très variable entre les pays -même à l’échelle intra-européenne. 

Cette tendance peut-elle s’expliquer par la différence de niveau social des populations? La concentration urbaine a-t-elle une influence dans la diffusion de cette résistance aux antibiotiques ? 

Naturellement cela y contribue, on est en général mieux soigné quand on est plus riche, mais d’un point de vue géographique, les facteurs qui contribuent à l’augmentation de la résistance aux antibiotiques sont multiples. Il y a à la fois la consommation trop importante d’antibiotiques mais également d’autres facteurs comme l’hygiène. Un système d’égouts défectueux, une usine qui déverse des antibiotiques dans l’environnement vont par exemple contribuer à la propagation de la résistance aux antibiotiques. 

La résistance aux antibiotiques circule en règle générale relativement vite, et on arrive à des niveaux variables entre les villes et les campagnes, qui restent toutefois relativement proches. On aura par exemple d’autres facteurs aggravants à la campagne qu’à la ville, telle que la consommation d’antibiotiques par les animaux. 

Quelles solutions seraient envisageables pour lutter contre cette résistance aux antibiotiques, et quelles difficultés s’y opposent ?

Tout d’abord une bonne surveillance de cette résistance permet de localiser les problèmes les plus graves. L’amélioration de l’hygiène est également un point très important, et l’on constate dans des régions qui améliorent leur système de traitement des eaux une réduction de cette résistance par exemple.  L’exode rural, par la concentration de la population dans les villes et une diminution de la qualité de l’hygiène, est également susceptible d’augmenter cette résistance aux antibiotiques. 

Le bon usage des antibiotiques est également essentiel, la politique mise en place en France pour réduire leur usage semble porter ses fruits, contrairement à celle mise en place dans les pays dans lesquels les antibiotiques sont en libre accès. Dans cette même perspective de contrôle de l’utilisation des antibiotiques, il faut utiliser préférentiellement les antibiotiques les plus anciens, tels que ceux de première génération si les bactéries y sont sensibles, et limiter les usages des antibiotiques les plus récents afin d’éviter que les bactéries n’y deviennent résistantes. 

Il est également important d’améliorer le diagnostic, et son utilisation. En effet, si l’on a plus rapidement l’antibiogramme, c'est-à-dire les antibiotiques pour lesquels une bactérie est résistante ou insensible, on va pouvoir directement choisir l’antibiotique le plus efficace. De la même manière, la distinction dans le diagnostic entre une infection virale et une infection bactérienne est très importante, en ce qu’on n’aura pas à utiliser un antibiotique pour traiter une infection virale. Toutes ces mesures tendent à limiter la résistance aux antibiotiques voire à l’infléchir et obtiennent des résultats, notamment en Europe. 

Il existe également une autre stratégie, qui consiste contre les bactéries multirésistantes à développer dans la recherche des nouveaux antibiotiques, ou de nouveaux traitements pour les éliminer qui ne sont pas à proprement parler des antibiotiques, telles que les utilisations d’anticorps monoclonaux ou de peptides antimicrobiens par exemple. 

Les difficultés résident essentiellement dans la transition de la recherche académique, où ces projets existent, à leur concrétisation en un projet industriel, et de la difficulté d’avoir un business model. En effet, si l’on dispose d’un nouvel antibiotique très efficace, l’idéal serait de l’utiliser le moins possible : uniquement contre les bactéries qui ne seraient sensibles qu’à cet antibiotique là , ce qui est peu intéressant d’un point de vue industriel.

C’est quelque chose que l’on a pu observer avec le vaccin contre la Covid-19 : ce qui coûte cher, c’est de valider au niveau clinique un vaccin et son efficacité.  On retrouve cette même difficulté pour tout nouvel antibiotique dont il faut prouver l’efficacité, et trouver tout à la fois un mode de vente et de remboursement. 

La question bactérienne est par ailleurs d’autant plus spécifique que la propagation des bactéries est beaucoup plus longue que celle des virus, et il semble juste de parler d’une “pandémie rampante” de la résistance aux antibiotique en ce que des réservoirs de résistance se constituent, et il faut être préparé, de la même manière que pour la Covid-19,  à l'éventualité de crises de résistance aux antibiotiques.

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