Réacteurs nucléaires à l'arrêt : ces responsabilités très politiques de l'automne noir d'EDF<!-- --> | Atlantico.fr
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Au-delà de ce seul aspect vétusté du parc nucléaire français, la véritable question est celle de sa sûreté. Or, la sécurité, dans le cadre du nucléaire en France, fait l'objet de contrôles très serrés de la part de l'ASN.
Au-delà de ce seul aspect vétusté du parc nucléaire français, la véritable question est celle de sa sûreté. Or, la sécurité, dans le cadre du nucléaire en France, fait l'objet de contrôles très serrés de la part de l'ASN.
©REUTERS/Stephane Mahe

Energie

En empêchant le renouvellement de certaines des centrales les plus âgées du parc nucléaire français, les écologistes ont bloqué partiellement sa modernisation. Pour autant, le parc nucléaire français demeure l'un des plus sûrs au monde.

Stephan Silvestre

Stephan Silvestre

Stephan Silvestre est ingénieur en optique physique et docteur en sciences économiques. Il est professeur à la Paris School of Business, membre de la chaire des risques énergétiques.

Il est le co-auteur de Perspectives énergétiques (2013, Ellipses) et de Gaz naturel : la nouvelle donne ?(2016, PUF).

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Atlantico : Mardi soir, à la suite d'une publication de Challenges, EDF a fait l'annonce de la fermeture de 5 de ses réacteurs nucléaires. Sept autres réacteurs du groupe sont actuellement à l'arrêt pour les mêmes raisons, à la suite des prescriptions de l'ASN. Qu'est-ce que cela traduit de l'état de vétusté du parc nucléaire français ? Que faut-il y lire en matière de sécurité ?

Stephan Silvestre : Le motif invoqué dans le cadre de la fermeture de ces cinq centrales, c'est effectivement celui de la vétusté, ainsi que celui d'incidents répétitifs.

Le parc nucléaire a été installé dans les années 1960 pour les premiers essais expérimentaux et réellement déployé à partir des années 1970 et 1980. Cela a continué jusque dans les années 1990. Dans les faits, en moyenne, le parc nucléaire français est donc âgé entre 40 et 50 ans. Par conséquent, il est indéniable que les centrales en elles-mêmes soient âgées. Au sein de ces centrales, toutes les installations ne sont d'ailleurs pas homogènes. Certaines sont plus récentes que d'autres. Beaucoup ont été rénovées. Les révisions décennales sont systématiques et donnent lieu à des travaux de maintenance. Le degré d'obsolescence varie donc selon les organes et les centrales. Une grande partie du parc demeure très performante, puisque les opérations de maintenances continuent d'être réalisées au fur et à mesure. Elles ne disposent peut-être pas toujours des équipements derniers cris que l'on retrouve sur les EPR, mais elles restent on ne peut plus sûre.

Car, au-delà de ce seul aspect vétusté du parc nucléaire français, la véritable question est celle de sa sûreté. Or, la sécurité, dans le cadre du nucléaire en France, fait l'objet de contrôles très serrés de la part de l'ASN (Autorité de sûreté nucléaire). Ces contrôles ont évidemment été renforcés après la catastrophe de Fukushima. Les normes qui ont été imposées ensuite ont réhaussé le niveau d'exigence. L'intégralité des incidents est répertoriée et classifiée selon une échelle de gradation très précise. Elle va de 1 à 7 et fait l'objet de distorsion : on arrive assez rapidement à des niveaux élevés mais la dangerosité n'est réelle qu'à partir des trois derniers niveaux (5-6-7). Les niveaux précédents sont extrêmement codifiés et ne présentent pas matière à s'inquiéter réellement. Un incident de niveau 3 est susceptible d'arriver sur n'importe quel site industriel et donne lieu, comme partout, au remplacement ou à la réparation d'une pièce au sein de la centrale. Ces répertoires permettent notamment de constater les incidents les plus répétitifs, ceux qui sont susceptibles de soulever des questions sur la pertinence de l'entretien de certains des réacteurs.

Le parc nucléaire français est vétuste, indéniablement. Pour autant, il est extrêmement sûr : il compte même parmi les plus sûrs au monde, avec celui des États-Unis. La transparence et l'indépendance de l'ASN constituent un facteur essentiel. Le niveau de sûreté en France est l'un des plus élevés, nettement plus élevé que dans la majorité des autres parcs de grands pays du nucléaire comme la Russie ou la Corée. L'ASN dispose d'un niveau de contrôle et de protocole particulièrement sévère. Il est probablement le plus sévère au monde, seulement secondé par celui de son homologue américain. Cette surveillance donne lieu à une fréquence élevée des contrôles et comprend également de nombreux contrôles inopinés. En outre, cette sévérité se manifeste à la fois en amont et en aval de la conception de la centrale : lors de la réalisation de l'EPR, l'ASN procède à des audits et des contrôles très serrés. En aval, il faut rappeler qu'il existe des contrôles tous les 18 mois, en plus des interventions décennales déjà évoquées qui provoquent l'arrêt total de la centrale pendant plusieurs mois, pour tout revoir de A à Z.

Dans quelle mesure l'action des écologistes sur la gauche a poussé au non-renouvellement des centrales les plus âgées (et donc potentiellement les moins sûres) ?

L'objectif annoncé et l'ambition affichée de baisser la part du nucléaire de 50% n'est évidemment pas sans effet. Ce qui était prévu dans le plan industriel consistait à remplacer les anciennes centrales par celle de la nouvelle filière EPR. Une douzaine de tranches de réacteurs devaient donc, selon les organisateurs et instigateurs du projet, remplacer les plus anciennes centrales. Nous en sommes très loin : seules deux tranches sont en place. La première, à Flamanville, demeure difficile à mettre en route mais devrait finalement voir le jour en 2017. La deuxième devrait suivre derrière et n'a pas été remise en cause par François Hollande, même dans le cadre de sa nouvelle politique énergétique. Cependant, à la suite de ces deux tranches, la perspective d'un remplacement plus large, qui aurait aisément permis le renouvellement des centrales les plus âgée, s'est éloignée. La demande d’électricité en France augmente, mais connaît une faible croissance. En face, l'offre – au travers de nouvelles sources d'énergie – continue d'augmenter. Nous sommes en situation de sur-offre : le parc énergétique français est surdimensionné. Or, un parc surdimensionné avec des centrales âgées mène naturellement à la programmation de fermetures davantage qu'au renouvellement.

Comment expliquer les critiques formulées par différents mouvements, associatifs ou politiques, opposés au nucléaire qui invoquent principalement la vétusté et l'insécurité du parc français ?

A l'inverse de l'organisation de contrôle japonaise, à qui il avait été reproché son manque d'indépendance, l'ASN est une autorité sérieuse et indépendante. Certains émettent évidemment des doutes, comme en témoigne l'existence d'associations anti-nucléaires. Le discours de ces associations met en avant le fait que les personnalités intervenant dans les organes de contrôle du nucléaire en France, qu'il s'agisse de l'ASN, des pouvoirs publics, du ministère, comme des exploitants, proviennent tous du même monde. Il s'agirait du corps des Mines, où l'esprit de corporatisme est assez fort. Selon eux, cette proximité supposée entache l'objectivité des contrôles et n'est pas saine. À mon sens, cette critique frise la mauvaise foi. Particulièrement quand on observe ce qui se passe ailleurs dans le monde : l'ASN est un organisme très sévère qui relève et pointe la moindre défaillance qu'elle constate. Celles-ci sont ensuite corrigées par l'exploitant.

La réponse à la question de la critique de la sécurité du parc nucléaire français est, selon moi, à double détente. D'abord, il faut rappeler que ces contestations émanent d'un anti-nucléarisme historique, qui a toujours associé l'électronucléaire – civil donc – à son volet militaire. À ce titre, rappelons que le choix des technologies nucléaires initialement déployées en France n'était pas anodin. Notre choix avait penché en faveur de réacteurs à eau pressurisée, mais il existait plusieurs autres alternatives dans les années 1950. Si nous avons retenu cette dernière option, c'est parce qu'elle produisait du plutonium, nécessaire dans la construction de têtes nucléaires à visée militaire. Il y avait donc effectivement, à l'origine, une dimension militaire dans les choix des programmes nucléaires civils, pour faire face à la Guerre froide.

Ces choix-là ont été fortement remis en cause par les écologistes pacifistes. Ils voyaient dans le nucléaire une émanation de la course à l'arme nucléaire et aux armes de destruction massive. Ils ont toujours été braqués contre le principe même d'une filière nucléaire française et le restent aujourd'hui en dépit de sa forme, désormais entièrement civile. L'EPR n'est pas dans une logique de production de plutonium (nous en disposons d'ailleurs en excès, en France comme ailleurs). Néanmoins, les anti-nucléaires persistent à dire qu'il faut trouver une autre voie de production d'électricité. C'est une position historique dont ils ne démordent pas, peu importent les arguments économiques.

Dans un deuxième aspect plus opérationnel et économique, il me semble important de rappeler qu'on est toujours en droit de se poser la question de la sûreté du parc nucléaire français. Il est effectivement vétuste, comme nous l'avons dit tout à l'heure. C'est une question légitime. Cela ne signifie pas pour autant que la réponse sera nécessairement "oui, il est dangereux". L'ASN et plusieurs autres acteurs de contrôle se posent d'ailleurs régulièrement cette question. La Cour des Comptes a d'ailleurs conclu que la source d'énergie la plus économique, la plus sûre, la plus pérenne et la plus exempte de CO2, c'était le nucléaire, pour peu que l'on renouvelle et que l'on rénove les centrales existantes. Cela coûterait même moins cher que recréer un parc nucléaire, que les énergies renouvelables ou que l'importation de l'électricité. Par conséquent, la Cour des Comptes estime que mettre à niveau les centrales existantes constitue la solution économique la plus raisonnable. Dans sa conclusion, elle a évidemment pris en compte les risques induits par le nucléaire. Il ne s'agit évidemment pas d'irresponsables : compte-tenu du niveau de sûreté du parc français, le meilleur choix, c'est bien celui de la remise à niveau de nos centrales nucléaires. Les plus obsolètes seront évidemment fermées un jour où l'autre. On ne peut simplement pas se laisser aller à un coup de tête et toutes les fermer sans plan préalable.

La centrale de Fukushima était réputée sûre avant l'accident dont elle a été victime. Dans quelle mesure est-ce que les centrales françaises sont-elles susceptibles de résister à des conditions et des catastrophes a priori inattendues ? Quelles ont été les leçons de Fukushima et des autres catastrophes similaires ?

En France, le risque d’événements climatiques ou naturels aussi violents qu'au Japon est nettement moins élevé. Le risque sismique peut être maîtrisé jusqu'à un certain niveau, mais la France n'a de toute façon pas à y faire face. Celui de tsunami n'est pas non plus sérieux. Le risque de type Fukushima est pratiquement inexistant en France… Ce qui n'empêche pas d'envisager d'autres types de risques. On pourrait effectivement penser à un accident d'avion par exemple. Les nouvelles centrales comme les EPR sont qualifiées pour résister à des accidents d'avions plus sévères que les anciennes (qui ne résisteraient probablement pas à des avions de grande taille mais peuvent résister à des avions de tourisme).

Le risque d'ordre terroriste peut également être pris en compte : est-il possible de saboter volontairement une centrale ? Face à cette question, je tiens à rappeler qu'il ne s'agit pas d'une peur rationnelle mais d'une peur panique. On associe le nucléaire aux bombes atomiques, comme le font beaucoup les écologistes. Or, une centrale nucléaire n'est pas une bombe. Une bombe produit une explosion non contrôlée. Dans le cadre d'une centrale, la fusion est contrôlée et pour pouvoir le faire il y a tout un équipement mis en place, à commencer par des barreaux capables d'absorber l'énergie et limiter les réactions en chaîne (modérateurs). Le risque, en cas d'explosion, c'est celui de fuites radioactives dans l'atmosphère comme ce fut le cas à Fukushima. Il est également possible que la fusion du cœur donne lieu à une fuite de corium. Il s'agit d'un magma métallique composé d'éléments fondus constituant le cœur du réacteur nucléaire et qui pourrait, du fait de sa chaleur, s'enfoncer sous terre. Pour répondre à ce risque, les EPR sont équipés de collecteurs de corium : une enceinte sous le réacteur l'empêche de tomber dans des nappes phréatiques en cas de fusion. Ce n'est malheureusement pas le cas de l'ensemble du parc existant. Ce risque est beaucoup plus proche de celui de Tchernobyl que de Fukushima. Cependant, aucun attentat terroriste ne semble en mesure de donner lieu à un tel résultat. Une bombe pourrait trouer un mur, bien sûr, provoquer des dégâts matériels mais pas engendrer une catastrophe majeure de ce type.

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