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La prime au mimétisme générée par les réseaux sociaux nous rend-elle collectivement stupides ?
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Facebook, twitter et cie...

Parmi les contenus les plus partagés sur les réseaux sociaux (Facebook, Yahoo et Twitter) on retrouve l'inévitable Justin Bieber, le Super Bowl ou Lady Gaga mais aussi des sujets plus "sérieux". Le printemps arabe et la crise ivoirienne se retrouvent dans le top 3 des termes les plus recherchés sur Yahoo. Pourquoi une telle diversité et que reflètent ces données ?

Christian Fauré

Christian Fauré

Christian Fauré est ingénieur et philosophe, administrateur de l'Association Ars Industrialis, fondée par Bernard Stiegler. Il est également enseignant à l'Université Technologique de Compiègne et consultant indépendant en Stratégie Digitale.

Ses publications : "Pour en finir avec la mécroissance", Flammarion 2009. "Les réseaux Sociaux", FYP Editions, 2011.

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Atlantico : Yahoo, Facebook et Twitter ont dévoilé les sujets les plus partagés sur leur réseau. Sur Facebook, l'affaire DSK et la mort de Khadafi sont les sujets d'actualité les plus partagés par les internautes français. Les Américains eux, ont préféré la mort d'Oussama Ben Laden, la victoire des Packers au Super Bowl et les frasques de Charlie Sheen. Que vous inspirent ces résultats ?

Christian Fauré : Ce qui saute au yeux en lisant les études récentes sur les sujets les plus discutés et partagés sur les réseaux sociaux, c'est le mélange des genres. Voir Ben Laden côtoyer le Super Bowl, et le printemps arabe, les frasques de Charlie Sheen ressemble fort à un mélange de choux et de carottes. Ce mélange des genres n'est pas habituel dans les médias qui ont des politiques éditoriales et auxquels nous sommes habitués.

Sur Yahoo France, les mots-clés les plus cherchés ont été : le Printemps arabe, l'affaire DSK et la crise ivoirienne. Est ce que cela signifie qu'il y a un regain d'intérêt pour la politique de la part des Français avec les réseaux sociaux ?

Ce mardi, lors d'une allocution publique donnée en France, Eric Schmidt, le président de Google, a fait en substance la remarque suivante : "Avec internet et les réseaux sociaux, il est maintenant très facile de démarrer une révolution, mais il est reste très difficile de la finir". Il faisait bien sûr référence au printemps arabe et peut-être plus spécifiquement à l’Égypte.

On peut voir les réseaux sociaux comme des systèmes catalyseurs qui servent de "haut-parleurs" sociaux et amplifient des "logiques emphatiques" pour reprendre l'expression utilisée par Jeremy Rifkin dans son dernier livre. Les réseaux sociaux peuvent être utilisés comme des outils de pyromanie politique. Ils peuvent déclencher des effondrements : de personnalités, d'entreprises mais également de gouvernements et de régimes politiques. Mais si les réseaux sociaux peuvent détruire, leur capacité à construire des alternatives reste une attente. Une attente qui est également un espoir, et je crois que c'est là que réside le regain d'intérêt politique que peuvent rechercher les internautes, particulièrement ceux dont le pays est dans une phase pré-électorale comme c'est le cas en France.

Qu'est ce que ces résultats disent de nous et de la société actuelle ?

Ce genre d'étude a un précédent, puisque Google publie depuis plusieurs années le classement des requêtes les plus fréquentes sur son moteur de recherche (Google Zeitgeist). Est ce que cela change quelque chose que ce classement soit à présent non plus celui des requêtes au moteur de recherche mais celui des discussions sur les réseaux sociaux ?

Très certainement car, dans le cas du moteur de recherche, la pratique était "solitaire" dans la mesure où l'utilisateur ne savait pas ce que les autres internautes recherchaient, ce qui n'est pas le cas dans les réseaux sociaux où, là, la diffusion est publique et virale. Mais les choses vont tellement vite que les suggestions de Google lors de nos requêtes (Google Suggest) introduisent depuis peu une dimension "sociale" à la recherche : au fur et à mesure que l'on tape, des suggestions de recherche sont proposées sur la base des recherches les plus fréquentes : cela est bien évidement une prime au mimétisme et à des comportements grégaires qui peuvent donner des résultats plutôt désolants, c'est le côté "people".

Par ailleurs, quand on regarde le haut du classement, ces résultats disent très certainement ce que tous les médias traditionnels confondus disent. Mais là encore, on sait que les médias analogiques (radio et TV) tendent à dire eux-mêmes ce qui se dit dans les réseaux sociaux puisque c'est là que l'actualité se fait, se commente et se diffuse. C'est une situation mimétique étrange que l'on a appelé le "mainstream" et dont Frédéric Martel voudrait nous faire croire que c'est "la culture qui plait à tout le monde", pas à nous à l'association Ars Industrialis en tout cas.

Pour le dire rapidement, le mainstream n'est pas très flatteur pour l'humanité connectée, et pourtant c'est bien la réalité mathématique de la somme de nos comportements. Mais il n'y a aucune fatalité à cela et les pratiques sont en permanente évolution sur les réseaux sociaux et peuvent inverser la tendance grégaire et pulsionnelle qui produit de la bêtise.

A la lumière de ces résultats, on pourrait croire que la politique a de fortes probabilités de montrer un visage "people" et populiste si elle investit les réseaux sociaux, et je dois avouer qu'il m'arrive d'être pessimiste quand on voit que Herman Cain, candidat malheureux à l'investiture républicaine, avoue avoir repris la chanson des Pokémons dans ses discours politique.

Comment voyez-vous l'évolution des sujets abordés sur internet, est-on condamné à aller vers un internet "tout-people" ?

Avec internet et les réseaux sociaux, tout est mis à plat : ce qui était rendu incommensurable (sans commune mesure) par les choix éditoriaux est désormais juxtaposé sans que pour autant nous ayons le mode d'emploi.

La publication de tels résultats de popularité des sujets ne dit finalement rien, elle invite à la glose libre. C'est le buzz du buzz en vertu duquel ce qui ne veut rien dire à d'autant plus de chance d'être propagé à renfort de commentaires d'experts … ce que précisément je suis en train de faire.

Quelle est votre analyse ?

Il faut souligner la formidable asymétrie informationnelle dont disposent les opérateurs de réseaux sociaux : eux seuls disposent d'une vision panoptique de l'ensemble des pratiques qui se développent sur le réseau. Nous n'avons donc que les informations que l'on veut bien nous donner et qui ont été sélectionnées et triées sans qu'il y ait le moindre contrôle.

Si, avec Wikileaks, les Américains avaient perdu une partie de l'efficacité de leur réseau diplomatique, ils se sont largement refaits avec les réseaux sociaux car, il faut le rappeler, avec le Patriot Act les données des plateformes de réseaux sociaux (qui sont toutes américaines) sont pour ainsi dire en libre-service pour l'administration américaine. Ce qui met l'Amérique aux avants-postes dans l'analyse des changements économiques et politiques qui sont indéniablement à l’œuvre dans les réseaux sociaux.

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