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Projet de loi asile et immigration : la gauche Castafiore fait entendre sa voix
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Je ris de me voir si belle en mon miroir humaniste

Dans une tribune, l'ancien Premier secrétaire du Parti socialiste, Jean Christophe Cambadélis, a fortement critiqué le ministre de l'Intérieur, suite à la présentation du projet de loi Asile Immigration qui sera présenté ce 21 février en Conseil des ministres.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : Dans une tribune publiée par le Huffington Post, Jean-Christophe Cambadélis a mis en cause Gerard Collomb dans le cadre du projet de loi Asile Immigration qui sera présenté ce 21 février en Conseil des ministres. ​"Du courage, Gérard: voilà ce que nous attendons de toi. Le courage de ne pas oublier qui tu as été. Et si tu ne le fais pas par humanisme, fais-le au moins pour la France, sa réputation et son honneur. Tu sais au fond de toi qu'il n'y a rien d'équilibré dans la politique migratoire que tu conduis. Tu sais que tous ceux qui travaillent à l'accueil des migrants n'accepteront jamais les nouvelles règles que tu proposes. Tu sais même que les réfugiés préféreront errer dans les rues plutôt que d'aller dans des camps – et le zéro SDF ne sera qu'un autre horizon lointain". Alors que l'ONG Save The Children révélait le 15 février qu'un enfant sur 6 dans le monde vivait dans une zone de conflit, ne peut on pas voir ici une forme d'hypocrisie de la part de l'ancien Premier secrétaire du Parti socialiste, qui en situation de responsabilité, serait sans doute contraint de mener la même politique qu'il dénonce ?

Eric Verhaeghe :​Je dirais volontiers qu'il s'agit d'une hypocrisie tout à fait calculée et intéressée. N'oublions jamais les deux casquettes de Cambadélis. Il y a l'ancien premier secrétaire du Parti Socialiste, et il y a surtout l'ancien député d'un arrondissement parisien très fortement marqué par l'immigration et par ce discours de la bienveillance vis-à-vis des réfugiés. Soyons clairs, même: Cambadélis a lourdement perdu la dernière législative du fait d'une coalition des gauches contre lui. Elle lui ont préféré la candidature de Mounir Mahjoubi. Pour Cambadélis, ce discours favorable aux réfugiés a là encore un double sens. Il s'agit de reconquérir des voix ou, en tout cas, de faire entendre sa petite musique, notamment dans la perspective des municipales qui s'annoncent. Il s'agit aussi de promouvoir une politique de peuplement qui lui a profité pendant des années. On ne mesure pas assez que l'accueil d'immigrés est une bonne façon de changer le tissu électoral. Des arrivées massives d'immigrés font partir progressivement les autochtones et en priorité ceux qui ne votent pas spontanément socialiste. Elles constituent également un réservoir de voix plutôt enclines à voter socialiste dans la durée. Pour Cambadélis, ce sujet est donc un mets de choix dans la mesure où il peut espérer enfoncer un coin "local" contre son rival En Marche sur ce thème. 

Plus généralement, il faut marteler que la majorité socialiste à Paris manie le discours de la bienveillance quant aux réfugiés pour des raisons de calcul bien avant d'avoir des raisons de coeur. L'ouverture aux réfugiés remet en branle l'écosystème d'une victoire qui redevient probable après la déculottée infligée par En Marche. Hidalgo a un intérêt objectif à cliver sur ce thème: c'est la meilleure façon de mettre En Marche en difficulté face à un électorat bobo travaillé au corps quotidiennement par des medias complaisants. C'est aussi l'annonce de nouvelles arrivées qui feront fuir les marcheurs ou les libéraux qui habitent Paris. Sur ce sujet, Hidalgo gagne donc sur tous les tableaux. 

Q​uels sont les dégâts causés par ce type de pratiques politiques ​sur des sujets aussi clivants que la question de l'immigration ?

​On comprend bien la logique émotionnelle qui guide Cambadélis et ses amis. Leur objectif est de transformer des problèmes politiques en problèmes affectifs, ou de culpabilité morale. Gustave Le Bon, notamment dans sa Psychologie des Foules, avait très bien décrit ce mécanisme, qui vise à détourner les individus de la rationalité pour les manipuler par des bons sentiments. On peut observer cette tendance générale à la gouvernance par l'émotion dans le débat public français aujourd'hui. Peu de domaines y échappent. Le plus caricatural est celui de l'écologie où tout fonctionne par injonctions morales: êtes-vous pour ou contre la survie de la planète? êtes-vous pour ou contre le bien-être? 

Mais d'autres sujets sont concernés. On l'observe sur les fake news, où l'injonction est forte. À la question: êtes-vous pour ou contre le mensonge, on engouffre une série de thèmes totalement délirants. Bientôt, expliquer que la noyade de Robert Boulin dans une flaque d'eau à Rambouillet mérite peut-être quelques explications nouvelles relèvera du complotisme. Si l'on se fiait au discours moral ambiant sur les fake news, il n'y aurait jamais eu de réhabilitation pour Dreyfus, et Zola serait aujourd'hui lourdement condamné par la justice pour mensonge. 

Tout ceci relève bien entendu d'une tentative de reprise en main d'un débat public et d'une société qui échappe de plus en plus à ses gouvernants et à leurs sbires. 

Alors que Jean Christophe Cambadélis soutenait l'action de François Hollande, peut-on réellement constater une différence entre les deux gouvernements dans le domaine et justifiant une telle attaque à l'égard de Gerard Collomb ? 

​Le meilleur emblème de cette mascarade est le campement de Calais. Pendant son quinquennat, François Hollande a effectivement laissé pourrir la situation là-bas, s'accommodant très bien d'une situation où la France jouait le rôle de pare-feu pour la Grande-Bretagne, et où les gangs ont fait leurs choux gras du drame de Calais. Cet état de fait n'a gêné personne à gauche, ou en tout cas au Parti Socialiste. Souvenons-nous également de la réaction de Valls au moment de la crise des réfugiés. La France s'est battue pour accueillir le moins de réfugiés possible. On n'a pas beaucoup entendu Cambadélis interpeller son ami Manuel Valls, à ce moment-là, pour le convaincre d'ouvrir les frontières. 

On peut reprocher aujourd'hui à Gérard Collomb une franchise que le parti socialiste avait moins en son temps. Cela dit, Collomb est lui-même un émule de parti socialiste, auquel il a adhéré pendant plusieurs décennies. Ces nuances avec Cambadélis relèvent donc de la pure posture de communication. Et, sur le fond, personne ne peut vraiment constater la baisse de l'immigration en France. 

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