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Record à la baisse du nombre de mariages : un coût pour la société aussi grave que celui de la crise économique
©Flickr/dnartreb89

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Institution en déshérence, le mariage traverse une grave crise en France : selon les chiffres de l'INSEE l'année 2013 a même été celle où le moins de couples se sont mariés depuis 1945. Concurrence d'autres contrats d'union, crise de confiance, hausse des divorces ... les causes sont multiples. Mais les conséquences, pour notre société et notre économie, elles, pourraient être bien plus graves que l'on ne le croit.

Vincent Touzé

Vincent Touzé

Vincent Touzé est économiste senior au département des études de l'OFCE (Observatoire Français des Conjonctures Economiques).

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Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : Selon l'INSEE, le nombre de mariages enregistrés en 2013 a été le plus bas depuis l’après-guerre, avec 231.225 unions célébrées entres personnes de sexes différents. Un chiffre en baisse de 6 % par rapport à 2012. Selon vous, à quoi cette baisse historique du nombre de mariages est-elle due ?

Bertrand Vergely : Cette baisse s’explique pour trois raisons :

  • Depuis longtemps déjà le mariage est rejetée par ceux et celles qui refusent l’idée de se marier à l’Église. L’idée du mariage comme sacrement et donc comme sacré choque leur aspiration à une humanité et non à une sacralité du mariage.
  • Par ailleurs, plus récemment, le mariage est  refusé par ceux et celles qui voient dans le mariage à la mairie une intrusion du publique dans le privé, le maire leur donnant l’impression de politiser une affaire de sentiment personnel. 
  • Enfin, il existe un effet pervers du Pacs. Si ce dernier permet d’avoir des droits et des aides habituellement alloués au mariage, pourquoi se marier ? Pourquoi passer par une procédure renvoyant au  sacré religieux ou au sacré républicain ? Pourquoi ne pas carrément désacraliser celui-ci et le ramener à sa dimension pratique, économique et juridique ?

La hausse de l'individualisme dans notre société est régulièrement pointée du doigt. L'individualisation de la société a-t-elle fait éclater le mariage ? L'évolution du statut de la femme, laquelle a acquis un rôle autonome et égal à celui de l'homme, a-t-elle eu une influence ?

Bertrand Vergely : Il faut comprendre le sens de la "révolution individualiste". Auparavant, c’était l’individu qui obéissait à la loi, à la morale et au mariage. À ce titre, l’individu était fait pour le mariage et non le mariage pour l’individu. Avec la "révolution individualiste", c’est l’inverse qui se passe. Le mariage doit être fait pour l’individu. Résultat : puisque l’individu est la règle de tout, ne perdons pas de temps. Que l’individu se marie avec lui-même. La question du mariage sera résolue, le sens du mariage étant non plus le mariage avec un autre mais avec soi.

Ce n’est pas la libération de la femme qui est, en tant que telle, la cause de cette baisse, mais ce qu’il y a autour d’elle, à savoir la liberté sexuelle. Comme la femme possède la contraception, la vie sexuelle s’est libérée. Comme la vie sexuelle s’est libérée, se marier n’est plus une nécessité pour avoir une vie sexuelle. Le féminisme doit se comprendre comme un phénomène parmi d’autres à l’intérieur d’un vaste mouvement d’émancipation.  Comme notre monde veut tout libérer, notamment la femme, il se libère du mariage. Si la femme doit se libérer de la Nature, le mariage doit se libérer du droit et du contrat. Plus de Nature, plus de Droit et de contrat, même combat !

Le mariage suppose un engagement fidèle et durable, donc beaucoup de responsabilités. Dans quelle mesure la crise du mariage est-elle le corollaire d'une crise de confiance dans la société française ?

Bertrand Vergely : La responsabilité signifie le fait de répondre à l’appel d’un autre. Dès lors, qu’il n’y a plus d’autre, parce que cet Autre avec un grand A qu’est Dieu n’existant plus et parce que l’important n’est plus autrui mais soi, il n’est guère étonnant que la confiance disparaisse. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le monde dans lequel nous vivons n’est pas un monde qui a peur. C’est un monde qui n’a plus peur de rien parce qu’il se moque de tout, de Dieu comme d’autrui. D’où la crise de confiance que l’on note aujourd’hui. Il y a du sens à faire confiance quand l’autre existe, mais quand il n’existe plus, cela devient un faux problème. Dieu ? Autrui ? Mais, on s’en moque. L’important c’est nous. Donc ayons confiance en nous et non la foi en Dieu ou la confiance en autrui. Ils viennent à notre secours quand cela ne va pas ? Non. Alors ne comptons que sur nous-mêmes et n’ayons confiance qu’en nous.  

La baisse du nombre de mariages s’accompagne d’une augmentation du nombre de familles monoparentales, avec quelles conséquences pour les parents comme pour les enfants ? Dans 85 % des cas de monoparentalité, l’adulte célibataire est la mère. Quels problèmes l’absence de père pose-t-elle ?

Bertrand Vergely : Une mère seule, un père seul, cela veut dire un échec sentimental, une rupture, de la solitude, donc un drame. Donc de la souffrance et un drame pour l’enfant qui le sent et qui va se sentir coupable et responsable. Ma mère, mon père sont seuls ? C’est que nous sommes tous coupables. C’est que je suis coupable. Donc, il faut qu’on répare. Donc, il faut que je répare. Et nous allons réparer. Et je vais réparer. En assumant le couple qui n’a pas eu lieu et qui aurait dû avoir lieu ou en partant ailleurs.

Symboliquement le père incarne l’autorité et la loi. Plus de père ? Cela veut dire quelque chose qui n’aura pas été nommé dans l’ordre de l’autorité et de la loi et qui va, de ce fait, chercher à se nommer d’une façon ou d’une autre. Beaucoup de jeunes livrés à eux-mêmes, sans père, bravent l’autorité et la loi pour que celle-ci se dévoile et se révèle dans leur existence. La haine de la police cache souvent un désir de père. Le père qu’ l’on n’a jamais eu entraîne la haine-amour du père. Cela donne le paradoxe du paumé pathétique qui crie : "Tout ce que je fais, je le fais parce que je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui m’aime asse pour me flanquer la paire de baffes que je mérite et que je n’ai jamais eue".

L'éclatement de la famille et le développement de ces familles monoparentales représente également un coût économique. Quel est-il ?

Vincent Touzé : Sur 2,228 millions de bénéficiaires du RSA, il y a 699.000 femmes seules avec enfants contre 51.000 hommes seuls avec enfants. Les hommes sont plus de 12 fois moins nombreux. Les parents isolés représentent donc près d’un tiers des bénéficiaires du RSA.

D’un point de vue économique, la famille forme une communauté qui permet de mutualiser certains risques. Par exemple, avoir deux parents actifs garantit une meilleure sécurité financière au cas où l’un des deux perd son emploi.La solidarité est la base de la famille. Ainsi, lorsque l’un des deux époux est malade ou devient dépendant, l’autre est là pour lui apporter son soutien gratuit. La société n’est pas mise à contribution ou seulement à la marge. Pour un parent isolé, l’assistance ne pourra venir que de la société.

La transmission de capital humain est un élément clé pour le développement de l’enfant. Avoir plusieurs adultes (en général les parents) disponibles, à l’écoute et éduqués augmente indéniablement les chances de réussite de l’enfant.

Des enfants en échec scolaire, affectif et sans repère pour devenir des adultes autonomes sont des drames individuels dont la société doit particulièrement se préoccuper. A un niveau collectif, les enfants représentent l’avenir de la société, en ce sens ils sont ce qu’elle a de plus précieux. La société doit donc être très attentive à lutter contre la pauvreté des familles et la reproduction de la pauvreté. A ces malheurs individuels, s’ajoutent de nombreux coûts pour la société tels que la délinquance ainsi que la perte de richesse liée au fait que certains enfants une fois devenus adultes n’auront pas les qualifications suffisantes pour obtenir un emploi et donc produire.

Alors qu'il est aujourd'hui beaucoup question de la crise économique, avons-nous pris la mesure de la "crise du mariage" dans notre pays ? Quelles peuvent être ses conséquences sur le court et le long terme ?

Bertrand Vergely : La société repose sur trois choses : le mariage, la propriété et le contrat, le mariage permettant aux êtres humains de se lier aux autres êtres humains pour reproduire l’humanité, la propriété permettant de se lier aux choses et le contrat de se lier aux êtres humains et aux choses pour créer des richesses. Plus de mariage ? Un jour ou l’autre, la société va s’en ressentir, la question de sa survie se posant. On ne touche pas à un des piliers de la société comme ça ! Il faut se marier avec la vie pour vivre. Quand le mariage est malade, c’est le mariage avec la vie qui est malade

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