Rama Yade, Gims, les pyramides et la dissolution de l’universalisme français <!-- --> | Atlantico.fr
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Gims lors du "Fuego Tour" au Stade de France à Saint-Denis, le 28 septembre 2019.
Gims lors du "Fuego Tour" au Stade de France à Saint-Denis, le 28 septembre 2019.
©AFP/Zakaria ABDELKAFI

Woke Attack

Si vous pensiez que les élucubrations du chanteur sur l’électricité qui alimentait les pyramides n’étaient que des délires de stars, vous vous trompez…

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Drieu Godefridi

Drieu Godefridi est juriste (facultés Saint-Louis-Université de Louvain), philosophe (facultés Saint-Louis-Université de Louvain) et docteur en théorie du droit (Paris IV-Sorbonne).

 
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Atlantico : Les déclarations de Gims sur les Egyptiens qui possédaient l’électricité ont fiat beaucoup réagir. Ce jeudi, l’ancienne ministre Rama Yade est venue à sa rescousse dans une vidéo Twitter. Dans quelle mouvance s’inscrivent ces déclarations qui peuvent sonner au premier abord comme de simples élucubrations ?

Eric Deschavanne : Ils s’inscrivent dans la mouvance de « l’afrocentrisme », une idéologie identitaire qui est principalement une expression du communautarisme « afro-américain ». L’afrocentrisme cultive le mythe romantique d’une nation africaine éternelle dont l’histoire grandiose aurait été occultée du fait de la domination occidentale moderne, voire, pour les plus fanatiques, en raison d’un complot raciste de la science historique occidentale.

Le sens de l’intervention de Rama Yade est d’ailleurs sans doute de souligner le fait que les propos de Gims ne sont pas de simples élucubrations d’un esprit farfelu. Elle met en lumière leur portée idéologique. Gims a été maladroit, dit-elle en substance, mais il a raison de rappeler le « leadership » passé de l’Afrique. Rama Yade fait également allusion à la Cléopâtre noire de Netflix. La communauté noire américaine n’a bien entendu rien à voir sur le plan culturel avec l’Égypte antique, ni même aujourd’hui avec les traditions culturelles de l’Afrique subsaharienne, mais, à l’ère du wokisme, on ne peut s’étonner du fait que l’histoire imaginaire de l’Afrique imaginaire fasse l’objet aux États-Unis d’une exploitation commerciale et politique.

Drieu Godefridi : Ce discours est à la rencontre de deux dérives. Première dérive, le néo-racisme de source américaine, ou critical race theory, qui s’obsède de la couleur de l’épiderme et cherche à montrer par tous les moyens, généralement absurdes, que nos sociétés occidentales en 2023 sont white-supremacist ( !) persécutent les personnes de couleur et nient le ‘véritable' rôle historique des personnes de couleur. Seconde dérive, l’effet-silo, notre réinvention contemporaine de l’asinus asinum fricat des Anciens, qui permet à chaque petite communauté capable de s’inventer l’un ou l’autre leader suffisamment attractif, de prospérer dans sa négation du réel. Cela, sur tous les sujets, le phénomène dépasse largement le wokisme et se retrouve à droite autant qu’à gauche. L’intervention de Rama Yade après celle de l’expert en pyramides électriques s’inscrivent pleinement dans cette double évolution.



A quel point la cause de Rama Yade -«réparer les Africains dans leur dignité d’Homme», et la demande de respect et de dignité est-elle historiquement, sur le fond, légitime ? Dans quelle mesure cela témoigne-t-il d’un véritable traumatisme?

Eric Deschavanne : L’expression est révélatrice mais elle doit être critiquée et son sens précisé. On ne « répare » pas la dignité, on la reconnaît et on la respecte. Ce qui implique l’égalité, la reconnaissance mutuelle de l’égale dignité, laquelle interdit le mépris et conduit à voir en l’autre un authentique individu, non l’échantillon d’une race, d’une culture, d’un sexe ou d’une origine. L’idée de « réparation » fait allusion aux humiliations et au mépris passés qui ont généré un ressentiment durable. La question n’est donc pas de déterminer comment « réparer la dignité » mais : comment surmonter le ressentiment ?

Malheureusement, il ne suffit pas de faire disparaître la cause du ressentiment pour faire disparaître le ressentiment lui-même, encore moins l’idéologie née du ressentiment. En l’occurrence, ni Gims ni Rama Yade n’ont connu l’esclavage et la colonisation. La vie leur a plutôt réussi. De la discrimination raciale, Rama Yade n’a subi que la version positive, à laquelle elle doit sa notoriété. Ils sont cependant devenus l’un et l’autre, comme Netflix, des boutiquiers de l’afrocentrisme.

Drieu Godefridi : Il n’existe selon moi aucune raison de persister dans la culture de ce traumatisme dépassé en faits, sinon la volonté d’exciter la haine raciale. L’esclavage de personnes noires, dans l’histoire, est une réalité. Rappelons d’autres vérités : 1/ Le mot esclave est issu du mot sclavus, Slave, car des millions de Slaves — aussi blancs qu’on peut l’être — ont été réduits en esclavage, notamment par les Arabos-musulmans : cette idée que l’esclavage serait une tragédie exclusivement noire est une injure à l’histoire, et à la mémoire de ces millions de victimes slaves de l’esclavage le plus abject ; 2/ L’esclavage n’est en rien un monopole occidental : la traite négrière par les Arabo-musulmans fut tout aussi intense, voire supérieure en nombre : s’il faut cultiver la mémoire de l’esclavage, alors il faut inclure cette réalité ; 3/ C’est l’Occident, en l’espèce de l’Empire britannique, qui a lancé et mené le mouvement de bannissement de l’esclavagisme, par le droit et par les armes, contre la volonté des Arabo-musulmans et des fournisseurs d’esclaves. L’esclavage est une réalité infâme, en Occident comme ailleurs. Dans ‘Le génocide voilé : enquête historique‘ (2017), le franco-sénégalais Tidiane N’Diaye relève que si des millions de Noirs américains peuvent se prévaloir d’un héritage d’esclave, il ne reste quasiment rien des millions d’esclaves noirs en terre d’Islam. En effet, ceux-ci étaient souvent castrés. ‘La traite des Noirs africains par les arabo-musulmans a concerné dix-sept millions de victimes tuées, castrées ou asservies, pendant plus de treize siècles, sans interruption’, relève N’Diaye, dont la puissante et émouvante enquête complète la somme « Les traites négrières: Essai d’histoire globale » que publiait, en 2006, Olivier Pétré-Grenouilleau.

A quel point la méthode pour le faire, par l’affirmation de la supériorité des Africains, y compris au déni de la réalité est-elle, en revanche, problématique ? Ne faut-il pas y voir une forme de retournement de la logique du suprémacisme ?

Eric Deschavanne : L’afrocentrisme est le miroir inversé du suprémacisme blanc. On a affaire à deux idéologies générées par le ressentiment et fondées sur le refus d’assumer l’égalité. Dans un cas comme dans l’autre, l’individu malheureux se réfugie dans l’imaginaire. L’afrocentrisme explique le malheur de l’homme noir par la domination de l’Européen blanc tout en proposant une compensation au moyen de l’invention d’une suprématie passée imaginaire ; le suprémaciste blanc déplore la perte d’un statut social avantageux en cultivant le souvenir d’un âge d’or perdu.

Drieu Godefridi : Réduire les humains à la couleur de leur épiderme — car c’est de cela qu’il s’agit — est pleinement avilissant, stupide, anti-scientifique et de nature, je le disais, à exciter les haines raciales (épidermiques). La vérité historique a ses droits. Cléopâtre noire et autres enfantillages débilitants est une injure à la vérité historique. À ce titre, le message de Mme Yade, mélange subtil de préciosité et de haine — ou d’opportunisme ? — ne vaut certes guère mieux que les brillants développements de ‘Maître’ Gims sur les pyramides électriques, et suscite de vaines typologies selon la couleur de l’épiderme — pharaons, prix Nobel, … — dont il n’est pas acquis que le résultat plaira aux dermatologues Gims et Yade.

Dans quelle mesure cela conduit-il à une forme de dissolution de l’universalisme français ? Avec quels dangers ?

Eric Deschavanne : Par-delà l’universalisme républicain, l’afrocentrisme, en tant qu’expression idéologique communautaire met à mal l’universalisme scientifique. Les historiens, fort heureusement, avaient perdu l’habitude de fonder leurs travaux sur des conceptions essentialistes de l’identité. Dans le domaine académique, la pensée identitaire, voire le racialisme, revient en force avec la sociologie de la domination, le décolonialisme, la théorie critique de la race, les études de genre, etc. Avec l’afrocentrisme, on est dans la caricature d’une pseudo-science raciale de l’histoire. Il est assez amusant de voir Rama Yade donner une leçon d’histoire à Gims tout en proférant elle-même des absurdités : si le « leadership » africain tient au fait que l’humanité est née en Afrique comment la distinction entre Européens et Africains peut-elle conserver un sens ? l’Afrique aurait-elle été colonisée par des Africains dénaturés ?

La diffusion du communautarisme à l’américaine constitue à l’évidence l’un des dangers auxquels la République doit faire face aujourd’hui. Il faut défendre l’universalisme, et défendre l’universalisme, on le voit, c’est d’abord défendre l’universalisme de la vérité. Pour la République, l’école demeure la mère de toutes les batailles.

Pour découvrir la vidéo de Rama Yade : cliquez ICI

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