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Rencontre UE / Turquie : les Européens sont-ils encore capable de se faire respecter d’Erdogan ?
©ADEM ALTAN / AFP

Chantage à l’immigration

Recep Tayyip Erdogan rencontrera les dirigeants de l'Union européenne ce lundi 26 mars à Varna sur la côte bulgare de la mer Noire. Une réunion qui se tient dans un contexte où les relations se sont "dégradées à l'extrême ces dernières semaines" selon les mots du Premier ministre bulgare Boïko Borissov.

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani est avocat et essayiste, spécialiste du Moyen-Orient. Il tient par ailleurs un blog www.amir-aslani.com, et alimente régulièrement son compte Twitter: @a_amir_aslani.

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Recep Tayyip Erdogan rencontrera les dirigeants de l'Union européenne ce lundi 26 mars à Varna sur la côte bulgare de la mer Noire. Une réunion qui se tient dans un contexte où les relations se sont "dégradées à l'extrême ces dernières semaines" selon les mots du Premier ministre bulgare Boïko Borissov. Quels sont les enjeux de cette réunion et quels dossiers seront abordés ?

Ardavan Amir-Aslani : Symboliquement, le choix de la ville de Varna ne présage rien de bon sur l’issue de la rencontre Union Européenne avec la Turquie. En effet au 15e siècle, c’est dans cette ville qu’une bataille a opposé une armée de croisée à celle du Sultan Murat II ; une armée ottomane trois fois plus importante en nombre qui après la victoire turque mit fin à l'espoir des Bulgares de lever le joug ottoman qui perdurera pendant de longs siècles encore.

Trois questions occuperont le devant de la scène lors des discussions à Varna. Il s’agit d’abord et avant tout de la question migratoire et de l’aide que l’Union européenne devra apporter à la Turquie en faveur des réfugiés se trouvant sur son territoire. Il convient de rappeler que le nombre de réfugiés en Turquie dépasse les 3,7 millions de personnes, ce qui fait de la Turquie le pays accueillant la plus vaste population de réfugiés au monde. Ce nombre est également supérieur à la population des pays européens comme la Slovénie, Malte, la Lettonie ou encore le Luxembourg. Globalement, ces réfugiés, pour la plupart Syriens, sont pour l’instant bloqués en Turquie dans l’espoir de pouvoir gagner l’Europe.

Ensuite vient la question des Kurdes d’Afrin. Cette milice Kurde des Unités de Protection du Peuple est perçue comme une véritable menace pour Ankara qui a tendance à les assimiler aux Kurdes du mouvement PKK agissant sur son propre territoire et considérée comme un mouvement terroriste. Là où le bât blesse pour l’union européenne est que cette milice est leur alliée ainsi que celle des Etats-Unis dans le combat contre l’Etat Islamique. Hélas, à ce jour l’Europe ne fait qu’assister de manière impuissante en tant que spectateur au massacre de ses alliés d’hier et d’aujourd’hui.

Enfin vient la question des provocations turques en méditerranée orientale à l’encontre des chypriotes et des grecs. En effet, depuis plusieurs mois, la Turquie provoque les bâtiments de la Grèce et les Chypriotes-Grecs qui cherchent à exploiter des ressources gazières offshore dans leurs zones économiques exclusives. Ces zones sont, d’après le droit international de la mer, analysées comme un espace maritime sur lequel un pays côtier peut exercer de manière souveraine l'exploration et l'usage des ressources ; elles s’étendent jusqu’à 200 milles nautiques (environ 370 km) des côtes.

Jean-Claude Juncker, sur cette conférence, a confié envisager "cette rencontre avec des sentiments mélangés et divers, parce que la masse de problèmes conflictuels avec la Turquie ne cesse de s'agrandir". Face à tous ces enjeux et la complexité des situations comment trouver le bon ton avec la Turquie ? Comment ne pas couper les ponts avec Ankara mais ne pas non plus laisser Erdogan continuer sa dérive autoritaire et militariste ?

L’Europe n’a d’autres choix que de composer avec la Turquie, peu importe qui la dirige. Pays de presque 83 millions d’habitants aux frontières de l’Europe, 13e au rang des pays par PIB, membre de l’Otan, disposant de la deuxième armée en effectif de cette organisation et se classant au 8e rang des armées en effectifs au niveau mondial, il est difficile de l’ignorer.

En conflit ouvert avec l’Union européenne sur la question des aides pour les migrants qu’elle héberge, en confit territorial avec ses membres comme la Grèce et Chypre dont elle occupe la moitié du pays, dirigée par la confrérie des frères musulmans à un moment où l’Europe est menacée par le terrorisme islamiste, la Turquie est un interlocuteur aussi inéluctable que dangereux. Ce d’autant qu’aujourd’hui, la laïcité du Kémalisme est en recul en faveur d’un islamisme traditionnel conquérant. Erdogan lui-même, profondément imbu de lui-même et de ses certitudes, est un partenaire de dialogue particulièrement difficile, marqué pat un néo-ottomanisme visant à faire de la Turquie la Sublime porte qu’Istanbul fut jadis.

Erdogan, ayant pu constater l’impact qu’une immigration incontrôlée vers l’Europe pourrait avoir sur les populations européennes, utilise le chantage consistant à menacer l’Europe de l’ouverture des vannes migratoires. Tant que la stabilité ne revienne pas en Syrie, la menace migratoire sera utilisée pour faire plier aussi bien les finances européennes que la politique de l’union face aux provocations inacceptables des turcs en méditerranée orientale. L’Europe vient d’ailleurs de libérer une deuxième tranche de 3 Milliards d’Euros en faveur de la Turquie. En fait la Turquie se sent, de fait, autorisée à agir librement sans craindre le risque d’un retour de bâton européen.

La seule attitude qui peut faire avancer le dialogue est celle de la fermeté. En fait, on constate un retour de l’histoire dans cette partie du monde, un nouveau conflit entre l’Europe et une Turquie néo-ottomane. Si l’Europe laisse ses membres bousculés sans montrer un front unique, la Turquie continuera de grignoter petit à petit les limites de l’inacceptable pour vérifier jusqu’où l’Europe se laissera faire. L’Europe n’a pas les moyens de peser sur les penchants totalitaires turcs dans sa politique domestique, qui de fait, met un terme aux espoirs d’intégration de ce pays au sein de l’Union. Par contre, l’Europe peut au moins intervenir dans la protection de ses membres. Dans un monde redessiné, avec un Trump unilatéraliste et une Chine qui vient d’autoriser le règne de son dirigeant à vie, une Europe hésitante n’a pas de crédibilité !

Quels leviers d'action enclencher afin de peser sur Ankara pour faire cesser l'action des forces armées turques dans le Nord de la Syrie ?

La seule initiative qui pourrait faire cesser les atrocités turques à l’encontre des alliés kurdes de l’occident est celle qui consiste à y déployer des troupes européennes sur place sous couvert d’actions humanitaires. La ville de Manbij en Syrie est un exemple révélateur. La présence de centaines de troupes américaines a transformé cette ville en une sorte de havre de paix puisque l’armée turque refuse d’y pénétrer par crainte de se trouver nez à nez avec l’armée américaine.

Si l’Europe laisse faire, elle perdra toute crédibilité dans le conflit syrien et dans d’autres qui se trament.

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