Rached Ghannouchi : existe-t-il un islam de France ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Dalil Boubakeur, du Conseil français du culte musulman (CFCM).
Dalil Boubakeur, du Conseil français du culte musulman (CFCM).
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Bonnes feuilles

Il est temps de se faire une opinion argumentée sur l'islam politique. Est-il compatible avec la démocratie ? Pour la première fois, Rached Ghannouchi, LE penseur de l'islam politique, répond sans limites ni interdits à toutes les questions que l'on se pose aujourd'hui sur l'Islam. Extrait de "Au sujet de l'islam", de Olivier Ravanello, publié chez Plon (2/2).

Olivier Ravanello

Olivier Ravanello

Editorialiste de politique étrangère à i-Télé, Olivier Ravanello a été pendant plus de dix ans reporter de guerre au Moyen- Orient, en Irak, en Syrie, dans la bande de Gaza, en Israël, en Égypte, en Libye et en Tunisie. Il a vu la transformation des mouvements islamistes passer de la clandestinité à la tête de l'état.

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Rached  Ghannouchi

Rached Ghannouchi

Rached Ghannouchi est un homme politique tunisien islamiste, anciennement lié au khomeinisme révolutionnaire. Chef d'Ennahdha, parti politique tunisien et organisation islamiste proche des Frères musulmans, il vit en exil à Londres du début des années 1990 jusqu'à son retour en Tunisie à la suite de la révolution tunisienne de 2011.
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Manuel Valls a lancé le débat. Il le veut dégagé des clivages politiques avec un objectif : installer un « islam de France » au sein d’une République laïque. A entendre les uns et les autres, on sent déjà que le chemin sera délicat. Il y a autant d’interprétations de la laïcité que d’Eglises en Orient. Autant de certitudes sur ce qu’il faut exiger de l’islam que d’approximations sur ce qu’il doit être. Et encore, la question explosive de ses représentants n’est pas encore posée.

En France, la laïcité s’est construite contre une Eglise catholique et gallicane. Une histoire commune et finalement un grand règlement de comptes. On a décroché les crucifix des salles de classe et on a posé le dogme de la laïcité.

Depuis, le monde a bougé. Les peuples aussi. La laïcité doit se positionner par rapport à plusieurs cultes, plusieurs cultures, et définir un modus vivendi pour l’avenir.

Il nous faudra donc nous projeter dans l’avenir. Dire ce que nous sommes et ce que nous voulons être ensemble. Ça va forcément tanguer, et dans cette traversée chaque anathème lancé sera du temps perdu.

Les questions posées sont lourdes. Une fois pleinement accepté dans la République, cet islam aura-t-il droit à autant de mosquées que nécessaire à ses quelque 4 millions de croyants ? Acceptera-t-on que les minarets découpent les futurs paysages de la France aux côtés des églises et des synagogues ?

Au fond, quel islam aura droit de cité ? Un islam de France, oui, mais encore ? Sera-t-il forcément une version aseptisée ? Un musulman du monde y perdrait-il son Coran ? Le débat qui commence nous marquera pour longtemps. Autant le prendre à bras-le-corps.

A lire aussi : Ce que l’islam politique peut nous faire comprendre sur les rapports entre islam et démocratie en France


    Rached GHANNOUCHI : Il n’y a pas d’islam particulier à la Tunisie, à l’Egypte, à la France, à la Turquie ou à quelque pays que ce soit. L’islam s’articule autour du Coran et de la tradition, Sunna, et c’est tout. L’islam, c’est l’islam. En revanche, nous pouvons très bien imaginer, au même titre qu’une culture musulmane tunisienne, égyptienne turque ou perse, une culture musulmane française. Ce serait le résultat d’une compréhension mutuelle qui tiendrait compte des particularités de chaque pays et de chaque période.

    Olivier RAVANELLO : Il faudrait pour cela des imams formés en France ?

    R. G. : Je crois essentiel que ces imams soient francophones, de culture et d’appartenance françaises. Il faudrait qu’ils connaissent la culture et l’histoire de la France, sa culture, sa mentalité, ses lois pour devenir des imams en phase avec leurs fidèles, pour les comprendre et trouver des réponses intelligentes à leur questionnement, comme j’ai appris moi-même l’histoire et la littérature de la Tunisie pour pouvoir être imam ici.

    O. R. : Où enseignerait-on cet islam ?

    R. G. : Dans des instituts, des universités qui délivreraient des diplômes reconnus. Ce pourrait être l’équivalent de l’Institut catholique à Paris où j’ai suivi des cours en 1969. Pourquoi ne pas avoir l’Institut islamique de Paris ? Comme l’université Al Azhar au Caire, ou l’université de la Zitouna à Tunis. Ces instituts donneraient des diplômes pour l’enseignement de la religion ou l’imamat. Ils dépendraient du ministère de l’Enseignement supérieur et pourraient avoir des accords avec Al Azhar, qui fait autorité en la matière et n’est soupçonnable d’aucune dérive fondamentaliste.

    Les 4 millions de musulmans français ont besoin d’institutions islamiques pour vivre pleinement et s’épanouir dans leur pays. Pourquoi la France continuerait-elle à importer son islam ? Aucune autre religion ne le fait. Elle doit le produire, produire un islam en France.

    O. R. : Qu’apprendrait-on dans ces instituts islamiques français ?

    R. G. : J’aimerais que l’on choisisse un islam modéré, éclairé et qu’on y ajoute la culture française. La littérature, la philosophie, l’histoire française. Ainsi ces imams de France seront d’un côté pleinement français, de nationalité, de culture, d’attachement, et de l’autre complètement musulmans. Comme il y a des imams turcs, égyptiens ou malaisiens, il y aura des imams musulmans français. Le Malawite musulman parle sa langue, il est plein de son histoire, il est nationaliste du Malawi, il considère que défendre sa patrie est une obligation religieuse et il est pleinement musulman. Il faut qu’il en soit de même en France et qu’aucun non-musulman ne puisse dire à un musulman qu’il est plus français que lui. C’est comme moi, je ne permets pas à un autre Tunisien de se prétendre plus tunisien que moi ou à un Saoudien de se prétendre plus musulman que moi, sous le prétexte que l’islam vient de chez eux.

    O. R. : Qui déciderait de la lecture de l’islam qu’on y enseignerait ?

    R. G. : Encore une fois, ces facultés pourraient s’appuyer sur des institutions musulmanes reconnues. Comme Al Azhar ou la Zitouna. Leur enseignement pourrait s’inspirer des instituts qui forment des musulmans modérés, jusqu’à avoir, avec le temps et l’expérience, des références propres, celles d’un islam français avec des Cheikhs, des ulémas français. A terme, il y aurait une école de pensée et d’enseignement du Coran française, qui pourrait étendre son influence et servir de référent à d’autres pays. Nous pourrions alors parler d’une culture islamique française. Ça pourrait être à mon avis la bonne méthode aussi pour l’Allemagne, ou l’Angleterre.

    Au VIIe siècle, l’islam nous a été enseigné en Tunisie par les sept savants venus d’Arabie, puis nous avons produit nos propres savants jusqu’à créer une école tunisienne qui reflète notre société et notre environnement culturel. Il faut commencer par être élève pour devenir professeur. Tout est dans l’apprentissage, mais il faut le faire auprès de gens qui savent.

    O. R. : Il arrive que des Français demandent des avis, lors de leurs séjours à l’étranger, à des imams étrangers.

    R. G. : C’est parce qu’ils n’ont pas trouvé de réponses à leurs questions chez eux. Il n’y a pas encore de sources, de références islamiques françaises comme il y en a en Turquie, en Malaisie ou en Tunisie. En l’absence de références nationales, ils ont recours à l’importation. Quand un article n’est pas produit dans un pays, il ne peut qu’être importé.

    O. R. : La France devrait interdire les imams qui viennent de l’étranger ?

    R. G. : Oui, à la condition qu’il y ait une alternative française.

    O. R. : Vous pensez donc qu’il faudrait plus de mosquées ? En ce moment il y a 2 500 salles de prière et environ 70 mosquées proprement dites.

    R. G. : Evidemment, même si ça n’est pas seulement une question quantitative. Il faudrait plus de conscience, une meilleure compréhension. L’islam est en interaction, il débat, il dialogue avec la réalité, mais il faudrait qu’on lui laisse la place de pouvoir le faire en France. Néanmoins, ce chiffre montre que les musulmans ne sont pas à l’aise. Ils prient dans des endroits qui ne sont pas confortables, petits, mal aérés, mal éclairés. Tout renforce le sentiment de rejet dans la société, le sentiment d’être méprisé, et cela pousse à l’extrémisme. Les musulmans ne se sentent pas égaux avec les autres. Les mairies n’aident pas à la construction des mosquées, et je remarque que les mairies dirigées par les communistes sont celles où les musulmans ont des mosquées, c’est quand même incroyable ! (Rires.) En principe, ce devrait être les catholiques qui aident les musulmans.

    O. R. : Vous pensez que les Français doivent s’habituer à ce qu’il y ait à l’avenir des minarets aux côtés des clochers ?

    R. G. : Oui, et c’est naturel. Les Français ne doivent pas vivre cela comme un problème. Regardez, en plein centre de la ville de Tunis, sur la plus grande artère de la ville, l’équivalent de vos Champs-Elysées, il y a l’église Saint-Vincent-de-Paul mais pas de mosquée ! Ça ne nous est pas venu à l’esprit, après l’indépendance, de transformer cette église en mosquée. Ce n’est pas un problème, ça ne doit pas en être un ni un sujet de crispation. Le minaret des mosquées s’inspire des clochers des églises. Nous l’avons copié ! Mais il n’a rien d’une obligation. A l’origine le minaret servait à localiser la mosquée de loin et le muezzin pour l’appel à la prière. Il fallait se faire entendre de loin et appeler les fidèles cinq fois par jour depuis le haut du minaret était plus simple. Aujourd’hui, tout cela est révolu. Regardez (Il sort son iPhone), c’est mon téléphone qui m’indique l’heure des prières par une petite sonnerie. Il y a même des applications spéciales pour cela. Si, en France, l’édification d’un minaret bloque la construction d’une salle de prière, si ça dérange les habitants d’une commune qui manifestent et que cela endommage les relations entre les musulmans et les autres habitants, alors il faut s’en passer. Ça n’est pas grave. Ce n’est pas le plus important. Ce qui compte, c’est d’avoir un endroit digne de ce nom pour prier, une salle. Le minaret c’est de l’architecture.

    O. R. : Pensez-vous que l’islamisation partielle de l’Europe est inéluctable ?

    R. G. : L’islam croit au pluralisme et nous, musulmans, ne croyons pas que le monde entier sera musulman. Nous ne le voulons pas. Nous croyons en la liberté et aux lois du marché, à l’offre et à la demande, et que la meilleure marchandise gagne ! (Rires.)

    O. R. : Que dites-vous aux mouvements, comme Pegida en Allemagne, qui ont peur de perdre leur identité si elle est influencée par une culture islamique ?

    R. G. : Ce sont des gens qui ne se sont pas encore acclimatés au monde moderne, qui ne se sont pas adaptés au fait que le monde se transforme en un village global. Ils vivent encore comme au Moyen Age avec des frontières et des gens qui voyagent peu, se mélangent peu, alors qu’il ne peut rester une rue, dans ce village, réservée à une seule tribu, à une seule religion. Ils vivent encore à la période médiévale durant laquelle chacun était replié sur lui-même ; un tel est catholique, l’autre est protestant, le troisième juif, l’autre encore musulman et chacun chez soi. Ce temps est révolu, les moyens de communication ont annulé ces mentalités, il ne reste plus que la loi du marché avec les lois de la concurrence qui s’appliquent, au fond, à tout.

    O. R. : L’Europe que vous imaginez ressemble plus au modèle britannique qu’au modèle français.

    R. G. : Il me semble évident que le modèle britannique a plus de possibilités de s’adapter à la pluralité. L’Etat français est le seul à avoir légiféré pour interdire le voile. C’est la seule société en Europe à l’avoir fait, alors qu’en Grande-Bretagne les policières sont autorisées à travailler avec leur foulard ! Et ils n’ont pas l’impression que leur pays, leurs valeurs, leur Etat sont en danger pour autant.

    O. R. : Vous préférez ce modèle ?

    R. G. : Il exprime plus la liberté. Il aurait fallu que la France, qui a énoncé, lors de sa Révolution, sa devise « Liberté, Egalité, Fraternité », soit, elle, un modèle de tolérance dans le monde.

    O. R. : Sur le voile, que conseillez-vous aux musulmanes en France ?

    R. G. : Si la loi interdit le port du voile, il faut appliquer la loi. Dans le cas contraire, la musulmane fait ce qu’elle ressent.

    O. R. : Cette loi sur le port du voile, qu’en pensez-vous ?

    R. G. : Je trouve cette loi contraire aux principes de liberté de la Révolution française. Je la trouve contraire aux principes des droits de l’homme et même aux principes de la laïcité puisqu’elle intervient dans la vie privée de chacun. Et cela n’existe qu’en France, nulle part ailleurs.

    O. R. : Il y a des jeunes femmes musulmanes en France qui ne vont pas à la faculté, abandonnent leurs études ou qui ne postulent pas à un emploi pour pouvoir garder leur voile et ne pas être mises en porte-à-faux. Ont-elles raison de faire ce sacrifice ?

    R. G. : Je le répète, au niveau des principes, cette interdiction du port du voile est une atteinte aux libertés individuelles qui n’existe dans aucun autre pays moderne. La France considère que la modernité permet de restreindre les libertés, alors que, au contraire, la liberté est un fondement intangible de la modernité. La liberté individuelle donne le droit à la personne de s’habiller, de boire, de manger ce qu’elle désire, de choisir qui fréquenter, qui croire, quel Dieu prier dans le pays où elle habite.

    En France, il y a des atteintes à ces libertés fondamentales et les musulmans français ont le droit de réclamer la fin de ces atteintes. D’autant plus au pays de la Révolution et de la liberté.

    De même que la France n’a pas accepté que le prêtre exerce une tutelle, de même elle ne doit pas accepter qu’une interprétation excessive du principe de laïcité la pousse à exercer à son tour une tutelle sur les individus. Je suis persuadé que les musulmans et les musulmanes de France, qui sont des gens libres, feront changer cette loi sur le voile qui porte atteinte aux libertés.

    C’est aux femmes françaises de choisir comment s’habiller, pas à l’Etat, ni au prêtre, ni à l’imam. Chacun peut conseiller, donner son avis mais ça ne peut pas être limité par une loi. Il faut donc la changer.

    Cela étant dit, en attendant l’aboutissement de cette lutte, que doit faire la française musulmane ? Doit-elle quitter l’enseignement, la faculté, abandonner les fonctions publiques, renoncer au monde du travail où elle serait montrée du doigt ?

    Je ne lui conseille pas cela. Elle ne doit pas abandonner ses études ou l’accès à la science parce que c’est un droit et un devoir religieux. L’islam a combattu l’ignorance et a mis la science à portée de tout musulman et de toute musulmane. Le travail, quant à lui, est un droit qui est devenu un devoir de participer à la vie sociale et politique. Une musulmane doit exercer ses droits à l’enseignement, au savoir, au travail. Elle ne doit renoncer à rien. Cela veut dire qu’à la faculté ou au travail, elle doit adapter sa tenue aux exigences de la loi française et des règlements. Si le voile n’est pas accepté, elle ne doit pas le porter. Mais en dehors de ces endroits, elle pourra exprimer sa foi en fonction de ses convictions.

    Nous avons vécu cela en Tunisie, en 1981, quand Bourguiba a pensé que la modernité consistait à maîtriser l’habillement. Il a interdit le voile. J’avais alors une fille qui entrait au collège. Elle m’a demandé conseil et c’était un problème pour des milliers d’autres filles. C’est alors que le Cheikh Mohamed Salah Naifar a promulgué une Fatwa [un avis juridique] qui a permis d’enlever le voile à l’entrée de l’école et de le remettre à la sortie, parce que pour nous l’accès au savoir est une priorité.

    O. R. : Vous ne comprenez pas la laïcité à la française ?

    R. G. : Non et je ne l’approuve pas. Elle est issue de conditions historiques particulières à la France. Le conflit entre l’Eglise et l’Etat en France est connu. L’Allemagne, l’Angleterre ou les Etats-Unis n’ont pas la même histoire ni la même relation à la religion. Eux ne sont pas en guerre contre la religion. Je n’approuve pas cette vision française, mais je la respecte.

    O. R. : Mais l’idée que l’Etat soit neutre, qu’il ne soit influencé par aucune religion...

    R. G. : C’est bien le problème ! En France, l’Etat interfère dans la vie privée, alors que l’un des principes de la laïcité est la neutralité entre toutes les religions !

    O. R. : Et vous trouvez qu’en France l’Etat ne traite pas toutes les religions de la même manière ?

    R. G. : Oh si, en France, l’Etat est contre toutes les religions, quelles qu’elles soient, ça règle la question. (Rires.)

    O. R. : Vous pensez que le monde politique français a un problème avec les religions ?

    R. G. : Oui, il y a un problème. Un problème historique. Je me répète. Les Français ont acquis leur liberté après une lutte contre la religion, alors que ce n’est pas le cas des Allemands ou des Anglais. Le protestantisme, par exemple, était perçu comme une voie vers la libération de l’individu avec l’aide de l’Etat.

    O. R. : C’est ça notre problème, selon vous, le rapport de la France à la religion ?

    R. G. : En tout cas, c’est une des grandes raisons à notre incompréhension mutuelle.

    O. R. : A qui les musulmans doivent-ils se référer ? Quelle est l’autorité la plus haute : le Coran ou la loi ?

    R. G. : Le Coran ne peut agir que dans une société qui croit en lui. Celui qui n’y croit pas n’est pas concerné par son application, il doit seulement respecter celui qui y croit. Le Coran ne fait loi que chez ceux qui y croient. Par exemple, le Parlement, pouvoir législatif, édictera les lois auxquelles il croit. Si les députés, dans leur majorité, croient au Coran, leurs lois s’y référeront automatiquement parce qu’ils sont guidés par des valeurs musulmanes. Dans un autre pays, si les députés dans leur majorité croient au Capital de Marx, ils feront des lois qui s’inspireront du Capital. Idem pour les partis chrétiens-démocrates. Mais il faut bien comprendre une chose. Dans l’islam il n’y a pas d’Eglise qui fait l’intermédiaire entre l’homme et Dieu. Pas de clergé. Il n’y a pas de porte-parole du ciel ou de porte-parole du Coran sur terre. Chacun a une relation directe avec son créateur et chacun sera responsable devant lui.

    O. R. : Même s’il n’y a pas d’intermédiaires, quel conseil donnez-vous aux musulmans de France ? Suivre les règles de la loi française ?

    R. G. : Ils doivent respecter la loi et essayer de la faire évoluer de l’intérieur avec les moyens que cette même loi permet.

    O. R. : Dans son derniere roman Soumission, Houellebecq imagine qu’en France en 2022, le président de la République élu est un Français musulman, issu d’un parti islamique, comme Ennahdha. Est-ce que c’est là l’espoir que vous avez pour votre courant politique ?

    R. G. : Chaque croyant espère que sa croyance va s’étendre...

    O. R. : Je m’adresse au responsable politique.

    R. G. : Non, je n’imagine pas que cela puisse arriver avec cette rapidité.

    O. R. : Mais l’espérez-vous ?

    R. G. : J’espère ce qui est possible et, en l’occurrence, cela ne me semble pas envisageable du tout !

    O. R. : Souhaitez-vous néanmoins qu’il y ait en France un parti sur le modèle d’Ennahdha ?

    R. G. : Non. Je ne conseille pas aux musulmans de France de constituer un parti religieux. Je leur conseille en revanche d’adhérer aux partis classiques de droite, du centre ou de gauche et de faire de la politique dans les formations déjà existantes. Il faut qu’ils aillent vers les partis qui ont des chances d’accéder au pouvoir pour ne pas s’isoler du reste de la société française, car ce serait pire que tout.

    Je leur conseille d’entrer dans les partis, les syndicats, les associations puisqu’ils sont citoyens français. Il faut surtout éviter de diviser la société française entre musulmans et antimusulmans. C’est l’extrême droite qui veut cela. Mais, pour en revenir à l’idée d’un parti islamiste en France sur le modèle d’Ennahdha, ça n’a pas de sens. Ennahdha est une plante tunisienne ! Aucune plante ne peut survivre en dehors de son environnement naturel ! Elle ne survivrait pas en France. Les partis comme lui ne survivraient pas en Europe. Ce n’est pas leur sol. Même si elle change, la société française restera chrétienne, avec une culture qui ne repose pas sur la religion mais sur les principes de la Révolution française, avec une séparation absolue entre religion et politique. Il n’y a pas de place pour un parti religieux fondé sur l’islam.

    O. R. : Il y a en Allemagne un parti chrétien-démocrate, pourquoi pas un parti musulman et républicain ?

R. G. : Il n’est pas imaginable en France, mais il serait sans doute possible en Italie ou en Allemagne. Ces sociétés sont plus ouvertes au principe d’un parti politique religieux. Mais je ne conseillerais pas aux musulmans d’y adhérer, encore une fois je le répète, parce que cela les isolerait, alors qu’ils ont besoin au contraire d’intégration.

    O. R. : Donc, concernant la France, Houellebecq n’aura pas raison.

    R. G. : Non, j’en suis désolé pour lui. (Rires.)

Extrait de "Au sujet de l'islam", de Olivier Ravanello et Rached Ghannouchi, publié chez Plon, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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