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Renoncer aux jurés populaires en correctionnelle, pourquoi pas mais comment rapprocher la justice des citoyens ?
©Flickr/Su morais

Bruits de cour

L'introduction des jurés populaires en correctionnelle, mise en place par Nicolas Sarkozy, va finalement être abandonnée. Cette volonté d'ouvrir plus largement les tribunaux à des décisions citoyennes était donc une si mauvaise idée ?

Alexandre Giuglaris

Alexandre Giuglaris

Alexandre Giuglaris est délégué-général de l’Institut pour la Justice.

 

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Atlantico : Christiane Taubira a annoncé ce lundi, sans surprise, la suppression des jurés populaires en correctionnelle. Dispositif mis en place par Nicolas Sarkozy, il avait été jugé "extrêmement lourd" et "coûteux" par un rapport remis fin février au ministère de la Justice. Dans ce contexte a-t-elle raison de supprimer les jurés populaires ? Les choix en matière de justice doivent-ils être dictés uniquement par des motivations budgétaires ?

Alexandre Giuglaris : Vous avez raison, ce n’est pas une surprise. Dès l’annonce du gel et de l’évaluation de ce dispositif, on pouvait s’attendre à cette décision. Le rapport, remis par Didier Boccon-Gibod et Xavier Salvat, magistrats à la Cour de Cassation, ne laissait guère de doutes sur cette issue. Il a mis en lumière le coût de ce dispositif et surtout de l’allongement des procédures. On peut donc ne pas regretter l’abandon de ce dispositif lorsque l’on souhaite une justice rapide, ferme et efficace. Seulement, il aurait fallu que la fin des jurés populaires dans les tribunaux correctionnels soit accompagnée de propositions pour rapprocher la justice des citoyens. Ce n’est pas le cas. Il faut espérer que Mme Taubira prendra conscience de l’attente des citoyens dans ce domaine.

N’y avait-il pas de compromis à trouver entre une adaptation et une suppression ?

Le dispositif était uniquement expérimenté dans deux cours d’appel, à Dijon et à Toulouse, ce qui a d’ailleurs, peut-être, limité cette évaluation. L’annonce de la suppression paraît donc la voie logique. Mais je le répète, rien n’est annoncé en revanche pour rapprocher l’autorité judiciaire et les citoyens. C’est cela qui est beaucoup plus inquiétant, car le rapport évoquait pourtant certains aspects positifs dans cette expérimentation, notamment une meilleure connaissance du fonctionnement de la justice par les citoyens.

Cette réforme était supposée rapprocher les citoyens de la justice. Y est-elle parvenue ? Quelles sont les autres pistes à explorer ?

Pour rapprocher la justice des citoyens, il faut avant tout que la justice soit crédible. Il y a alors deux problèmes majeurs à résoudre : l’inexécution des peines prononcées, et l’impunité qui va avec, et la réduction systématique des peines purgées, qui font perdre tout sens aux condamnations. 

En 2011, on comptait 87 000 peines de prison en attente ou non exécutées. C’est un chiffre considérable dont les citoyens, qui sont au contact de ces délinquants non sanctionnés, se rendent vite compte. Quant aux délinquants, on comprend bien quelle est leur opinion sur la justice lorsque les peines ne sont pas exécutées. Concernant la réduction des peines purgées, il faut savoir qu’on a mis en place une multitude de dispositifs pour réduire automatiquement les peines. Ainsi, avec les crédits de réduction de peine automatique, les crédits de réduction de peine supplémentaires et les libérations conditionnelles, un individu condamné à 18 mois de prison peut ne rester en détention que 5 mois.

La seule solution crédible et de long terme pour rapprocher la justice des citoyens est de construire les 20 000 places de prison qui manquent à notre pays.

Autre argument avancé pour justifier la suppression des jurés populaires, ils n’auraient pas contribué à améliorer l’image de la justice. Quels sont les enjeux pour la justice de disposer d’une bonne image auprès de la population ?

Il me semble que le rapport note que les assesseurs ont plutôt exprimé leur satisfaction et, pour certains, reconnu le travail des juges. La justice et les magistrats ont donc tout intérêt à s’ouvrir davantage à la société, à communiquer et à écouter les propositions ou les critiques des citoyens. Il est en effet essentiel que, dans une société démocratique, un pouvoir ou une autorité comme la justice soit en meilleure adéquation avec la population. C’est comme cela que la justice aura une bonne image. Par exemple, si l’Institut pour la justice se bat, aux côtés d’avocats et de magistrats, pour instaurer un droit d’appel pour les victimes, c’est aussi parce que cette proposition est plébiscitée par les Français, droite et gauche confondues. Cela renforce notre détermination.

Pour justifier cette réforme, Nicolas Sarkozy déclarait à l’époque qu’elle constituait "sans doute le seul moyen de répondre à l’attente forte […] de nos concitoyens d’une plus grande sévérité de la justice sur la délinquance du quotidien". Est-ce le rôle de la justice que répondre aux attentes des citoyens ?

C’est le rôle de tout pouvoir ou de toute autorité que d’entendre la voix des citoyens. Et l’opinion des citoyens passent aussi par les élections et donc par l’application d’une politique pénale votée par le Parlement. Or, prenons un exemple. Les peines plancher sont très largement approuvées et soutenues par les citoyens. Elles n’ont pourtant été appliquées que dans 40% des cas possibles, ce qui est faible. Il faut donc s’interroger, d’un point de vue démocratique, sur le fossé qui peut exister entre l’attente des citoyens et les réponses de la justice à la délinquance.

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