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Réforme des prisons : ce très bon outil que pourrait être le dossier personnalisé
©Reuters

L'incarcération

Mardi 6 mars, le chef de l'Etat a dévoilé les pistes de sa "refondation pénale".

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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L'état présent de la Justice est-il suffisamment prise en compte par le chef de l'Etat dans ses propositions ? 
Xavier Raufer : Débutons par cette question cruciale, qui engage l'avenir. En 1972, paraissait le "Rapport" de Pierre Arpaillange. Figure de l'ordre judiciaire, qui en occupa tous les grands postes - Garde des Sceaux y compris - Arpaillange adresse à son ministre, voici 46 ans, un texte majeur "Pour une réforme d'ensemble de la justice pénale". On y lit ceci : "« La sanction pénale est censée à la fois punir, intimider, éliminer ou neu¬traliser au moins provisoirement, amender et resocialiser le délinquant, tout en exerçant un effet de dissuasion sur d'éventuels imitateurs. Ces diverses fonctions ne sont en réalité guère compa¬tibles ; Les tribunaux prononcent des mesures, bien souvent ni intimidantes, ni rééducatrices. Les tribu¬naux n’osent plus punir, n’ont pas les moyens de traiter : ce mélange des genres rend l’intervention judiciaire équivoque, parfois aberrante et finalement peu efficace… ». 
Presque cinquante ans après, rien n'a changé - même après les mesures du président Macron. Toujours et encore, la justice fait du sur-place. Car au-delà des rustines et autres bricolages, son problème fondamental, celui de la philosophie du droit dans notre société, n'est jamais abordé ; n'est pas poussé par une vision d'abord, une décision, ensuite. Car gouverner c'est prévoir mais surtout, décider.
Martin Heidegger prévient ici celui qui élude, ne décide pas : 
"Les décisions ne s'obtiennent pas du fait de discourir à leur sujet, mais du fait qu'est créée une situation et sont appliquées des dispositions rendant la décision inéluctable, où toute tentative pour l'éluder revient en fait à la décision la plus grave" 
Or la pénitentiaire est au bout du processus judiciaire et accumule donc les retards, manques et dysfonctionnements. Après 60 ans de Ve République, dans la France de 2018, la pénitentiaire c'est ceci : 
- Nombre de détenus par surveillant : France (2017) 28 000 surveillants pour quelque 69 000 détenus, calcul simple à faire : 2.46 - au niveau de la Pologne, de la Roumanie ou de la Bulgarie,
- Nombre de détenus pour 100 places en cellule  France (2015) 113,4/100 au niveau (lisez bien) de la Moldavie et de l'Albanie.
D'où, des prisons-passoires ou l'on a confisqué (1e semestre 2017) 19 400 portables et accessoires pour 69 000 détenus ; d'où aussi, des prisons où, disent les syndicalistes "la violence physique devient toujours plus fréquente" : homicides, prises d'otages, agressions - en 2017, 11 surveillants attaqués par jour.
D'où des aberrations. En voici une parmi cent autres. En juin 2017, Kamal K poignarde un agriculteur du Tarn-et-Garonne pour le tuer, au cri de "Allah Akbar". l'homme est radicalisé, fiché S et assigné à résidence pour "détention de propagande djihadiste". Or il est libéré en janvier 2018, avant même toute confrontation devant le juge d'instruction. Au fou !
D'où enfin, une justice à la sauvette ou l'on dévalue les sanctions, faute de  moyens., Dans les compte-rendu d'audiences, on lit chaque jour ceci : "ces deux crimes auraient dû être jugés par une cour d'assises, mais pour rendre plus vite la justice, ils ont été correctionnalisés" ; ou "Initialement qualifiés de vols à main armée, crime passible des assises, les braquages ont été requalifiés en vol avec violence (délit)". Ainsi, le vrai problème de la justice n'est pas celui du nombre de places en prison, c'est la constante et sournoise pratique de balayer la poussière sous le tapis.
Au lendemain des annonces d'Emmanuel Macron sur la refondation pénale, il est critiqué par le syndicat de la magistrature qui dénonce un recul et par la droite, notamment par Eric Ciotti qui déclare  "Emmanuel Macron fait du Taubira, il se trompe, on est dans l'artifice"  "Aujourd'hui la société est toujours plus violente, il y a chaque jours 600 agressions, 700 cambriolages (...) Après ce plan il y aura moins de gens en prison, et plus de délinquants purgeant leur peine chez eux, ou en liberté". Comment faire la part des choses sur ces annonces ?
Faire la part des choses consiste d'abord à évaluer le réel. A se demander qui sont les criminels ? Où sont-ils sur le territoire et quels crimes commettent-ils ? Deuxième étape - pas toujours simple - est d'avoir en temps et heure les bons chiffres. A combiner ces deux paramètres, on réalise que supprimer les peines d'un mois libère moins de 400 places par an en prison ; même, supprimer la prison pour toute peine d'un an ne libère qu'environ 10 000 places (en stock). Or la surpopulation carcérale n'est pas conjoncturelle, mais structurelle.
N'oublions pas l'autre stock, lui plus important, des peines en attente d'exécution (condamnés à la prison ferme qui, faute de mandat de dépôt, attendent libres qu'on les incarcère ou aménage leur peine). Combien y en a-t-il vraiment ? Surtout : au delà du cours normal de la procédure pénale, combien d'individus dangereux, de prédateurs, restent ainsi dans la nature ? Difficile à savoir.
Faire la part des choses tient enfin à éviter l'incantation et l'idéologie. Voici peu, un brave aumônier de prison a ressorti le cliché du "tout carcéral". Rappelons au saint homme qu'en moyenne, les Etats de l'Union européenne comptent 115,5, détenus pour 100 000 habitants (dernières données disponibles). La France, elle, n'en compte que 98,3/100 000. Pas le goulag, quand même.
Sécurité, taux d'occupation des prisons, : comment le dossier de personnalité pourrait-il être utile ? Quel contenu pour que cette mesure soit efficace ? 
L'idée est bonne, si ce dossier n'est pas un recueil des âneries et bienséances de la "culture de l'excuse", mais bien plutôt, inclut les concepts de la criminologie contemporaine, tel celui de "prédateur violent", individu alcoolique, toxicomane et perturbé, plus brutal et violent que la moyenne, à neutraliser autant que la loi le permet. Ce pour protéger la population bien sûr. Voir le rapport Arpaillange "neutraliser au moins provisoirement".
Là encore, comment le faire intelligemment, en prenant le temps de réfléchir, avec des tribunaux au personnel squelettique et noyés sous les dossiers ? Récemment, le tribunal de Rennes crie au secours, à l'abandon. A minima, il lui manque sur le champ 30 (trente) postes et de ce fait, tout acte de justice y est frappé de retards immenses. En prime désormais, et par dessus le marché, les dossiers de personnalité. Comment feront dans le concret ces magistrats submergés ? 

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