Nucléaire militaire iranien : un coup de com' des Américains ?<!-- --> | Atlantico.fr
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"Au dixième de seconde où un missile part de l’Iran, 300 missiles à tête nucléaire sont susceptibles d'être envoyés sur Téhéran en retour."
"Au dixième de seconde où un missile part de l’Iran, 300 missiles à tête nucléaire sont susceptibles d'être envoyés sur Téhéran en retour."
©Reuters

Poker atomique

Un rapport détaillé de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), prévu pour novembre, viendrait confirmer l'existence d'un programme nucléaire à caractère militaire. A la lumière de la trouble tentative d'attentat iranienne déjouée à Washington, tentative de décryptage des intérêts en présence.

Thierry Coville

Thierry Coville

Thierry Coville est chercheur à l’IRIS, spécialiste de l’Iran. Il est professeur à Novancia où il enseigne la macroéconomie, l’économie internationale et le risque-pays.
 
Docteur en sciences économiques, il effectue depuis près de 20 ans des recherches sur l’Iran contemporain et a publié de nombreux articles et plusieurs ouvrages sur ce sujet.
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Atlantico : Preuves à l'appui, l'Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) s'apprêterait à dénoncer le caractère militaire du programme nucléaire de l'Iran. Téhéran est-elle en passe de devenir une menace nucléaire réelle ?

Thierry Coville : Le problème justement, c’est que les Occidentaux ne sont pas encore arrivés à en faire la preuve. Ils ne sont d'ailleurs pas arrivés à établir qu’il y ait un programme nucléaire, et que ce programme ait un objectif militaire.

L’AIEA est en permanence en Iran. Cette agence contrôle toutes les activités d’enrichissement de l’Uranium, mais reproche à Téhéran de conduire des activités secrètes. Les responsables iraniens soutiennent le contraire, et l'AIEA insiste en demandant une preuve formelle, c'est un débat sans fin... La seule possibilité de contrôle résiderait dans l’établissement d'un protocole additionnel de sécurité au traité qu’a signé l’Iran, et qui permettrait des "audits" inopinés.
Toutefois, l’Iran a refusé pareille option.

La meilleure stratégie que les pays européens et les Américains pourraient mettre en place avec l'Iran, serait finalement de négocier en vue de pouvoir améliorer les contrôles sur l’enrichissement de l'uranium.

La mise au jour d'un projet d'assassinat contre l'ambassadeur d'Arabie saoudite aux États-Unis, et impliquant deux Iraniens, avait accentué les pressions de Washington sur Téhéran. Peut-on envisager, derrière la décision de l'AIEA, une manipulation des États-Unis qui souhaitaient que les Iraniens "rendent des comptes" ?    

Les Américains ont un vieux compte à régler avec l’Iran, sans oublier l'influence israélienne certaine. La main tendue par Barack Obama a d'ailleurs été assez rapidement retirée. Il n’a pas vraiment essayé de négocier. Ensuite, ce qui est à la fois très décevant et contreproductif, c’est l’attitude des Européens qui se sont mis à fondre cette politique de sanctions, qui ne fait que radicaliser la situation. L'on revient finalement à la politique de menace de George W. Bush qui n’a donné aucun résultat.

Je ne suis pas partisan de la théorie du complot, mais la situation actuelle me paraît digne d’un mauvais roman policier. Les États-Unis ont par ailleurs annoncé le boycott d’une compagnie aérienne iranienne qui serait impliquée dans des activités douteuses. Un tel positionnement sent bon la stratégie de communication, à savoir l’idée de présenter l'Iran comme un état voyou avec lequel on ne peut pas négocier.

Ce fait d'actualité pose les questions des relations, de l’absence de relations, de la guerre larvée que se livre l’Iran et les États-Unis depuis la révolution islamique. Il n'y a pas de relations diplomatiques depuis l’affaire des otages de 1979, les tensions sont permanentes, on le voit avec l’histoire de la soi-disant tentative iranienne d’assassiner l'ambassadeur d'Arabie saoudite. Les deux pays ne communiquent pas ensemble, ils ont des comptes à régler, et en coulisses la question d’Israël joue un rôle majeur.

Justement, si l'Iran se dote de l'arme nucléaire, est-il envisageable qu'elle puisse envoyer des missiles sur Israël ?

Au dixième de seconde où un missile part de l’Iran, 300 missiles à tête nucléaire sont susceptibles d'être envoyés sur Téhéran en retour. Et comme le régime iranien est tout sauf suicidaire quant à sa survie politique, cela n’a pas de sens. Quant aux groupuscules terroristes, l’Iran est majoritairement peuplé de chiites, et on ne peut pas dire que ces derniers soient en très bon terme avec Al-Qaïda.

Ensuite, Ben Laden se trouvait au Pakistan. Pays qui présente davantage de risques que l'Iran. Certes, de grandes tensions politiques avec l'occident existent, mais nous n’avons aucune preuve qu’il y ait un programme militaire. La menace Iranienne est avant tout exagérée à des fins communicationnelles.

Ce qui est possible, c’est que les iraniens veulent atteindre un seuil technologique qui leur permettrait, si besoin, de construire une bombe nucléaire.

Si tous les pays disposent demain de l'arme nucléaire, l'Iran en tête, la dissuasion nucléaire ne perd-elle pas tout son sens ?

Dans le monde actuel, il n’y a pas réellement de problème. Il simplement faut donner aux agences internationales comme l’AIEA les moyens de contrôler tous les programmes nucléaires.

A l’origine, si l'Iran pensait à une force de dissuasion nucléaire, c'est parce-qu'elle avait été attaquée par l’Irak. Comme les organismes internationaux, tel que l’ONU, n’avaient pas bougé, les Iraniens ne pouvaient compter que sur eux-mêmes. En revanche, depuis que le projet d’usine d’enrichissement a été révélé, le discours de Téhéran a évolué pour se pencher désormais sur la maîtrise de l'uranium à des fins civiles. D’autres pays, comme le Brésil et la Corée du Sud, enrichissent également leur propre uranium et leur propre combustible.

A l'égard de l'Iran, on ne sait plus trop ce que la communauté internationale veut. Historiquement, une proposition a été formulée à Genève en septembre 2009, l’Iran devait donner son uranium faiblement enrichi pour qu’il soit enrichi à 20% par les Français et les Russes, et qu’il alimente un réacteur nucléaire à Téhéran. L’Iran a refusé cet accord, puis s'est tournée en mai 2010 vers le Brésil et la Turquie. La communauté internationale s'est alors entendue pour mettre en place des sanctions à l'égard de Téhéran, alors qu'il s'agissait d'un accord identique.

La question du nucléaire iranien est donc ambivalente. Et je rappelle que la question des risques ne s'est pas posée lorsque l'on a aidé le Pakistan à acquérir la bombe nucléaire.

Si l'on veut sortir par le haut de cette crise, la confiance doit être rétablie entre occident et Iran. Quant à l'AIEA, elle doit pouvoir s'assurer de la mise en place de procédures de contrôle fiables. Sans quoi, la question du nucléaire iranien ne restera que pure spéculation.

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