Nicolas Sarkozy et la priorité donnée au soutien scolaire : bonne intention mais peut mieux faire... <!-- --> | Atlantico.fr
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Nicolas Sarkozy veut faire du soutien scolaire une priorité
Nicolas Sarkozy veut faire du soutien scolaire une priorité
©Reuters

Sacré Charlemagne

C'était une promesse faite lorsque le Président du parti radical s'est rallié à sa candidature, Nicolas Sarkozy a tenu parole hier à Nantes en s'inspirant des propositions de Jean-Louis Borloo en matière d'éducation. Le candidat UMP a dit vouloir faire de l'échec scolaire une priorité et s'adresser aux familles là où le PS ne s'adresse qu'aux enseignants. Mais comment apprécier la portée potentielle de ces mesures ?

Roger Célestin

Roger Célestin

Roger Célestin est journaliste.

Il écrit pour Atlantico sous pseudonyme.

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Les « conseils de soutien » que le candidat Sarkozy propose pour « les enfants en difficulté et les familles désemparées » devraient permettre de « financer l’intervention des spécialistes ».

Mais qui sont les spécialistes qui devraient se pencher au chevet des enfants perdus à l’école, si ce n’est leurs professeurs ? Donc le problème est mal posé par le candidat de l’UMP : il faudrait d’accord comprendre pourquoi l’école ne sait pas s’y prendre avec tant d’élèves.

Rappelons que le dysfonctionnement ne concerne pas une petite minorité d’enfants, mais 40% d’une classe d’âge, ce qui est un gâchis considérable. "Quatre écoliers sur dix, soit environ 300 000 élèves, sortent du CM2 avec de graves lacunes. (...) Près de 200 000 d'entre eux ont des acquis fragiles et insuffisants en lecture, écriture et calcul ; plus de 100 000 n'ont pas la maîtrise des compétences de base dans ces domaines." (Haut Conseil de l'éducation, 2007).

Du coup, 150 000 jeunes sont éjectés du système éducatif chaque année, sans rien avoir obtenu, pas de diplôme ni de qualification, si ce n’est une mauvaise opinion des adultes et d’eux-mêmes, sans parler de tous ceux qui sont maintenus en état de respiration scolaire artificielle. On peut donc parler d’un dysfonctionnement structurel majeur.

Contrairement à ce que croit Jean-Louis Borloo, qui inspire maintenant Nicolas Sarkozy, la grande majorité de ces enfants n’a pas besoin d’orthophonistes ou de soutien scolaire le soir ! Ils n’y arrivent déjà pas dans la journée (ni eux, ni leurs profs d’ailleurs), et il faudrait infliger à chacun, élève comme prof, des heures supplémentaires de souffrance ?

Je renvoie ici dos à dos Borloo, et ces enseignants qui refusent de se remettre en cause et écrivent ici ou là (sur le blog d’un journal concurrent) qu’il faut « une vraie réflexion sur le faisceaux des mécanismes interconnectés qui intervient dans l'échec scolaire. Il faut donner une réponse à chaque difficulté (dyslexie, lenteur d'apprentissage, blocage psychologique dû à une approche personnelle) et mettre des moyens adéquats pour ceux qui n'ont pas les acquis minimaux au collège ». Bla bla, bla bla, probablement d’un prof, ou d’un psychologue.

Ailleurs, une enseignante de collège estime que « l’acquisition des savoirs est plus efficace en classe entière qu’en cours de soutien, car la dynamique est tout à fait différente. Ne sous-estimons pas le côté stigmatisant de ces "soutiens", pour des élèves qui y participent parfois depuis la maternelle! ». Elle n’a pas tout à fait tort, mais elle est quand même gonflée d’enchaîner en proposant d’augmenter le nombre d’enseignants, « afin de diminuer le nombre d’élèves en classe entière, et permettre à tous d’accéder à un savoir collectif – y compris dans sa transmission. ». Chère madame, si c’était la solution, depuis tant d’années, ça se saurait.  Or, au contraire, l’expérience nous a montré que ça ne servait à rien du tout !

Car la dyslexie et les autres « dys », heureusement, ne concernerait que 6 à 8% des enfants. Il en reste donc 32% (40-8, c’est une approximation, bien sûr) qui seraient affligés de "lenteur d’apprentissage ou de blocage psychologique" ? Ne doit-on pas interroger la lenteur d’évolution des méthodes des profs ? Et qui peut croire que le blocage psychologique vient toujours des élèves ? Ces 32% ne devraient-ils pas arriver à s’épanouir à l’école et à y réussir ? Et il est même probable qu’une partie des dyslexiques pourrait réussir leurs études si l’enseignement était organisé autrement.

Tous ces enfants ont tout simplement besoin d’enseignants mais d’enseignants qui soient vraiment à leurs côtés, dans la journée, qui ne les laissent pas tomber, qui passent le temps qu’il faut, à l’école, avec les méthodes qu’ils veulent (ce sont eux les professionnels), pour les aider à réussir. Peu importe, finalement la méthode, peu importe le degré de personnalisation de l’enseignement. Ce sont des débats théologiques, sans intérêt. Autant d’élèves et de profs, autant de cas, autant de configurations. Laissons les profs travailler, ensemble, sous le pilotage d’un chef d’établissement. Demandons-leur, simplement, de s’engager, en responsabilité, à rester le temps qu’il faut dans les établissements, à tout mettre en oeuvre pour faire réussir tous les élèves. Et nous passerons de 300 000 en difficulté, de 150 000 éjectés, à 30 000 et 15 000. Ce sera encore trop, mais ce sera déjà mieux.

Jean-Louis Borloo dit, ingénument, vouloir faire des parents « des acteurs bénévoles du redressement ». Magnifique dérapage ! Il veut transformer les parents en supplétifs gratuits des enseignants. Ce n’est même pas une plaisanterie, c’est une fumisterie. Les parents n’en ont ni le temps, ni la compétence, ni l’envie. Sauf pour ceux d’entre eux qui s’engagent dans des associations de soutien. Ils font de l’humanitaire scolaire, en France ! Il faut louer leur générosité, mais comme disait Claude Allègre quand il était ministre de l’Education de Lionel Jospin, l’école devrait être son propre recours. Et si l’on ajoute à ces associations, les dispositifs mis en place par les collectivités avec les associations d’éducation populaire (Ligue de l’enseignement, Céméa...), les cours particuliers donnés au noir par les profs et le gros business du soutien scolaire privé (2,2 milliards d'euros en France, record d’Europe très significatif de la sous-performance de notre école, entreprises que Jean-Luc Mélenchon propose de fermer en supprimant l’avantage fiscal lié au recours à leurs services) alors on peut dire qu’aujourd’hui, le système scolaire ne sait pas fonctionner sans une multitude de ressources périphériques (« soutien scolaire » sur Google donne 15 100 000 résultats). Tellement nombreuses qu’on peut aussi se demander si l’Education nationale maîtrise encore son cœur de métier.

Si le « programme majeur » de l’UMP pour traiter l’échec scolaire consiste à trouver des crédits pour financer des séances d’orthophonie et encourager les parents à venir aider les élèves en difficulté, alors on est certain  que le problème ne s’améliorera pas d’un iota.

Et franchement, je ne suis pas rassuré par les propositions de Hollande en la matière... Trop floues, trop vagues, trop loin du cœur du problème. Priorité à l'école primaire, certes. "Les élèves les plus en difficulté bénéficieront d'un accompagnement personnalisé pour que, à la fin du quinquennat, le nombre de jeunes qui sortent sans qualification du système scolaire soit divisé par deux". Petite ambition, petite vision, petit projet pour un candidat de gauche.

Terminons par la proposition récente de la FCPE d’interdire, enfin et vraiment, les devoirs à la maison, en rapport direct avec notre sujet. La principale fédération de parents d’élèves (310 000 adhérents et 48% des voix aux élections des délégués des parents dans le second degré) a mille fois raison : les devoirs à la maison sont non seulement une plaie pour les relations familiales, mais aussi et surtout une cause phénoménale d’inégalité scolaire. Qui sont les parents qui rentrent tôt chez eux et comprennent bien les consignes données par les profs pour les devoirs ? Les profs, précisément, et d’ailleurs leurs enfants surperforment à l’école. Tant mieux pour eux, mais pas au détriment des autres. En l’occurrence, les enfants issus de quartiers difficiles, de logements exigus et de familles frappées par le chômage, mal à l’aise avec l’école, quand elles ne sont pas illettrées. Les enfants de ces familles ne trouvent pas chez eux les conditions minimales à la bonne exécution des devoirs.

Il est tout de même étrange ce système qui consiste pour des enseignants à transférer aux parents le soin de vérifier que leurs enfants ont bien compris ce qui a été enseigné à l’école. C’est un abandon de responsabilité.

Personnellement, parce que considère que ce n’est pas ma responsabilité de parent, parce que je ne suis pas un professionnel de l’enseignement, parce que je ne veux pas être amené à contredire le prof, et parce qu’il est psychologiquement inconfortable (notamment pour l’enfant) et opérationnellement contre productif d’avoir deux autorités potentiellement concurrentes, je refuse d’intervenir dans les devoirs de mes enfants.

Il est quand même fort de café que ce soit à moi, parent, de commenter le cours de l’enseignant, pour dire à mon enfant qui n’a pas compris : « Je recommence la leçon. Je te l’explique autrement (sous-entendu : mieux) Voici comment il faut comprendre le problème (sous-entendu : ton prof n’a pas bien fait son boulot, son cours n’est pas clair)».

Si je réussis, je dévalorise complètement l’autorité de l’enseignant car il perd une bonne part de sa crédibilité. Pourquoi les profs acceptent-ils cette immixtion des parents dans leur pédagogie ? Evidemment, cela ne concerne que les parents qui ont fait des études supérieures, et encore parfois, pour eux comme pour beaucoup d'autres, les devoirs et les consignes donnés par les profs s’apparentent à du chinois. Imaginez donc si ces parents vont répondre bénévolement à l’appel du bon Borloo !

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