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Emmanuel Macron lors d'une cérémonie à l'Elysée.
Emmanuel Macron lors d'une cérémonie à l'Elysée.
©LUDOVIC MARIN / POOL / AFP

Laïcité

Les récentes déclarations de Jean-Luc Mélenchon sur la communauté juive et la participation d'Emmanuel Macron à une célébration de la fête de Hanouka ont relancé le débat sur la laïcité et sur l'abandon de l'idéal universaliste.

Jean-Pierre Sakoun

Jean-Pierre Sakoun

Jean-Pierre Sakoun, pionnier de l’édition numérique, fut conservateur de bibliothèques et ingénieur de recherche au CNRS avant de créer sa propre entreprise. Il préside l’association Unité Laïque. Il est à l’origine de l’initiative pour l’entrée de Missak Manouchian au Panthéon.

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Atlantico : Jean-Luc Mélenchon se plaint aujourd’hui de l’abandon dont il ferait supposément l’objet par la communauté juive. Dans le même temps, Emmanuel Macron organise une célébration à l’Elysée de Hanouka. Cette situation témoigne, à bien des égards, de la tendance à l'assimilation de communautés à l’identité ethnique ou religieuse et l’abandon d’un certain idéal universaliste. Comment faire, très concrètement, pour sortir d’une telle situation ?

Jean-Pierre Sakoun : Je ne pense pas que l’on puisse rapprocher ces deux faits qui ne sont pas de même nature. En ce qui concerne Jean-Luc Mélenchon, me semble-t-il, on est dans la rhétorique politique de mauvais aloi. Il essaie d’une manière rusée de retourner la situation en se disant, lui, abandonné par la communauté juive. C’est une façon d’envoyer un message à son électorat, de montrer comment il peut se moquer des juifs. Il me semble également important de bien prendre la mesure de son propos : il ne parle pas des Français de confession ou de culture juive mais bien de la “communauté” juive. Il communautarise la question, ce que font d’ailleurs également les journalistes qui emploient sans cesse cette expression par facilité. Je rêve d’un journalisme et d’un monde politique dans lequel ce mot ne serait plus employé et remplacé par « les Français de confession ou de culture, juive, musulmane » et autres. 

Venons-en à Emmanuel Macron. Je ne crois pas que l’on puisse honnêtement dire qu’il ait organisé un office religieux à l’Elysée ; je pense que la situation s’est produite de manière relativement impromptue. Cela étant dit, je lui reproche de ne pas avoir vu – ou de ne pas avoir voulu voir – ce qui se jouait à cet instant. Il aurait dû clairement dire au grand rabbin de France qu’il n’était pas question d’allumer la première bougie de Hanouka à l’Elysée. 

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Ces deux points étant précisés, nous pouvons en venir à la véritable question qu’il faut que nous nous posions : comment sortir, aujourd’hui, de l'ornière globale de la communautarisation qui ronge notre société ? A court terme, cela implique un travail sans relâche. Nous le faisons d’ailleurs beaucoup plus, ces dernières années, que nous n’avons pu le faire dans un passé pas si éloigné. Il y a plus de vigilance, de dénonciation publique des dérapages (et ceux-ci vont de ce que nous avons pu observer à l’Elysée à l’usage du mot communauté, en passant par exemple par le clientélisme de la FI ou la réception des représentants des cultes par les instances dirigeantes, par exemple). Il reste un énorme travail à fournir : les associations et le personnel politique laïque ne doivent rien laisser passer dans ce domaine. Il est essentiel de démonter, de déconstruire les sous-entendus de telles prises de parole. 

A plus long terme, c’est un travail de fond qu’il faut engager. Il s’agit de reconstituer l’idéal républicain, au moins dans les esprits. Très concrètement, cela devra passer par l’école et, en particulier, par la formation des maîtres. Souvent, quand on me demande ce qu’il faudrait faire pour rénover la laïcité, je dis que je commencerais par transformer intégralement la formation des enseignants. Il est essentiel de diffuser, au sein du peuple français, l’idée qu’il est composé en grande majorité par des laïques. C’est ce qui ressort de toutes les études qu’il nous a été donné de mener ou de lire à ce propos. Pour se faire, nous aurons besoin d’engagement et d’un militantisme moderne, épaulé par l’utilisation des réseaux sociaux. Il me semble nécessaire que le personnel politique de ce pays prenne conscience du fait que la laïcité ne peut plus être la variable d’ajustement de leur positionnement politique.

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Pour être viable, cette refonte de l’éducation, de la formation des maître et cette vigilance accrue doivent devenir une position trans-partisane qui, au moins sur la question de la laïcité, peut réunir de la droite à la gauche.  

Plusieurs figures politiques, à droite comme à gauche, ont déjà essayé de sortir de ce bourbier. C’était le cas de Manuel Valls, par exemple, qui n’a pas réussi son pari et s’est même retrouvé à devoir quitter, un temps au moins, la vie politique française. Comment éviter d’en arriver là de nouveau ?

Ne perdons pas de vue que ce n’est pas la seule et unique raison de l’échec de Manuel Valls. Cela dit, c’est bien pour cela qu’il faut que la reconstruction vienne de la base. Ce n’est pas une fois arrivé au gouvernement, totalement isolé dans un gouvernement, indépendamment du pouvoir dont l’on dispose, que l’on pourra faire changer les choses. Un Premier ministre en désaccord avec le président de la République ne pourra pas faire grand-chose sur ces questions. Pour progresser, il faut donc assurer la construction d’un réseau de responsables politiques qui partagent ce point de vue sur le monde, cette grille de lecture, quand bien même ils pourraient être des adversaires politiques sur le reste des sujets politiques. Ces élus laïques et républicains existent : on pourrait évoquer Carole Delga, Michaël Delafosse, Xavier Bertrand, Laurence Rossignol, Jacqueline Eustache-Brinio, par exemple… Sans oublier, bien sûr, Pierre Ouzoulias ou, dans une certaine mesure, Fabien Roussel. Ces personnalités ont des positions politiques on ne peut plus différentes sur la majorité des sujets, mais ils sont tous d’accord pour reconnaître l’aspect fondamental du substrat laïque et républicain de notre société. 

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Il nous faut donc construire des passerelles et des contacts. C’est d’ailleurs l’un des objectifs que se fixe Unité Laïque, l’association à laquelle j’appartiens. Il ne s’agit pas de mettre en place un programme, puisque ces élus ne gouverneront évidemment pas ensemble, mais bien un accord sur les principes fondamentaux. Si l’un d’entre eux finit par arriver au pouvoir, il disposera alors d’un soutien diffus dans la classe politique sur ces questions. Il ou elle aura alors beaucoup plus de chances de parvenir à ses fins, en matière de laïcité, que s’il devait jouer la même partition qu’un Manuel Valls, par exemple. 

Combien de temps faudrait-il, en pratique, pour soigner la société du mal communautariste qui la ronge ?

Une génération. Il nous a fallu un peu moins de quarante ans pour prendre conscience de la dilution de la laïcité dans notre pays, de la dilution des principes républicains. Il ne faut pas croire, dès lors, que l’on pourra régler la situation en un claquement de doigts. Notre mode d’organisation sociale et républicaine est fondé sur l’école. Cela signifie donc qu’il faudra en priorité remettre l’école d’aplomb. C’est une affaire de génération entière, en témoignent les précédentes expériences que nous avons pu avoir en la matière. Prenons l’exemple du vote de la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat, adoptée en 1905. Il n’a été possible qu’après le vote des lois scolaires de Ferry, survenus entre 1879 et 1886, lesquelles ont permis à la société française de produire des générations de futurs républicains pendant vingt-cinq ans. Ce sont eux qui ont ensuite voté la loi de séparation. 

Sortir de l’ornière du communautarisme implique aujourd’hui de mettre en place des conditions similaires. Cela prendra une génération, au moins et c’est pourquoi les présupposés d’ores et déjà évoqués doivent être mis en place. C’est par là que commence notre travail. Il faut commencer par le début, c’est-à-dire corriger nos erreurs ; notamment par exemple et si l’on continue à tirer le fil de la formation des maîtres, le transfert de cette formation à l’Université, dont une personnalité comme Jean-Pierre Obin reconnaît, lui qui en était un ferme partisan, qu’elle a été une grave erreur. Il est essentiel que les professeurs soient formés au sein même de l'Éducation nationale. Nous n’avons plus beaucoup de temps. 

Qui sont, aujourd’hui, les plus gros dangers à la bonne application de la politique ici présentée ? Comment désamorcer leurs éventuels assauts ?

Le plus grand danger est clairement islamiste. Tout le monde, ou presque, commence à en prendre conscience ; à réaliser qu’il ne s’agit pas d’un simple fantasme et qu’il y a bel et bien une volonté à l'œuvre de la part des Frères musulmans et de leurs soutiens comme le Qatar. De plus en plus de Français voient bien le travail absolument terrible qui est à l'œuvre dans nos banlieues, . Il ne faut pas non plus ignorer la deuxième menace, qui est celle de la pression et de la domination de la culture américaine – je parle évidemment du gauchisme woke qui, de fait, est un allié objectif de l’islamisme.

Ces deux forces associées à la vision néolibérales de l’Etat sont en train de mettre à genoux l’école de la République, qui en en est le creuset. 

Il faut aussi évoquer la loi Debré, qui prévoit le financement public de l’école privée et qui, de fait, appauvrit l’école publique. Or, l’école privée peut s’avérer non laïque et non républicaine ; en plus d'accueillir, pour l’essentiel, une majorité d’enfants issus de la bourgeoisie. C’est aussi un des éléments qu’il faudra remettre à plat. Nous avons besoin d’une école publique financée par des fonds publics et d’une école privée – qu’il ne s’agit évidemment pas d’interdire – financée par des fonds privés. 

Pour désamorcer les assauts que vous évoquez, il faudra à mon sens s’appuyer sur deux piliers distincts : d’une part le pilier culturel et d’autre part le pilier social. Ce qui fait la République, c’est l’égalité et ce qui fait l’égalité, c’est le service public. Il faut permettre aux Français de se déplacer, y compris si cela implique de perdre de l’argent, mais aussi de se soigner, d’accéder à l’enseignement pour leurs enfants, ou à la justice de proximité. Cela veut dire préserver les voies de chemins de fer locaux qui irriguent les territoires, la poste, les tribunaux locaux, les écoles, les hôpitaux notamment. Autrement, on détruit l’égalité des territoires et donc celle des citoyens qui les habitent.

Sur le plan culturel, il faut rappeler combien notre pays n’est pas un enfer sur Terre, quelles sont ses forces, sa solidarité, sa générosité. Dire que notre histoire n’est pas effroyable et que, comme toutes les histoires nationales, elle a des hauts et des bas (quoique plus de hauts, sans doute). Qu’il faut en être fier et que ceux qui viennent nous rejoindre peuvent l’être aussi.

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