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Prix unique du livre numérique, nouvelle ligne Maginot anti-lecture
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Zone franche

Le prix unique du livre papier privilégiait déjà le libraire sur l’auteur et le lecteur. Avec le prix unique du livre numérique voté mardi au Parlement, c'est au tour de l'éditeur de faire la fête.

Hugues Serraf

Hugues Serraf

Hugues Serraf est écrivain et journaliste. Son dernier roman : La vie, au fond, Intervalles, 2022

 

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J’ai toujours été hostile au « prix unique du livre ». D’abord parce qu’il s’agit d’un concept ridiculement antilibéral, au sens où il suggère que la concurrence entre commerçants est une mauvaise chose en soi, mais surtout parce qu’il n’aide pas le livre mais les libraires.

Justification du dispositif (la fameuse « loi Lang » de 1981) : un prix libre avantage les grands réseaux type (FNAC, Virgin, Leclerc…) mais handicape les indépendants (votre libraire de quartier).

C’est d’ailleurs difficile à contester. Le distributeur doté de nombreux magasins peut négocier un prix d’achat unitaire avantageux auprès des éditeurs, et ses coûts de mise en place sont plus faibles que ceux d’une petite boutique familiale. Il est donc en mesure de vendre moins cher, poussant ses concurrents les plus fragiles à la faillite...

Et alors ?

La préservation des libraires de quartier est-elle un enjeu supérieur à la promotion du livre et de la lecture ?

Plus de libraires mais moins de livres et moins de lecteurs

Indubitablement, l’élimination de la concurrence entre canaux a permis à la France de garder un maillage de petits établissements plus dense que dans les pays où le prix du livre est libre. Ainsi, on recense encore quelque 2 500 vrais libraires dans l’Hexagone contre un millier à peine en Grande-Bretagne, un pays à la démographie comparable mais ayant fait un sort à son « Net Book Agreement » dès 1995.

En contrepartie, elle a rendu le livre français plus cher, en a bridé la diffusion et, ultimement, freiné la lecture et la création. Car enfin, quel est l’intérêt de protéger artificiellement un réseau de petits libraires contre les mastodontes de la grande distribution si c’est au détriment du lecteur et de l’auteur ? Interdirait-on aux supermarchés de vendre leurs côtes d’agneau à un prix inférieur à celui des bouchers de centre-ville au risque de faire baisser la consommation de viande ?

OK, il y a certainement des gens à qui ça a traversé l'esprit...

En Grande-Bretagne, où un trio de grandes chaînes, d’ailleurs de très bonne qualité (Waterstone, Blackwell, WHSmith…), domine le marché, on publie trois fois plus de livres qu’en France (151 000 titres l'an dernier contre 65 000) et l'on en vend deux fois plus d’exemplaires (739 millions contre 465 millions) pour un chiffre d’affaires pourtant comparable (2,2 milliards de livres contre 2,7 milliards d’euros)…

Numérique : du PC à l'UMP, tous unis pour défendre
les cartels de producteurs

Au final, un pays où l’on publie plus, où l’on vend plus, où les gens lisent plus, où les livres sont moins chers et où, cerise sur le gâteau, les auteurs sont mieux rémunérés mais où l’on fait plutôt ses emplettes dans des succursales de chaînes (et de plus en plus sur Internet), est-ce vraiment l’enfer du point de vue culturel ?

Pour rester sur la Grande-Bretagne, tous les libraires indépendants n’y ont d’ailleurs pas disparu : ceux d’entre eux qui offraient une vraie valeur ajoutée (atmosphère, conseil, spécialisation…) continuent de prospérer malgré la concurrence des Goliath. Pour ne rien dire du marché du livre d’occasion, très dynamique chez les voisins du dessus.

Mais qu'importe ! Édifiés par l'extraordinaire succès de la loi Lang, nos parlementaires viennent d'en voter une nouvelle fixant un prix unique pour le livre numérique et son extension à l’ensemble de la planète (l’éditeur impose un prix aux diffuseurs où qu’ils se trouvent. C’est la « clause d'extra-territorialité », d’ailleurs totalement contraire au droit européen…).

Ajoutons que ce texte a été accueilli avec enthousiasme par l’ensemble des formations politiques, du PC à l’UMP, la mise en coupe réglée d’un marché par un cartel de producteurs suscitant fréquemment l'union sacrée sous nos latitudes.

Pour autant, cette préservation par la loi des marges des éditeurs risque de se révéler moins efficace que la précédente. Et si le prix imposé pour un livre numérique est jugé grotesque par les lecteurs, il sera piraté et diffusé gratuitement en peer-to-peer comme n'importe quel hit de Lady Gaga.

Ah j'y pense, où en est le débat sur la tarification du livre télépathique : il paraît que les premières applis iPhone sont prêtes ?

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