Pourquoi Taïwan pose à la Chine un double défi idéologique et existentiel<!-- --> | Atlantico.fr
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Valérie Niquet publie « Taïwan face à la Chine » aux éditions Tallandier.
Valérie Niquet publie « Taïwan face à la Chine » aux éditions Tallandier.
©Mark Schiefelbein / POOL / AFP

Bonnes feuilles

Valérie Niquet publie « Taïwan face à la Chine » aux éditions Tallandier. Tensions, manœuvres et provocations se multiplient dans le détroit de Taïwan. Valérie Niquet nous donne les clés pour comprendre pourquoi l’île reste pour Xi Jinping, la « mère de toutes les batailles » et pourquoi les États-Unis se préparent à intervenir. Extrait 1/2.

Valérie Niquet

Valérie Niquet

Valérie Niquet est Maître de recherche et responsable du pôle Asie à la FRS.  Elle est l'auteure du livre "La puissance chinoise en 100 questions" aux éditions Tallandier.

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Les dirigeants chinois ont alors un objectif : se doter de la capacité de conquérir Taïwan par les moyens de la guerre asymétrique et d’interdire, de dissuader ou de ralentir une intervention des États-Unis. La Chine a accompli d’immenses progrès en matière militaire, mais ses forces sont encore loin de pouvoir l’emporter dans un conflit direct impliquant Washington. Même face à Taïwan seul, le coût humain et matériel d’une guerre serait considérable. L’objectif pour la RPC est donc de mobiliser toutes les dimensions, militaires et non militaires, pour tenter de remporter la victoire au moindre coût.

En 2005, la loi anti-sécession adoptée par l’APN proclame que jamais la Chine n’acceptera la sécession de Taïwan. Selon cette loi, le recours à la force est légitime en cas de déclaration d’indépendance, mais également si toutes les possibilités de réunification pacifique ont été épuisées. Ainsi, si la Chine pense avoir perdu tout espoir de convaincre les Taïwanais de la rejoindre, elle se réserve le droit « inaliénable » d’avoir recours à des moyens « non pacifiques ».

Le sujet de Taïwan est donc au cœur du développement des capacités militaires de l’APL, avec un budget (209  milliards de dollars) qui se situe désormais au deuxième rang mondial, derrière les États-Unis (768 milliards de dollars).

Si la Chine a longtemps été consciente de ses limites, il semble que, pour Xi Jinping, l’hubris l’emporte. La RPC n’est sans doute pas prête à lancer une attaque non provoquée contre Taïwan, mais elle multiplie les pressions et les tests destinés à réaffirmer ses ambitions et à marquer son impatience, au risque d’un dérapage toujours possible. Cette méthode de la pression permanente est intégrée à la pensée stratégique chinoise de guerre asymétrique. Pour citer Sun Zi, « lorsqu’une armée est faible, elle doit sembler forte » pour mieux impressionner l’adversaire et le dissuader d’intervenir. C’est ce principe qui est au cœur de toute la stratégie chinoise concernant Taïwan.

Alors que le Livre blanc chinois de la défense 2008 considérait encore que la situation dans le détroit de Taïwan avait pris un tour « positif », le ton a radicalement changé sous Xi Jinping. Dans l’édition 2019, Taïwan, premier des « intérêts cardinaux » du régime chinois, est mentionné une douzaine de fois. « L’agressivité et la volonté de confrontation des autorités taïwanaises » sont violemment dénoncées et les forces indépendantistes séparatistes, décrites comme la « plus grave menace immédiate pour la paix et la stabilité dans le détroit de Taïwan ». En cas de conflit, ce sont elles qui sont par avance dénoncées comme responsables.

Dans le chapitre que le Livre blanc consacre à la stratégie défensive de la Chine, la mission de « contenir l’indépendance de Taïwan » arrive en troisième position, derrière la dissuasion de toute agression contre le territoire national et la préservation de la « sécurité politique » et de la « stabilité sociale ».

Bras armé du Parti communiste, l’APL doit en effet avant tout préserver le régime contre toute menace interne. Or, perdre l’île serait un affront direct à la légitimité et à l’autorité du Parti. Comme le proclament Xi  Jinping et les organes de propagande : « Résoudre la question de Taïwan et parachever la réunification complète du pays est essentiel pour réaliser la “renaissance nationale”. »

Dans ce contexte, les manœuvres des bâtiments et des avions chinois autour de Taïwan ont une fonction de mise en garde. Il s’agit, pour la RPC, de faire montre de sa détermination à aller jusqu’à la guerre si nécessaire.

(…)

Alors que le régime chinois est confronté à d’immenses défis économiques, stratégiques et sociaux, il lui faut sans cesse réaffirmer sa légitimité et le caractère incontestable de la domination du Parti communiste – et le rejet du principe d’universalité des valeurs démocratiques est au cœur de cette vérité. Au contraire, Taïwan démontre que les principes universels de défense des Droits de l’homme et de respect de la démocratie peuvent être tout aussi « chinois » qu’occidentaux.

L’existence de Taïwan pose donc à la RPC un double défi idéologique et existentiel : c’est la question de la nature de la « Chine » en tant qu’État-nation qui est posée, mais aussi celle de l’assimilation du Parti communiste à cette nation chinoise en réalité très diverse. Taïwan et son statut d’indépendance de fait sont en réalité un rappel constant de la faiblesse idéologique du Parti, incapable de convaincre les « compatriotes » de l’île de rejoindre la patrie communiste.

La transition démocratique que l’île a connue renvoie également en miroir aux échecs et aux drames de la révolution chinoise  : sans presque verser une goutte de sang, Taïwan s’est progressivement démocratisé et l’initiative est venue des dirigeants du Kuomintang eux-mêmes. L’évolution de Taïwan démontre que les changements de régime sont possibles et positifs. C’est contre ce scénario catastrophe pour sa survie que le Parti communiste lutte avec constance.

Taïwan est donc au cœur des intérêts de sécurité du régime chinois à tous les niveaux : géostratégiques, militaires, scientifiques et idéologiques. Plus de soixante-dix ans après que les restes de l’armée nationaliste du « Generalissimo » Chiang Kaï-shek et une partie du personnel politique et de l’administration de la République de Chine ont trouvé refuge sur l’île, la relation se tend des deux côtés du détroit. Taïwan est devenu un abcès insupportable pour le régime de Pékin.

Extrait du livre de Valérie Niquet, « Taïwan face à la Chine », publié aux éditions Tallandier

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