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Pourquoi les préférences des électeurs ont un impact minuscule sur les politiques menées
©Reuters

Bonnes feuilles

Le genre humain se découvre, surpris, au bord de l’extinction et il ne réagit que mollement, en tentant de manière dérisoire de dégager un bénéfice commercial de toute tentative de réponse. Notre constitution psychique et notre histoire jusqu'ici suggèrent malheureusement que notre espèce n’est pas à la hauteur de la tâche : la découverte que chacun d’entre nous est mortel l’a plongée dans une stupeur profonde dont plusieurs milliers d’années de rumination ne sont pas parvenues à la faire émerger. Extrait de "Le dernier qui s'en va éteint la lumière" de Paul Jorion, aux éditions Fayard 1/2

Paul Jorion

Paul Jorion

Paul Jorion est Docteur en Sciences sociales et enseignant. Il a aussi été trader et spécialiste de la formation des prix dans le milieu bancaire américain.

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Dans un article paru en septembre 2014, « Testing Theories of American Politics », Martin Gilens, professeur à Princeton University, et Benjamin Page, professeur à Northwestern, une des grandes universités de Chicago, se donnent pour objectif d’évaluer le type de régime politique qui préside à nos sociétés contemporaines. Quatre options ont été retenues : la démocratie électorale majoritaire, la domination par une élite économique, le pluralisme majoritaire et le pluralisme biaisé.

Gilens et Page ont fait débuter leur recherche en constituant un important catalogue d’objectifs politiques exprimés dans l’opinion publique : 1 779 en tout. Ils ont examiné ensuite si les mesures prônées ont été, oui ou non, mises en oeuvre. Leur conclusion est sans équivoque : « Les préférences de l’Américain moyen semblent avoir un impact minuscule sur les politiques qui sont suivies, proche de zéro, non significatif sur un plan statistique. »

L’opinion de la majorité est donc ignorée : elle ne compte pas et n’est pas reflétée dans les mesures qui sont prises, si ce n’est, précisent-ils, dans les cas où elle coïncide avec celle de la toute petite minorité qui décide des mesures qui deviendront réalité.

Gilens et Page se demandent également si les groupes d’intérêts d’origine citoyenne, syndicats, organisations de consommateurs, par exemple, ont davantage de chances de voir leurs propositions se matérialiser. La réponse est oui dans une certaine mesure, mais l’inconvénient alors, c’est que leurs voeux ne coïncident pas, généralement, avec les souhaits d’une majorité de la population. Ces groupes d’intérêts censés représenter les citoyens ordinaires ont des objectifs qui, le plus souvent, leur sont propres, s’apparentant à ceux d’un lobby, et se distinguent ainsi des voeux de la majorité.

Est-ce à dire que les parlementaires consacrent de longues délibérations aux requêtes de la population sur ce qu’il conviendrait de faire pour que, en fin de compte, une majorité d’entre eux décident de les rejeter ? Non pas ! Ce que l’on observe, c’est que les souhaits de la population dans son ensemble ne se retrouvent jamais sous la forme de propositions qui feraient l’objet de discussions au niveau du Congrès ou du Sénat américain.

Une petite phrase est là, qui résume l’article de Gilens et Page tout entier : « La majorité ne dirige pas le cours des affaires. » On notera l’italique du « ne » et du « pas ». 

Cet article au message essentiel n’a pas été écrit, on l’aura compris, par des révolutionnaires : il s’agit de professeurs d’université ayant pignon sur rue, se consacrant à une tâche d’ordre scientifique. Cela ne signifie pas, bien entendu, qu’ils n’aient pas d’opinions personnelles – ils en ont certainement –, mais ils s’adonnent ici à la recherche scientifique, et respectent les règles de l’enquête statistique.

Quelles conclusions en tirer ? Qu’aux États-Unis règne un système politique caractérisé par la domination par une élite économique. Notre système politique en Europe n’est probablement pas très différent de celui qui existe là-bas : il suffit, pour s’en convaincre, d’observer chez nous la succession de gouvernements élus sur des plates-formes parfois très différentes qui mettent en oeuvre exactement les mêmes politiques. Gilens et Page échouent à définir précisément qui compose le petit groupe décidant des propositions qui seront soumises à la représentation populaire et votées servilement par elle ; ils suggèrent toutefois qu’il est dominé par des structures puissantes appartenant au milieu des affaires et par un petit nombre d’Américains extrêmement fortunés.

Les citoyens ordinaires ont donc beau exprimer clairement leurs souhaits, et réclamer à cor et à cri que des mesures soient prises, cela ne fait aucune différence, parce que nos systèmes politiques s’assimilent désormais à une domination par une élite économique, et sont déconnectés à ce titre de l’opinion majoritaire. Les décisions prises sont celles qui coïncident avec les intérêts d’une minorité toute-puissante : élite du milieu des affaires et toutes grandes fortunes.

Extrait de "Le dernier qui s'en va éteint la lumière" de Paul Jorion, publié aux éditions Fayard, mars 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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