Pourquoi Vladimir Poutine n’est pas aussi omnipotent en Russie que les apparences le laissent croire<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président russe, Vladimir Poutine
Le président russe, Vladimir Poutine
©Reuters

Mirage

Bien que perçu depuis l'Europe comme omnipotent dans son pays, la réalité quotidienne de Vladimir Poutine pourrait être bien différente. C'est ce que théorise la politologue Alena Ledeneva à travers sa classification des cercles d'influence russes qui s'ils sont arbitrés par lui, ne lui sont pas toujours totalement soumis.

Laurent  Vinatier

Laurent Vinatier

Laurent Vinatier est chercheur associé à l’institut Thomas More et consultant pour Emerging Actors Consulting. Spécialiste de la Russie et de l’ex-Union soviétique, il enseigne à Moscou, Genève et Dijon. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, notamment sur la guerre en Tchétchénie et les affaires intérieures russes.

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Atlantico : Dans son dernier ouvrage Can Russia Modernise?: Sistema, Power Networks and Informal Governance, la politologue Alena Ledeneva estime que la gouvernance de Vladimir Poutine se fonde sur quatre types de réseaux : le cercle rapproché, les amis utiles, les contacts clés et les relations médiatiques. Mais ces réseaux sont-ils totalement dévoués au président russe ? Ce dernier a-t-il tout pouvoir sur les cercles d'influence du pays ?

Laurent Vinatier : Le processus de décision politique en Russie est beaucoup plus opaque que dans le reste des pays occidentaux. Seule la Chine est plus obscure. Vouloir schématiser les réseaux est intéressant, mais il est compliqué donner une place précise aux différents acteurs qui gravitent autour de Vladimir Poutine. Il faut bien savoir que depuis très longtemps le pouvoir russe se définit par un système de luttes internes entre groupes d'intérêts. Dans les années 1990, les oligarques se faisaient concurrence, puis les forces de sécurité se sont opposées aux libéraux. Ces derniers  sont ensuite sortis du système décisionnaire. On assiste donc en ce moment à une concentration de la compétition entre groupes d'intérêt autour du président. Mais cela ne vaut pas pour autant dire qu'il est omnipotent.

Prenons comme exemple le domaine de l'énergie : la Russie, au nom de son intégration à l'OMC, doit ouvrir son marché. Il se trouve que sur le marché russe la compétition existe, mais entre deux entreprises publiques : Rosneft, dont le PDG est Igor Sechin, un proche de Poutine dont on pensait avant Medvedev qu'il était le numéro deux, contre Gazprom, dirigé par Alexeï Miller, un autre proche de Poutine. La question n'est donc pas de savoir si Poutine est omnipotent, mais lequel des deux il choisira de favoriser en fonctions des propositions qui lui sont faites. Il ne les dirige pas ensemble. Actuellement, vu de l'Union européenne, on sent une divergence entre les intérêts du Kremlin et ceux de Gazprom. Poutine est un arbitre qui n'utilise pas tout le monde à la fois. En Russie le pouvoir ne se pratique pas de haut en bas, les décisions passent par des canaux féodaux. Les entreprises énergétiques sont des vassaux, et ce sont les plus performants qui sont favorisés par le prince.

Sur le fond et sur la forme, les jeux d'influence en ont-ils beaucoup changé entre la chute de l'Union soviétique et la Russie d'aujourd'hui ?

A la différence près que les acteurs étaient moins nombreux sous l'ère soviétique, ces jeux n'ont pas beaucoup changé. A l'époque, ils ne passaient pas par la sphère économique mais au sein du secrétariat du parti lui-même. Le champ s'est tout simplement élargi, sur une logique d'hommes qui ont la main mise sur une source d'argent ou de pouvoir qu'ils doivent développer avec l'assentiment du pouvoir central.

Vladimir Poutine, bien qu'il se maintienne en permanence au pouvoir et communique beaucoup sur sa capacité à influencer l'économie, et notamment les entreprises russes, est-il tributaire de certains milieux ? Doit-il rendre des comptes, et à qui ?

Grâce au système qu'il s'est bâti, il ne doit rendre de comptes à personne. Si l'un des vassaux se rebelle, il en trouvera toujours d'autres pour lui faire des propositions qui lui conviennent mieux. En revanche, depuis 2012 on assiste à une crisse de légitimité du pouvoir russe, et de Poutine lui-même. Les élections municipales de Moscou sont symptomatiques de cette crise. En juin 2013, la plupart des experts étaient persuadés que l'opposant au pouvoir Alexeï Navalny et candidat à la mairie serait emprisonné. En réalité il a été condamné, puis est sorti le jour d'après pour participer aux élections, afin de légitimer la victoire du candidat de Poutine, Sergueï Sobianine. Si Poutine se livre à cette opération, c'est parce qu'il a conscience qu'il a perdu quelque chose qui ne lui manquait pas avant.

A quelles conditions Vladimir Poutine pourra-t-il continuer à se maintenir au pouvoir ? Pourra-t-il faire vivre indéfiniment l'alternance avec Dimitri Medvedev ?

Cette alternance ne peut pas durer. Si Poutine se livre de nouveau à ce type de manipulation, cela pourrait avoir des conséquences très graves en Russie. Les plupart des gens sont maintenant arrivés à un stade où ils profitent de l'économie et de la croissance, et ils veulent que cette amélioration se concrétise également sur le plan du vote. Le bon résultat, assez inattendu d'Alexeï Navalny en témoigne. Les classes moyennes éduquées urbaines veulent prendre en main leur avenir politique. A Iekaterinbourg, l'une des plus grandes villes du pays, c'est un candidat indépendant qui a remporté les municipales.

Un événement du même type que la Révolution orange en Ukraine pourrait-il émerger si Poutine persiste à garder le pouvoir ?

Des sit-in pourraient être organisés, ou bien des événements comme ceux en Turquie actuellement pourraient se produire. Une révolution urbaine, en somme, contre un homme. C'est pourquoi Poutine a besoin de légitimer à nouveau sa présence populaire. En l’occurrence, la technique consistant à laisser Navalny concourir pour la mairie de Moscou était bonne. En 2018, le spectre politique s'ouvrira sans doute. Il n'est pas impossible qu'une coalition formée par Navalny et ses soutiens soient autorisée à se présenter et puisse remporter des sièges à la Douma.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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