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Quand trop de démocraties tuent la démocratie au sein de l’Union européenne
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Overdose démocratique

C'est l'histoire d'une mise en abyme : celle d'une démocratie géante faite de démocraties, elles-mêmes composées de forces politiques diverses arguant chacune pour leurs droits démocratiques. Bienvenus dans l'Union européenne version 2013. En plein sommet de Bruxelles, les intérêts nationaux et les visions européistes de chaque nation sont un frein au budget et à des décisions d'envergure pour permettre son épanouissement.

Paul Goldschmidt

Paul Goldschmidt

Paul Goldschmit est membre de l'Advisory Board de l'Institut Thomas More,

Il a également été directeur du service "Opérations Financières" au sein de la Direction Générale "Affaires Économiques et Financières" de la Commission Européenne.

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Tout  observateur de bonne foi ne peut nier que le Premier Ministre britannique et le Président français (ainsi que les autres Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Union) sont d’impeccables « démocrates » ! Ceci n’empêche pas que leurs visions de la démocratie, exprimées avec force lors de leurs récents discours respectifs à Londres et à Strasbourg, soient fondamentalement incompatibles.

Une première difficulté de s’accorder sur « la démocratie au sein de l’Union Européenne » vient de l’existence dans chaque Pays Membre d’un système démocratique spécifique (modes de scrutin, règles de majorité, répartition des pouvoirs, droit constitutionnel, etc..). Chacun bénéficie d’une parfaite légitimité individuelle, mais conjointement,  ils ne se prêtent pas à être intégrés, tels quels, au sein d’un système qui conserverait les attributs constitutifs d’une démocratie.

Une deuxième difficulté réside dans la définition du périmètre géographique au sein duquel le concept de démocratie est appelé à se concrétiser. Dans la mesure où, comme le demande David Cameron, le contrôle démocratique de l’Union s’exercerait prioritairement au niveau des Parlements nationaux, il est clair que cette exigence est incompatible avec le rôle de contrôle (encore insuffisant) dévolu au Parlement Européen et que l’approche anglaise est une recette infaillible pour un blocage institutionnel quasi permanent.

A cet aspect s’ajoute la question des différents « niveaux de pouvoirs » entre lesquels il est impératif de préserver la cohérence « démocratique », en s’assurant d’une claire hiérarchie des normes. A l’heure actuelle les diverses compétences sont loin d’être exercées de manière uniforme au sein des 27 Pays Membres de l’Union.

Par ailleurs, la structure institutionnelle de l’Union, actée par les traités, ne répond pas aux critères normaux d’une démocratie. Plusieurs éléments y dérogent. Depuis sa création, l’Union a évolué au fil d’une succession de Traités, de celui de Rome à celui de Lisbonne, ratifiés par tous les pays signataires, soit lors des élargissements successifs soit à l’occasion d’amendements ou d’extensions de son objet. Il s’agit très clairement d’un modèle « confédéral » au sein duquel une série d’Etats « souverains » décident de mettre certaines compétences en commun, pour lesquelles des modalités de prise de décisions (unanimité, majorité simple ou qualifiée) et de financements sont décidées.

Le principe de « ratification » par les institutions compétentes, dans le respect des législations de chaque signataire, assure le caractère «démocratique » de la procédure au niveau national. Cependant, chaque révision du Traité, requérant l’unanimité, donne de facto un droit de veto à chacun des Membres, leur permettant, quelle que soit leur taille, de faire prévaloir leurs intérêts. Ils donnent ainsi raison à François Hollande lorsqu’il dénonce l’ascendance croissante des intérêts nationaux sur ceux de l’Union. Cela confère aux Pays Membres le pouvoir de remettre en cause (démocratiquement) des aspects de l’« acquis communautaire », comme l’exige, par exemple, David Cameron lorsqu’il demande le rapatriement de pouvoirs concédées auparavant à l’Union ou d’obtenir des exonérations (opt-out) au bénéfice spécifique de la Grande-Bretagne.

Ce système, qui a permis à l’UE de faire des progrès considérables depuis la ratification du Traité de Rome,  a clairement atteint, sinon dépassé, les limites de son efficacité.  Malgré  la préférence exprimée en ce sens par François Hollande, la prolifération d’accords à géométrie variable entre Pays Membres (traités ou coopérations renforcées) ne peut servir de support à une intégration cohérente plus poussée, tant il est vrai qu’il y a une forte interpénétration des domaines concernés. Une participation différenciée aux accords en affaiblit la portée et peut en contrarier l’application lorsque leurs termes entrent en contradiction avec la législation communautaire. C’est le cas lorsque la Grande-Bretagne réclame, par exemple, la primauté des règles du Marché Unique sur certains aspects des accords financiers proposés par l’Eurozone, par ailleurs indispensables à son fonctionnement.

Un autre aspect institutionnel défaillant au plan démocratique est la coexistence de différents modes de scrutin dans l’élection des Membres du Parlement Européen. Sans mettre en cause la légitimité des Membres individuels, cette situation soulève clairement celle de l’institution dans son ensemble. En effet, si l’égalité entre citoyens est une caractéristique fondamentale de la démocratie, la multiplicité des modes de scrutin introduit une différenciation du poids des votes individuels exprimés. Ce système génère la reproduction au Parlement Européen des clivages qui existent dans chacun des Pays Membres et constitue un des principaux obstacles à la constitution de véritables « partis politiques » européens. Il en découle, tout naturellement pour le citoyen, un manque de visibilité de l’UE, ce qui en fait un bouc émissaire, particulièrement exploité par les mouvements nationalistes et populistes, qui lui imputent la responsabilité de  la crise ou encore de toute autre difficulté.

Un deuxième aspect important dans la structure institutionnelle où prévaut un déficit de démocratie, est celui de l’exercice et du contrôle des responsabilités (ce que les anglo-saxons appellent « accountability »). Malgré une tendance à l’accroissement progressif des pouvoirs du Parlement Européen ( lui-même entaché de faiblesses détaillées ci-dessus), il n’en reste pas moins vrai qu’à l’heure actuelle la répartition des pouvoirs au sein de l’Union demeure très largement biaisée en faveur du Conseil Européen, dont les Membres ne rendent de comptes que devant leurs opinions publiques nationales respectives. La composition de la Commission n’a rien de démocratique, malgré une procédure d’approbation de ses membres par le Parlement. Il en va de même en ce qui concerne les nominations dans de nombreuses enceintes communautaires telles que la Cour de Justice, la Cour des Comptes, la BCE, la BEI, etc., ou le contrôle de leurs opérations.

Enfin, particulièrement d’actualité ces jours-ci, le manque criant de ressources budgétaires est incontestablement un des plus grands obstacles à la mise en œuvre d’une réelle démocratie au niveau de l’Union Européenne.Comme chacun le sait, l’argent est le nerf de la guerre! L’absence de « ressources propres » significatives de l’Union concentre le vrai pouvoir au niveau des Pays Membres responsables du financement du budget. A ce titre, les positions contradictoires sont emblématiques car, qu’elles réclament une réduction en valeur absolue comme la Grande-Bretagne, des économies ciblées  comme la France, des « rabais » comme d’autres encore, le statu quo comme la Commission voir un modeste accroissement comme réclamé par le PE, aucune ne prend à bras le corps l’enjeu implicite qui est la pérennité de l’UE elle-même.

A cet égard, le discours du Président français à Strasbourg, est un modèle d’ambiguïté et de contradictions : « faire des économies oui, affaiblir l’économie non » implique un compromis budgétaire a minima. Son appel à la relance de la croissance par l’Europe (comme l’appel similaire du Roi Albert II dans son discours de Noël) et son acquiescement à la nécessité de nouvelles ressources propres est au mieux un vœu pieux. En effet, tout accroissement des ressources propres ne peut se financer que par deux moyens : soit l’établissement d’un « nouvel impôt européen », ce qui alourdirait la fiscalité dans chacun des pays Membres, soit par le transfert au profit de l’UE d’impôts nationaux existants. Alors que la première alternative risque de nuire à la compétitivité (affaiblir l’économie non !), la deuxième revient à augmenter les transferts des pays Membres à l’Union en contradiction avec la position (faire des économies, oui !) de l’ensemble des protagonistes à la négociation budgétaire.

Il y a, cependant, une solution rationnelle à ce dilemme : transférer à l’Union le produit d’impôts nationaux en même temps que des « compétences ». Cela reviendrait à faire des « transferts de souveraineté » (démarche inverse de celle qui se met en place en Belgique), sur lequel la possibilité d’un accord semble pour le moins aléatoire car cela ne pourrait qu’exacerber les demandes de « juste retour » (I want my money back !) ce qui en réduirait la portée. Dotée d’une capacité fiscale autonome, l’Union acquerrait une capacité d’emprunt, indépendante  (de la garantie) des Pays membres. Cela financerait les programmes communs et permettrait une capacité de « transferts » assurant une redistribution des richesses conforme aux impératifs économiques et sociaux poursuivis. D’énormes économies d’échelle seraient possibles, notamment si l’on centralisait les budgets de défense et des affaires extérieures; cela créerait des marges de manœuvre importantes, permettant un renforcement de la compétitivité et de l’emploi, tant au niveau national qu’européen.

Les demandes contradictoires formulées, tant par David Cameron que par François Hollande, démontrent, si besoin en était, que l’Union Européenne est arrivée au bout de sa capacité de réformes par une évolution progressive et consensuelle de ses objectifs et de ses structuresContrairement à la rumeur publique, le citoyen européen est vivement intéressé par ce débat qui conditionne son futur et celui de ses enfants. La démonstration en a été clairement apportée par l’énorme succès d’audience des deux débats animés respectivement par Guy Verhofstadt et Daniel Cohn-Bendit, et Sylvie Goulard et Mario Monti qui ont rempli à craquer la grande salle du Palais de Beaux-arts de Bruxelles lors de la présentation de leurs projets « fédéralistes ».

Le temps des choix entre deux visions radicalement opposées se profile :

Soit celle du renforcement d’une structure « confédérale ». Son objectif principal est le parachèvement d’une zone de libre échange et le rapatriement de tous les autres éléments de souveraineté nationale dévolus à l’Union. Cette option, soutenue principalement par la Grande-Bretagne, implique le démantèlement de la monnaie unique avec toutes les incertitudes qu’il comporte et, corollairement  la fin de la prééminence de la City comme centre mondial du négoce des devises.

Soit, celle de la création d’une structure « fédérale » avec une hiérarchie claire des normes entre pouvoirs fédéraux, nationaux et locaux, permettant l’exercice « démocratique »  de ceux-ci à chaque niveau, dans le respect plein et entier de la subsidiarité. Le niveau fédéral serait composé d’un exécutif (politique) responsable devant un Parlement, lui-même composé, à l’instar du système allemand (ou américain) d’une représentation directe des citoyens (Chambre des Représentants) et d’une représentation territoriale (Sénat). Serait aussi instauré, un système judiciaire fédéral distinct des systèmes nationaux, chacun œuvrant dans les domaines de leurs compétences respectives (comme aux Etats-Unis).

Ces deux visions ne sont d’ailleurs pas antinomiques dans la mesure où, comme proposé  par l’Institut Thomas More en septembre dernier (Note N° 13: Le fédéralisme c’est maintenant !), une « Communauté Européenne fédérale » (appliquant l’intégralité de l’acquis communautaire sans aucune dérogation) pourrait être le pilier d’une « Union Européenne confédérale » (où les entités confédérées seraient invitées à participer aux programmes de la Communauté à la carte).

La démocratie, valeur profondément enracinée au sein de son peuple, est la condition sine qua non de la pérennité du modèle et de la qualité de vie en Europe. Il est devenu urgent d’adapter les structures institutionnelles qui nous gouvernent pour lui assurer son plein épanouissement.

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