Puisque Macron se la joue à la Trump, voilà pourquoi Valérie Pécresse pourrait utilement s’intéresser à la stratégie Biden <!-- --> | Atlantico.fr
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La candidate Les Républicains, Valérie Pécresse, prononce un discours lors d'une réunion publique, à Besançon, le 13 janvier 2022.
La candidate Les Républicains, Valérie Pécresse, prononce un discours lors d'une réunion publique, à Besançon, le 13 janvier 2022.
©SEBASTIEN BOZON / AFP

Tactique politique

Alors qu'Emmanuel Macron a joué la carte de la division avec sa déclaration sur les non-vaccinés, Valérie Pécresse pourrait, à la manière de Joe Biden, déployer une stratégie basée sur la volonté de rassemblement et sur la nécessité de réparer les fractures.

Jérôme Besnard

Jérôme Besnard

Jérôme Besnard est journaliste, essayiste (La droite imaginaire, 2018) et chargé d’enseignements en droit constitutionnel à l’Université de Paris.

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico :  Dans cette campagne qui s’annonce à quel point Macron et Zemmour jouent la division et les clivages, à la Trump ? Valérie Pécresse pourrait-elle s'inspirer de la stratégie de Joe Biden en jouant sur la volonté de rassemblement et de réparer les fractures plutôt que de rentrer dans leur jeu ?

Jérôme Besnard : Emmanuel Macron et Éric Zemmour sont des experts de la communication provocatrice. Cela fonctionne mieux pour le premier car il bénéficie de présupposés plus favorables de la part de la presse. Macron est le gentil provocateur et Zemmour, le méchant. Le seul moyen d’exister par rapport à eux, c’est d’affirmer vouloir réconcilier et rassembler les Français. Visiblement,  c’est la meilleure stratégie possible pour Valérie Pécresse à condition d’être audible dans une actualité politique saturée par les débats interminables sur la situation sanitaire. Malgré ses deux victoires successives aux  élections régionales en Ile-de-France et son expérience ministérielle, la candidate désignée par les adhérents LR fait l’objet d’un déficit de notoriété en province et chez les jeunes. Elle a donc consacré un de ses premiers déplacements de janvier à la thématique de l’agriculture.

Jean Petaux : Il n’est pas tout à fait exact de dire qu’Emmanuel Macron joue la division et les clivages. Il est plus juste de dire, selon moi, qu’il cherche à renforcer son électorat en ciblant des catégories d’électeurs (ou de non-électeurs d’ailleurs, tant l’abstention est forte dans ces rangs) très minoritaires qu’il constitue ainsi comme étant ses « meilleurs adversaires ». Il s’agit-là d’une « figure classique » en politique. « L’anticommunisme primaire et viscéral » (appellation certifiée par le PCF dans les années 60-70) répondait ainsi à la critique émise par la droite (les gaullistes, les « indépendants », les chrétiens démocrates) aux « séparatistes », au « parti de Moscou », etc. Le cas Zemmour est différent : il cherche à capter un électorat qui se représente déjà comme « assiégé » et « minoritaire » dans son propre pays. Et pour ce faire il construit une série d’épouvantails (à moineaux, ou à électeurs à droite de la droite de gouvernement). Valérie Pécresse n’a pas du tout, actuellement une stratégie de rassemblement et de consensus destiné à « réparer les fractures ». Il faut bien avoir en-tête que, désormais, elle doit « rejouer » une « primaire ». C’est d’ailleurs la vraie fonction du premier tour de la présidentielle. C’est ainsi en tous les cas que le premier tour a fonctionné dès 1965, servant à qualifier pour le second tour le « meilleur opposant au général de Gaulle », sorte de « primaire qualificative » qui a permis à François Mitterrand de l’emporter sur Jean Lecanuet et d’être ainsi « consacré » « opposant en chef » du fondateur de la Cinquième république. Même processus entre deux candidats de la droite et du centre en 1969, sauf que, déjà, cette compétition interne à la droite, a conduit à la qualification des deux tenants de la droite gaullo-pompidolienne et « orléaniste » constituée, celle-là, des « indépendants » et des « centristes » majoritairement alors chrétiens-démocrates, même si Jacques Duhamel avait rejoint Georges Pompidou. On retrouve surtout cette configuration de premier tour fonctionnant comme une « primaire » en 1974 (duel VGE vs Chaban), en 1981 (duel VGE vs Chirac), en 1988 (duel Chirac vs Barre) et, bien entendu, en 1995 (le cas le plus dur de l’affrontement entre deux représentants de la droite : Chirac vs Balladur). Pour 2022, l’affrontement pour la qualification au second tour se joue à trois : Pécresse, Le Pen et Zemmour. Pour cette raison, et du fait de cette configuration, Valérie Pécresse doit durcir sa ligne politique, éviter toute fuite de son électorat vers ses deux adversaires et donc cliver, elle aussi, en laissant (et c’est son principal risque) sur le bas-côté de cette campagne de premier tour un électorat centriste de droite qui, de son côté à lui, ne sera pas insensible au chant des sirènes macronistes. D’ailleurs ce chant a déjà eu quelque écho avec l’inflexion du discours du chef de l’Etat sur la fiscalité de la succession par exemple…

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On se souvient qu’Hillary Clinton avait marqué les esprits en s’en prenant aux électeurs de Trump (Basket of deplorables). S’en prendre à ses adversaires politiques sans dénigrer leurs électeurs, comme a pu le faire Biden, est-il aussi une manière de pouvoir les séduire ? Sur quel angle d’attaque pourrait s’affirmer Valérie Pécresse ?

Jérôme Besnard : Valérie Pécresse a d’autant moins intérêt à dénigrer les électeurs de gauche, par exemple, qu’elle en aura besoin marginalement au second tour si elle se qualifie. Le rejet de la personnalité d’Emmanuel Macron et le souhait de voir renaître le traditionnel clivage droite/gauche peut en effet motiver certains socialistes, écologistes ou Insoumis à porter au pouvoir une femme droite plutôt que de subir un deuxième mandat du président de centre gauche. La force de Valérie Pécresse, c’est la faible assise électorale du macronisme, même s’il a conservé voire renforcé son noyau dur originel, dont le point d’équilibre est passé du centre gauche au centre droit.

Jean Petaux : Il est préférable, sauf à se tirer une balle dans le pied, de ne pas insulter les électeurs que l’on cherche à rallier à soi. Pour autant cela peut passer par des critiques adressées à ceux qui se sont déjà appropriés une part ou la totalité de ce même électorat. C’est d’ailleurs ce qui constitue l’essence-même du « vote utile » : « Vous n’allez quand même pas voter pour ce « nullard » de X qui sera incapable de battre Y, vous feriez mieux de voter pour moi, même si je ne corresponds pas exactement à votre genre idéal de candidat, mais au moins moi je suis en mesure de faire échec à Z que vous détestez encore plus que moi ».  On voit bien que dans ce cas de figure, s’il n’y a pas vraiment séduction d’un électorat à conquérir, il y a dévalorisation de l’image du candidat que cet électorat choisirait spontanément ou par « habitus électoral ». C’est ce qu’a voulu jouer Zemmour par rapport à Marine Le Pen en essayant de siphonner son électorat et en se présentant auprès d’une partie de l’électorat frontiste et surtout anti-Macron comme celui qui pourrait faire échec à un second mandat du Président sortant quand la leader du RN n’y parviendra pas. Ce type de stratégie peut fonctionner mais demeure complexe. Par exemple en 2007 François Bayrou a failli y parvenir en « draguant » au premier tour une partie de l’électorat socialiste,  agissant ainsi contre Ségolène Royal, tellement il paraissait peu probable que la candidate « Désir d’avenir », compte de son niveau, puisse être « compétitive » face à Nicolas Sarkozy au second tour de la présidentielle, alors que le patron du MODEM pouvait jouer cette carte… Cela n’a pas fonctionné non plus pour lui, même s’il a obtenu un score au soir du 1er tour qui lui permettrait peut-être de se qualifier en 2022 et en tous les cas qui l’aurait fait en 2002, il n’a pu la devancer et ainsi « jouer » au second tour. Il lui manqua quand même 7 points (Bayrou : 18,57% des SE ; Royal : 25,87%). C’est dire la difficulté de l’exercice.

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Joe Biden était aussi le pur produit de l’establishment et avait pour lui one longue carrière politique, Valérie Pécresse est par rapport à ses rivaux aussi dans cette situation. Appuyer sur son expérience politique, sur la foi dans les corps intermédiaires peut-il être une stratégie gagnante ?

Jérôme Besnard : Joe Biden a joué la modération face aux outrances de Donald Trump et il a réussi son pari. Sa longue pratique des affaires publiques américaines a rassuré y compris un électorat traditionnellement républicain qui jugeait la stratégie de Trump contraire à ses propres intérêts. Si Valérie Pécresse veut parler au centre, le discours naturel dans la configuration actuelle consiste à dire qu’elle ne gouvernera pas avec des présupposés idéologiques radicalement différents mais seulement de façon plus efficace. Par son itinéraire, elle colle bien au modèle d’une droite gestionnaire, libérale et européenne théorisée en son temps par Valéry Giscard d’Estaing et combattu aujourd’hui par Marine Le Pen et Éric Zemmour.

Jean Petaux : Si l’on était dans un cycle où la confiance envers l’expérience des élus servait de viatique pour acquérir ou même faire état d’une crédibilité que l’on pourrait qualifier « d’experte », je vous répondrai « oui » sans aucun doute. Mais l’air du temps politique actuel est tout autre aujourd’hui : le « dégagisme » est très présent. En conséquence de quoi le fait d’appartenir à « l’établissement » comme disait plaisamment le père de Marine Le Pen (et il savait de quoi il parlait lui qui a été le benjamin de la Chambre des Députés aux législatives de janvier 1956, élu  dans le rangs des députés poujadistes), n’apporte pas grand-chose à Valérie Pécresse.  Surtout alors qu’elle est à la recherche d’un électorat très à droite qui ne se caractérise particulièrement pas par un niveau d’études supérieures massif et qui déteste tout ce qui ressemble aux « élites ». De ce point de vue, Eric Zemmour, deux fois « collé » à l’ENA, manifestement frustré par cet échec, est bien mieux placé que Valérie Pécresse, même si le fait que sa compagne, sortie dans la « botte » de l’ENA, ayant intégré la Cour des Comptes, n’est pas forcément bien vu de  l’électorat potentiel de l’ancien journaliste… qui, finalement, par ses « fréquentations » (y compris privées et intimes…) ressemble « aux autres », à « ceux qui sont là haut ! ».

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D’autant que ce qui compte davantage, et c’est le paradoxe de l’affaire, c’est plutôt l’expérience dans la fonction… Valérie Pécresse a été fort bien réélue dans sa fonction de présidente de la première région française et l’une des plus riches d’Europe, l’Ile-de-France, en 2021 ; Anne Hidalgo que l’on donnait en difficulté pour les municipales à Paris en 2020 a été, elle aussi, bien reconduite dans ses fonctions municipales, mais pour autant la « transposition de crédibilité » ne s’opère pas du tout pour la candidate socialiste et s’avère difficile pour la candidate LR à la présidentielle de 2022. Là encore c’est plutôt le « sortant », Emmanuel Macron, qui, pour l’heure, pandémie et insécurité réunies, semble tirer le plus de bénéfice et d’avantages à se présenter à sa propre succession. Même s’il ne l’a pas encore déclaré publiquement : il est bien son meilleur challenger pour avril 2022, dans un dialogue direct avec les Français. Dans la pure tradition gaullienne : au-dessus des partis. Au passage : savez-vous à quelle date le général de Gaulle a présenté sa candidature aux Français en 1965, pour la première édition de l’élection présidentielle au suffrage universel ? Le 4 novembre 1965. Le premier tour de l’élection a eu lieu le 5 décembre. Et le général n’a pas fait campagne pendant le mois de novembre… Estimant que quand on est de Gaulle, on ne fait pas campagne comme Mitterrand, Lecanuet… ou Marcel Barbu (dernier au soir du premier tour avec 1,15% des SE) ! Autre temps, autres mœurs politiques…

Quelles sont les limites d’une telle stratégie ? 

Jérôme Besnard : Les limites en sont précisément d’avoir du mal à mobiliser les électeurs qui se reconnaissent dans les accents très droitiers, très régaliens d’Éric Ciotti par exemple. Elle doit faire comprendre que sa posture sécuritaire, qui semble de bon sens, débouchera sur une évolution de la situation française en matière d’immigration, de lutte contre la fraude sociale ou de réponse judiciaire au délitement de la société. Si Valérie Pécresse réussit son pari, c’est qu’elle aura progressé au centre droit sans perdre sur sa droite. L’affaire peut se révéler plus complexe qu’il n’y parait, surtout si Éric Zemmour reperd des électeurs au profit de Marine Le Pen.

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