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Réforme pénale : recherche vision hollandaise de la justice désespérément
©Reuters

Taubira, to be recadrée or not be

Le projet de loi sur la prévention de la récidive et l’individualisation des peines porté par Christiane Taubira sera débattu à compter du 3 juin à l’Assemblée nationale. Très controversé, le texte supprime notamment les peines plancher.

Alexandre Giuglaris

Alexandre Giuglaris

Alexandre Giuglaris est délégué-général de l’Institut pour la Justice.

 

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Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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Atlantico : Le projet de loi sur "la prévention de la récidive et l'individualisation des peines" sera examiné à l'Assemblée à partir de ce mardi 3 juin. Un texte polémique qui génère depuis plusieurs mois des tensions entre les différents membres des gouvernements Ayrault et Valls. Un compromis viable est-il capable d'émerger en la matière ?

Alexandre Giuglaris : Un compromis peut émerger au sein du gouvernement, mais il ne sera pas consensuel au niveau de l’opinion publique. Toutes les études d’opinion montrent depuis des mois, et même des années, la demande de protection des citoyens associée à une demande de fermeté de la part de la justice pénale.

Ce texte va, dans la plupart des cas, dans le sens exactement inverse de ce que souhaitent les Français. Je pense par exemple aux peines plancher contre les récidivistes. Nous réalisons régulièrement des études sur l’attente des Français. Sur les peines plancher, le constat est clair, trois quarts des Français souhaitent leur maintien ou leur renforcement. Ce cas n’est pas isolé, l’opinion française est très opposée aux libérations anticipées qui deviendront quasi-automatiques avec ce projet. Donc un compromis boiteux peut avoir été trouvé entre Christiane Taubira et Manuel Valls, mais il ne sera en aucun cas, un compromis avec les Français. C’est tout à fait regrettable alors que le fossé entre citoyens et justice n’a jamais été aussi élevé.

Philippe Bilger : J’espère que non. Je trouve que le projet de loi amendé ou non est une mauvaise nouvelle pour la justice et la démocratie française. J’accepterais volontiers modestement l’existence d’un compromis s’il y avait quelque chose à trouver dans ce texte, mais il est très mauvais. D’abord parce que devant les défis de la délinquance et la criminalité aujourd’hui, notamment l’augmentation des agressions faites aux personnes en 2014, les événements judiciaires récents qui démontrent qu'une mansuétude pénitentiaire est dangereuse, devant les attentes citoyennes qui ont besoin d’être rassurées pour leur besoin et exigence de tranquillité et de justice, il est évident que ce projet terriblement étriqué et modeste n’aura aucune incidence.

Ensuite, je ne vois pas en quoi le projet voulant imposer une contrainte pénale, même pour les infractions allant jusqu’à cinq ans d’emprisonnement, se distinguera de ce qui existe déjà, à savoir le sursis probatoire, qui lui-même est déjà très largement ineffectif à cause de la pénurie des moyens humains et matériels Autrement dit, on va créer une peine de probation qui est pratiquement la jumelle du sursis probatoire avec le même déficit de moyens et on va faire croire au peuple français que le cumul d’une double pénurie va augmenter leur sécurité et leur tranquillité. C’est une absurdité.

Troisième élément, il y a dans le projet l’assouvissement du catéchisme socialiste, à savoir la suppression des peines plancher et la rétention de sureté. En soit, plus la situation est difficile, plus la société attend rigueur, exigence, humanisme et fermeté, et plus on va priver notre démocratie de mesures qui, aussi contestées qu’elles aient été par les syndicats judiciaires, offraient tout de même leur efficacité. Les peines plancher constituent la seule mesure indiscutable qui a été votée sous Nicolas Sarkozy et qui réprime efficacement les parcours entêtés dans les domaines criminels ou délictuels. Le pouvoir socialiste et Christiane Taubira en l’occurrence préfèrent satisfaire le dogme de la mansuétude socialiste plutôt que de conserver un outil qui a fait ses preuves en dépit des critiques qui lui sont adressées.

Venir dire que les peines plancher n’ont été appliquées que trois fois ou quatre fois sur dix dans leur rigueur, ça n’est pas démontrer leur inefficacité, mais c’est démontrer qu’à cause d’une décision du conseil constitutionnel les magistrats ont pu ne pas  les appliquer dans leur plénitude. Pourquoi pas, mais il ne faut pas venir dire que les peines plancher, par rapport à l’objectif qu’elles avaient, n’ont pas défendu la société française. En outre, elles ont augmenté la surpopulation pénitentiaire, mais il faut bien être clair : cette surpopulation ne vient pas du fait que les magistrats seraient terriblement répressifs et qu’il faudrait qu’ils résonnent par rapport à la capacité théorique pénitentiaire, puisqu’on sait que les magistrats français sont parmi ceux qui incarcèrent le moins et que notre pays est celui qui utilise le plus les peines de substitution. Il ne s’agit donc pas d’une frénésie répressive, mais en réalité il faut d’avantage de prisons. C’est douloureux pour une conscience de gauche d’admettre cela, mais on peut ne pas avoir un rapport joyeux avec la structure pénitentiaire et en même temps considérer comme un objectif prioritaire la défense de la France dans sa quotidienneté, dans ses biens, dans ses citoyens.

La député socialiste Colette Capdevielle a affirmé que le texte était soutenu "dans son intégralité" par la majorité. Qu'en est-il concrètement ?

Alexandre Giuglaris : Nous verrons ce qui sera voté en séance à la suite des amendements de la commission des lois. La ligne la plus laxiste a pu être en partie contenue lors des débats de cette commission mais on sent bien que certains députés sont prêts à aller encore plus loin en séance. Nous verrons quelle est la cohérence de la majorité. Mais ce qui importe plus que cette cohérence, ce sont les amendements qui seront votés et dont les conséquences peuvent être dangereuses. Je le redis, l’opinion publique, elle ne soutient absolument pas ce texte.

Philippe Bilger : Si c’est le cas, c’est affligeant. Jespère qu’il y a encore quelques socialistes lucides qui sont capables de voir ce qu’il y a, à la fois de dévastateur et de dérisoire dans ce projet. C’est une épée de bois en face de défis qui sont infiniment plus considérables. Je crois volontiers que, la majorité confrontée à d’autres soucis et d’une toute autre nature, va en réalité se concentrer, s’accorder sur ce zest de croix socialiste où dans sa pureté et dans sa triste essence on va voir le refus du réel et ce qu’il devrait entrainer. Il y a bien une majorité qui vote ce texte sans états d’âme alors que j’ai cru comprendre qu’il y avait un sénateur UMP (Lefebvre) qui trouve le moyen de vanter ce projet et de dire qu’il va le voter. Un défaut de lucidité globale ici, peut être accordé à un défaut de lucidité singulier, là.

Christiane Taubira aurait été recadrée par François Hollande la semaine dernière après qu'une député proche de ses positions ait tenté d'étendre la contrainte pénale aux peines de plus de 5 ans. Ces divisions idéologiques ne risquent-elles pas de rendre le texte inefficace ?

Alexandre Giuglaris : On a beaucoup entendu que Christiane Taubira avait été "recadrée" sur ce point. Méfions-nous des effets de communication qui détournent l’attention du vrai sujet. De quoi s’agit-il en l’occurrence ? D’étendre la contrainte pénale à tous les délits. En effet, dans le texte du gouvernement, la contrainte pénale était limitée aux délits punis jusqu’à 5 ans de prison. Cela concerne déjà des faits extrêmement graves comme une agression sexuelle simple. Comme si cela n’était pas assez, un amendement, que le gouvernement était censé combattre par la voix de la garde des Sceaux, prévoit aujourd’hui d’inclure dans le champ de la contrainte pénale, les délits punis entre 5 et 10 ans de prison.

Et derrière ce "point technique" se cache la possibilité de ne plus envoyer en prison, des personnes condamnées pour des agressions sexuelles aggravées, des violences volontaires graves contre les forces de l’ordre, du proxénétisme ou encore l’exploitation de la mendicité. Ces excès parlementaires dangereux et le double-jeu de la garde des Sceaux ne sont pas de nature à rassurer l’opinion mais vont renforcer les critiques, à raison, contre ce texte de la part de l’opposition mais aussi par une partie de la majorité, dont Manuel Valls quand il était ministre de l’Intérieur.

Philippe Bilger : N’exagérons pas la portée de ces polémiques. Ce recadrage de François Hollande, que lui-même a atténué par la suite, n’est pas le signe d’un antagonisme véritable entre le Président et sa Garde des Sceaux. Christiane Taubira a toujours été favorable à la généralisation de la contrainte pénale. Elle n’a fait que laisser passer un amendement qui correspondait à son désir profond. Et même si on revient au texte initial, ça ne voudra pas dire que d’un coup ce projet devient valable. Il faut arrêter de nous offrir des leurres, du genre antagonisme Valls-Taubira ou recadrage du Président, pour laisser croire qu’il y a une véritable contradiction au sein du pouvoir. En réalité, ce projet va être voté. Il a été approuvé en amont et malheureusement il va se traduire par son enterrement en aval. Toutes les pseudo-dissensions ont une pseudo-importance par rapport au danger à la fois préoccupant et dérisoire de ce projet de loi qui reprend un sursis probatoire insuffisamment doté. 

Plus largement, ces combats parlementaires au sein de la majorité n'illustrent-ils pas un certain déficit de vision présidentielle sur un chantier primordial du quinquennat ?

Alexandre Giuglaris : Le domaine de la justice est bien souvent oublié des débats publics en général, mais il est clair que cette réforme n’est pas une priorité du Président de la République, et encore moins du Premier ministre. C’est un risque car on va laisser quelques spécialistes aux idées dangereuses prendre le contrôle sur cette réforme au Parlement et creuser à nouveau le fossé entre attentes des citoyens et réponses pénales.

Le manque de vision et d’ambition pour la justice pénale est aujourd’hui criant. Pourtant, c’est une réforme globale et profonde de notre justice dont nous avons besoin. La justice pénale est le parent pauvre et le maillon faible de la chaîne pénale. On ne pourra mettre fin à l’impunité qu’en faisant de la justice pénale une priorité politique et budgétaire. Ce sont des choix qui expriment des priorités et des visions. L’heure n’est plus aux demi-mesures.

Philippe Bilger : Non, parce que les joutes, elles, sont sans commune mesure avec celles qui ont été expérimentées après le discours de Manuel Valls. Ça n’a rien de comparable avec les dissensions économiques et financières qui révèlent une véritable fracture. C’est précisément parce qu’il y a ces fractures dans le domaine essentiel que le pouvoir socialiste et son groupe parlementaire ont besoin de révérer ce dogme socialiste dans sa pureté, une forme de dogmatisme compassionnel et dangereux. C’est parce qu’il n’y a plus de socialisme mythique et qui puisse se dispenser de tenir compte du réel, que l’on garde précisément cette séquence judiciaire où on considère que le projet peut se dispenser d’écouter le réel. Il n’y a pas de vision présidentielle là-dedans. Il y a eu une approbation quasiment constante de l’absence de politique de Christiane Taubira et de projet de loi, parce qu’en réalité François Hollande, en dépit du fait qu’il a laissé faire la justice dans les affaires sensibles de manière indépendante, qu’il a traité les magistrats avec courtoisie et politesse, se moque en profondeur de la justice. Ce n’est malheureusement pas sa priorité parce qu’il est trop occupé à répondre au défi que sa politique impose et aux échecs, pour l’instant sur le plan des résultats de sa politique, sur le chômage notamment.

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