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Realpolitik avec la Chine: l’heure pour la France de se mettre en marche sur les nouvelles routes de la soie a sonné
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La route est tracée

En se rendant en Chine du 8 au 10 janvier, le Président de la République, Emmanuel Macron va découvrir un pays dont la transformation, tant sur le plan interne que vis-à-vis de sa politique extérieure, se poursuit à pas de géant.

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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L’année 2018 pourrait ainsi être l’année de la redécouverte de ce qui, par le passé, nous a unis et qui pourrait, dans l’avenir, nous rapprocher.

En entraînant avec lui plusieurs centaines de chefs d’entreprises et d’acteurs français, désireux de profiter de cet élan autant économique que diplomatique, le président français,  découvrira, de Pékin à Xi’An -  au cœur de la Chine - le visage d’un pays aux multiples facettes. Celles d’un pays-civilisation qui s’ancre dans sa profondeur historique pluri-millénaire assumée et ses desseins de puissance géographique revendiquée, parfois aux dépens de ses voisins terrestres et maritimes.

Le Président français rencontrera un président chinois, Xi Jinping, désormais auréolé d’un pouvoir sans précédent depuis Mao Zedong. Comme lui, le 7ème Président de la République populaire de Chine cumule désormais tous les titres afférant au pouvoir en Chine (Secrétaire général du Parti Communiste Chinois - PCC, Président de la Commission militaire centrale du PCC) et s’engage résolument, comme le fondateur de la République populaire de Chine en 1949, pour son second mandat pour les cinq prochaines années, autour d’un Comité permanent du Bureau politique du Comité central du PCC, resserré autour de sept fidèles collaborateurs.

Les deux présidents français et chinois, auréolés pour l’un, d’une victoire à la Pyrrhus en mai dernier, et pour l’autre, conforté par le 19ème Congrès du PCC, en octobre dernier, vont ainsi avoir beaucoup à se dire et à se demander réciproquement.

Ils se ressemblent singulièrement, un peu…

Emmanuel Macron entend revisiter quelque peu le principe du « centralisme » institutionnel tout en envisageant de réformer en profondeur la société française, en s’inspirant de la planification et de la participation, legs gaullistes revisités, à l’aune de son ou de ses mandats. Le président chinois, entend lui, ancrer la société de « moyenne aisance » à travers une stricte application des plans quinquennaux amenant les 1,3 milliards de Chinois vers une domination économique « maîtrisée ». La référence à la planification n’est pas très loin dans ce dessein.

L’agenda prévoit bien évidemment des discussions sur la contribution chinoise au règlement pacifique et diplomatique de la crise avec une Corée du Nord, nucléarisée et autiste, dont la dépendance économique avec Pékin demeure, malgré tout, un puissant levier d’influence sur le régime de Pyongyang.

Néanmoins, en lien avec ce dossier, les critiques pourraient être aisées quant aux revendications chinoises en mer de Chine orientale et méridionale…

La France, qui vient juste de récupérer 579 000 Km2 de Zone Economique Exclusive (ZEE) - conformément aux recommandations récentes de la Commission des limites du plateau continental (CLPC, établi en 1982, à l’occasion de la Convention de Montego Bay) - serait légitime pour jouer les médiateurs, comme elle a pris l’habitude de le faire depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron.

Les causes de conflits sont aussi nombreuses dans le voisinage terrestre de la Chine. Les deux présidents français et chinois pourraient également en parler, tant ils conditionnent aussi la stabilité continentale.

Il en est ainsi des velléités de confrontation entre la Chine et ses voisins, notamment l’Inde, dont les affrontements, en juin dernier, sur le plateau controversé du Doklam, à plus de 5000 mètres d’altitude, donnent un avant-gout d’une possible nouvelle confrontation militaire, qui avait vu en 1962, la Chine occuper plusieurs territoires face à une Inde déterminée, malgré son infériorité militaire, à défendre, dans la région du Sikkim et de l’Assam, ses frontières du Nord-Est et du Nord-Ouest.

Le fera-t-elle ?

Elle le pourrait en tout cas, tant la France ne cesse de vanter l’action et le rôle des organisations régionales sub-régionales et instances de dialogues trans-continentales.  Paris entend d’ailleurs s’impliquer davantage dans nombre d’entre elles, comme observateur ou partie prenante : Association des Nations de l’Asie du Sud-est (ASEAN) ; Commission du Pacifique ; Coopération économique pour l’Asie-pacifique (APEC), Dialogue Europe-Asie  (ASEM) ; ou encore l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS, crée en 2001, qui demeure l'organisation régionale qui traduit le mieux la volonté de la Chine de se positionner au milieu d'un "nouveau grand jeu" en Asie centrale).

Les atermoiements et incohérences de l’Administration Trump sur ce dossier, comme celui de la justice climatique et de l’adaptation au changement climatique, rendent aussi désormais plus crédible la sincérité de la Chine dans le concert des Nations, comme est venu le confirmer la réunion « One Planet Summit », du 12 décembre dernier, à Paris.

La stabilité au Moyen-Orient, sur fond de crise - dans la foulée de la décision unilatérale américaine sur Jérusalem - et dans le contexte des conséquences de la brouille opposant le Qatar au quartet à l’initiative depuis six mois d’une Arabie Saoudite, soucieuse de déstabiliser par tous les moyens l’Iran - pourrait aussi s’inviter à la table des négociations. 

On sait que Pékin, s’était proposé dès 2014 - en désignant un émissaire spécial - pour une autre manière de régler la crise entre Palestiniens et Israël. Cet intérêt pour le Levant rend ainsi la Chine légitime pour asseoir « concrètement » la réconciliation nationale en Syrie, eu égard à sa proposition de prendre à sa charge, ou du moins de ses 100 000 entreprises engagées sur les marchés mondiaux, les quelques 300 milliards de dollars nécessaires à la reconstruction en Syrie…

Mais de tous les dossiers sensibles dont il devrait être question, celui des nouvelles « Routes de la Soie » est le plus « structurant » pour les décennies à venir.

« La géographie n’est autre chose que l’histoire dans l’espace, de même que l’histoire est la géographie dans le temps » (Elisée Reclus, 1905). Cette citation du géographe français illustre parfaitement le titanesque projet chinois de « Route et de Ceinture » : « One Belt, One Road », (OBOR) désormais appelé « Belt and Road Initiative » (BRI) lancé par le président chinois, lors d’un discours prononcé devant les étudiants de l’Université Nazarbaïev, d’Astana, au Kazakhstan, en septembre 2013.

Ce méga-projet vise ainsi à faire renaître les mythiques « Routes de la Soie », qui firent les riches heures des marchands chinois et européens à partir de la dynastie des Hans, dont l’Empereur Han Wudi, qui envoya Zhang Qian, aux alentours de 139 avant JC, à la rencontre de l’Empire romain. Mille ans plus tard, c’est autour de Marco Polo de revenir sur son épique périple chinois à travers l’ouvrage « Il Milione ».

Le 18 janvier dernier, après 18 jours et 12 000 km traversés, le premier train de marchandise ayant quitté la ville de Yiwu dans la province du Zhejiang faisait son arrivée à Barking, dans la banlieue de Londres. Ferdinand de Lesseps en rêvait vers la fin du 19ème siècle, à travers son projet de chemin de fer central-asiatique, l’ONU l’appelait de ses vœux, en 2009, à travers le projet du Trans-Asian Network, mais c’est finalement sous l’égide du projet chinois BRI que naissait concrètement une coopération eurasienne, porteur de formidables opportunités économiques et diplomatiques.

C’est, du reste, riche de ce glorieux et fructueux passé, que le président chinois, Xi Jinping, confirmait, en octobre 2013, dans la ville du centre de la Chine, Xi’an et dans un des principaux port chinois, Ningbo, son idée « révolutionnaire » de relancer les mythiques routes terrestres à travers sa comparaison de ceinture « Belt » terrestre et route  « Road » maritime reliant la Chine à l’Europe et à l’Afrique, à travers l’Asie centrale, le Caucase, les Balkans et le Moyen-Orient et reliant la Chine à l’Europe ; ainsi qu’à travers les « quatre mers » (mer de Chine ; Océan indien /mer Rouge ; mer Caspienne ;  mer Noire/ Méditerranée).

De quoi s’agit-il réellement, car les chiffres sont tellement gigantesques qu’ils donnent le vertige.

S’il fallait résumer le projet en quelques réalités, il conviendrait de retenir les 500 milliards de dollars que la Chine s’engage à investir d’ici 2049 (centenaire de la création de la République Populaire de Chine), tout au long de six corridors traversant 68 pays (dont les derniers impétrants sont le Maroc, la Nouvelle-Zélande, et qui devraient être prochainement rejoint par l’Australie), et ce, afin de « compenser » les 26 mille milliards de dollars de déficit en matière d’infrastructure (routes, ponts, ports, chemins de fer, pipelines, aéroports…).

Ainsi, la Chine entend surtout, à travers, ce projet « structurel » confirmer son positionnement de principale puissance mondiale.

Certes, il faudra attendre 2030 pour que la Chine dépasse les Etats-Unis, tant sur le plan du budget militaire ou de celui de la part hégémonique des produits chinois sur les échanges commerciaux, mais déjà, par le truchement des 100 milliards de dollars engagés depuis la fin de l’année 2014, pour la création de la Banque asiatique d’infrastructure et de développement (AIIB), la Chine est devenue de facto, la puissance commerciale globale de nature à concurrencer durablement les Etats-Unis.

Dès lors, comment expliquer, le peu d’intérêt français, singulièrement un certain dédain européen pour cette nouvelle configuration géo-économique, géopolitique et géo-culturelle ?

C’est pourtant là, que se décide un nouvel ordre mondial, dans lequel les concepts de  diplomatie « coopérative », de politiques de développement plus « inclusives » (« people to people ») et de remplacement du G20 au profit du concept de E11 (réunissant les 11 économies émergentes aux côtés des BRICAS) y sont discutés.

Comment comprendre, aussi, que lors du Sommet de Beijing, les 14 et 15 mai derniers, le vice-président du parlement européen ne daigne pas signer le communiqué final, mettant en exergue les contours du projet BRI, sur une base plus concrète ?

La Realpolitik nous impose, pourtant, en 2018, d’ouvrir enfin les yeux !

Depuis 2009, les investissements directs chinois ont été multipliés par cinq aux Etats-Unis ; leurs échanges commerciaux avec le continent africain avoisinent désormais les 220 milliards de dollars (la balance commerciale France/ Afrique n’est « modestement » que de 54 milliards d’euros, portés à 100 milliards d’euros en y agrégeant ses 26 partenaires de l’UE).  Ce sont ainsi près de 113 milliards de dollars qui sont aujourd’hui consacrés à la consolidation d’un budget de la défense en constante hausse (+17% en 2016, bien qu’encore loin des 589 milliards de dollars que consacrent les Etats-Unis à leur défense) mais qui fait désormais de la Chine, un acteur sécuritaire de premier ordre, et ce, par le truchement des 2500 Chinois déployés dans les opérations de maintien de la paix onusienne et de la contribution financière conséquente de la Chine au budget de l’ONU (4/5ème contributeur).

Lors de la première réunion du G20 en Chine, les 4 et 5 septembre 2016 à Hangzhou, et répétés les 7 et 8 juillet derniers à Hanovre, sous la présidence allemande du G20, ont pourtant été évoqués les principes « cardinaux » que le manque d’incarnation du leadership évanescent américain nous oblige à confronter collectivement, et ce, dans une configuration de partenariat plus approfondi avec la Chine.

Ces principes « cardinaux » sont pourtant d’évidence les opportunités qui devraient faire de la France un partenaire naturel avec la Chine :

·       « Observer scrupuleusement les buts et principes de la Charte des Nations Unies » ;

·       « Persévérer dans l’ouverture économique et la coopération » ;

·       « Persévérer dans l’harmonie et la tolérance » ;

·       « Faire jouer pleinement les règles du marché » ;

·       « Favoriser une démarche « gagnant-gagnant ».

Il existe, en effet, de nombreuses complémentarités commerciales entre Paris et Pékin, et ce malgré le contexte d’une âpre discussion sur les 25 accords sectoriels qui existent entre la Chine et l’UE, et que Bruxelles, premier partenaire économique de Pékin, entend protéger scrupuleusement.

Il en va de même avec le refus de l’UE, d’accorder à la Chine, en décembre 2016, après 15 ans d’adhésion à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en 2001 le statut « d’économie de marché », lui permettant de s’amender des taxes que Pékin estime peser sur la compétitivité de ses produits. La Chine est pourtant son deuxième partenaire économique (après les Etats-Unis) !

Rappelons, à cet effet, que l’UE a aussi décrété en 1989, un embargo sur les armes, dans la foulée de la répression des manifestations de la place Tian’Anmen.

Demeurent ainsi la nécessité de la concertation, eu égard à ces nombreuses divergences. Cela passe, bien évidemment par l’instauration d’un dialogue stratégique équilibré, notamment sur les grands dossiers internationaux (stabilité au Moyen-Orient, développement sur le continent africain, maritimisation des relations internationales dans un contexte où 90% des marchandises sont encore transportées par vois maritimes, règlement pacifique de la crise vis-à-vis de la Corée du Nord…).

C’est le cas, en particulier, avec l’opportunité de construire une communauté de destin écologique, gagée sur les engagements fermes que la Chine s’est engagée à réaliser (notamment la diminution significative de ses émissions en gaz à effet de serre, dans la foulée de la diminution de 4% de ces derniers, en 2016) alors qu’elle en émet le plus dans le monde…

Mais au-delà, c’est surtout dans la capacité de profiter mutuellement des formidables leviers de croissance et de coopérations dans quelques secteurs clés (santé, éducation, sécurité) que résident de réelles convergences entre la France et la Chine.

Il devrait aussi en être question à l’occasion du déplacement du Président Macron en Chine.

Ainsi, le projet de « dialogue tripartite » France-Chine-Afrique, sur la base de la Déclaration conjointe sur les « investissements en marché tiers », présentée par l’ancien Premier ministre Manuel Valls et son alter-égo chinois, Li Keqiang, en juin 2015 (confirmé par Bernard Cazeneuve en février 2017) offre une bonne base de discussion, d’autant que deux projets de partenariats à l’exportation en pays tiers sont concrètement déjà en cours de réalisation en Namibie et au Cambodge, dans le domaine de l’adaptation au changement climatique.

En tout état de cause, le premier déplacement présidentiel de l’année 2018, premier également d’un chef d’Etat occidental à Pékin, après celui effectué début novembre par Donald Trump, devrait symboliquement marquer l’année 2018, d’une nouvelle empreinte géopolitique et géo-économique.

Les nouvelles « Routes de la Soie », sont souvent décrites comme étant celles d’un partenariat « gagnant-gagnant », gageons qu’elles sont aussi et surtout celles d’une rationalité économique que devrait accompagner une Realpolitik que le nouveau Président de la République, Emmanuel Macron, semble vouloir incarner.

Espérons que ce soit bien cette perspective que ce dernier entend tracer…

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