Réforme du collège : ce que nous coûte la lutte contre l’élitisme et pourquoi ce sont les plus défavorisés qui paient le plus cher <!-- --> | Atlantico.fr
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Les plus défavorisés vont payer le plus cher la réforme du collège.
Les plus défavorisés vont payer le plus cher la réforme du collège.
©Reuters

Effet boomerang

Alors que 90 députés d'opposition, menés par le député de la 1ère circonscription de l'Eure Bruno Le Maire, réclament à François Hollande le retrait de la réforme du collège, les conséquences néfastes du texte sur l'enseignement sont plus que jamais au centre des préoccupations. En supprimant les classes bilingues, le texte risque bien de destituer les élèves issus de milieux défavorisés de leur seule chance de prendre l'ascenseur social grâce à l'école. Un coup dur pour la méritocratie.

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Jean-Louis  Auduc

Jean-Louis Auduc

Jean-Louis AUDUC est agrégé d'histoire. Il a enseigné en collège et en lycée. Depuis 1992, il est directeur-adjoint de l'IUFM de Créteil, où il a mis en place des formations sur les relations parents-enseignants à partir de 1999. En 2001-2002, il a été chargé de mission sur les problèmes de violence scolaire auprès du ministre délégué à l'Enseignement professionnel. Il a publié de nombreux ouvrages et articles sur le fonctionnement du système éducatif, la violence à l'école, la citoyenneté et la laïcité.

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Atlantico : Najat Vallaud-Belkacem a estimé vouloir en finir avec "l’élitisme" au nom de "l'égalité des chances" justifiant ainsi la suppression des classes bilingues, du latin et du grec. Est-ce vraiment une bonne idée dans le sens où l'école a pour objectif de tirer les élèves vers le haut plutôt que de faire de tous les élèves des élèves moyens ?

Eric Deschavanne : Najat Vallaud-Belkacem fait flèche de tout bois pour défendre sa réforme du collège qui selon elle permet à la fois d'augmenter l'égalité des chances et de lutter plus efficacement contre l'échec scolaire. En vérité, la réforme est nuisible sur les deux tableaux : elle va contribuer à casser ce qui reste d'élitisme républicain tout en renforçant l'échec scolaire. Le problème du collège unique, c'est le lit de Procuste : on coupe ce qui dépasse et on tente désespérément d'étirer ce qui est trop petit. Dans le langage de la maison educ'nat', le lit de Procuste se nomme "l'excellence pour tous" : au nom de l'égalité et de l'ambition culturelle, on conçoit des programmes exigeants et on prétend tirer tous les élèves vers le haut dans des classes hétérogènes. On ne sort pas de cette logique, on la renforce : madame Vallaud-Belkacem et ses soutiens, comme Patrice Bloche, le Président de la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée Nationale, le revendiquent explicitement : la réforme du collège vise à supprimer l'école à deux vitesses, en éliminant les options et les sections européennes, pour généraliser à tous les élèves, sous forme de saupoudrage, les bienfaits de l'enseignement de l'allemand, du grec et du latin. Il faudrait leur poser deux questions : que reste-t-il de l'élitisme républicain quand on supprime l'élitisme ? Comment va-t-on s'y prendre pour faire apprendre dès leur entrée au collège deux langues vivantes et deux langues mortes aux 35% d'élèves qui arrivent sans maîtriser la langue française ?

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, cette réforme aggravera les maux du collège unique, que l'on connaît pourtant bien : les classes hétérogènes sont ingérables; l'ambition affichée par les programmes se traduit concrètement par l'école du "faire semblant", où les professeurs font semblant d'enseigner et les élèves font semblant d'apprendre; les classes moyennes fuient le collège public lorsque "l'hétérogénéité" tirent par trop le niveau vers le bas tandis que les élèves les plus faibles se noient. Tous les intéressés ont parfaitement compris que la réforme ne produira pas un latiniste ou un germaniste de plus. En pratique, on supprime l'égalité des chances d'accèder à l'apprentissage réel de l'allemand, du grec et du latin dans des classes "protégées", avec des horaires et un enseignement consistants.

Jean-Louis Auduc : L'implantation des classes bilingues est, contrairement à ce que l'on pense généralement, très souvent dans des établissements dits d'"éducation populaire", qui accueillent les enfants des familles les plus défavorisées. Les abandonner c'est mettre à terre toute une politique qui permettait de stabiliser et de tirer vers le haut les établissements situés en zone d'éducation prioritaire. Cela les valorisait par rapport à ceux des quartiers plus huppés. Cela montrait aux élèves de primaire, qui s'apprêtaient à entrer au collège, qu'il était possible de réussir quelle que soit sa classe sociale d'origine. Cette motivation les poussait à réussir dès la primaire car leur travail était récompensé et reconnu par l'entrée dans les classes bilingues, très convoitées. C'était aussi une fierté pour les élèves issus de milieux difficile. C'était pour eux l'ascenseur social inespéré. Ce sont donc les premières victimes de cette réforme, d'autant plus que les plus favorisés auront de toute façon la possibilité d'étudier de manière intensive les langues vivantes en dehors de l'école.

Il ne faut donc pas se baser sur un élève moyen qui n'existe pas mais plutôt encourager les filières d'excellence. La suppression des classes bilingues signifie la moindre reconnaissance du travail fourni par les élèves les plus défavorisés, qui se battent pour s'en sortir. Cela va paupériser encore plus les établissements et les quartiers qui profitaient de ces filières. On supprime ainsi les seules filières qui ouvraient des portes à ces jeunes.

En voulant lutter contre l'élitisme de la sorte, le gouvernement ne risque-t-il pas au contraire de creuser les inégalités  ? 

Eric Deschavanne : C'est absolument certain. Les sections européennes permettaient de tirer vers le haut des enfants issus de tous les milieux sociaux dans les collèges publics sur l'ensemble du territoire. L'élitisme "dynastique" que prétend combattre Najat Vallaud-Belkacem n'est absolument pas touché par la réforme : il repose sur la dualité public/privé et sur la ségrégation territoriale : chacun sait que l'enseignement dans un collège des beaux quartiers de Paris n'a rien à voir avec l'enseignement délivré dans un collège de Clichy-sous-bois : "l'excellence pour tous" n'est à cet égard qu'une fiction. La réforme va sans doute renforcer la fuite vers le privé et les stratégies résidentielles destinées à éviter les collèges difficiles... et donc perpétuer l'existence d'un système scolaire à deux vitesses fondé non sur la méritocratie mais sur des critères purement socio-économiques.

Jean-Louis Auduc : Toutes les études menées, notamment celle de Stéphane Bonnery (Paris 8), montrent que les élèves ont besoin d'un travail sur les fondamentaux qui constituent le savoir. En les abandonnant, c'est celui qui n'aura pas accès à ce savoir à la maison qui sera pénalisé. Le rôle du collège est de donner des clés pour ouvrir les bonnes portes du savoir. Cette réforme va mettre de plus en plus d'élèves devant des portes dont ils n'auront pas les clés.

Un élève issu d'un milieu défavorisé doit être structuré. Lorsque vous travaillez sur des sujets interdisciplinaires, comme le prévoit le texte, il faut d'abord avoir un minimum de structures. C’est-à-dire leur montrer quels sont les savoirs indispensables dans notre société. Cette réforme a été préparée par des gens qui pensent que tout le monde a les mêmes savoirs de base qu'eux.

Élaborer des programmes thématiques  et interdisciplinaires, comme le prévoit le texte, ne favorisera-t-il pas davantage les élèves au capital social et culturel important ? Comment ?

Eric Deschavanne : Ces programmes, rédigés dans un jargon dont toute la France se gausse, ainsi que l'intitulé des "Enseignement pratiques interdisciplinaires (sic) constituent un monument de bêtise bureaucratique dont je ne pense pas que l'on puisse dire qu'il favorisera qui que ce soit. Par ailleurs, on ne peut pas préjuger de la manière dont les professeurs s'approprieront l'interdisciplinarité : il est toujours possible de tenter de faire un usage intelligent d'une réforme stupide. Vous avez cependant raison sur un point : la disparition des repères fondamentaux nuira moins aux enfants qui bénéficient dans leur famille d'une transmission de ces repères.

Pour pallier le problème du renouvellement des élites, supprimer les marqueurs de réussite à l'école ne réglera-t-il pas qu'une petite partie du problème ? Les plus aisés ne finiront-ils pas de toutes façons par réussir quoiqu'il arrive ?

Jean-Louis Auduc : Il y aura inévitablement des écarts de réussite sociale. Monter toutes les potentialités c'est permettre à tous les élèves de courir un 100 mètres et non pas à permettre à certains de courir un 100 mètres et aux autres un 110 mètres haies. Si l'on supprime le latin, par exemple, celui qui voudra faire du droit, riche en termes latins, devra faire des modules supplémentaires à l'université pour les maîtriser alors que celui qui aura eu l'opportunité de les étudier à la maison aura une longueur d'avance. On prépare avec cette réforme une société où certains courront un 100 mètres plat quand d'autres devront courir un 110 mètres haies. Or on n'a jamais vu quelqu'un finir un 110 mètres haies aussi vite qu'un 100 mètres plat.

Il y a une diversité des réussites. Ce dont a besoin l'école c'est de montrer les exemples de ceux qui ont réussi par l'école. Aujourd'hui, les modèles sont les acteurs, les footballeurs ou les stars de la télé-réalité. C’est-à-dire ceux qui n'ont pas réussi par l'école.

Si l'on supprime les classes bilingues et si l'on suit cette logique, on va supprimer les filières d'excellence comme les préparations à Sciences Po réservées aux défavorisés. Or ces dernières ont fait bouger les lignes en ce qui concerne les origines sociales.

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