Pourquoi le vieillissement de la population est l'ennemi juré de la croissance française<!-- --> | Atlantico.fr
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Une population plus âgée a peu d’incitation à réaliser des projets à long terme.
Une population plus âgée a peu d’incitation à réaliser des projets à long terme.
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Bonnes feuilles

L'auteur Hakim El Karoui démontre que la crise économique et financière que le monde connaît depuis 2008 est en réalité une crise démographique. Extrait de "La lutte des âges" (2/2).

 Hakim El-Karoui

Hakim El-Karoui

Normalien (Fontenay), agrégé de géographie, Hakim El-Karoui a été conseiller technique de Jean-Pierre Raffarin et chargé des « études et prospectives » auprès de Thierry Breton, alors ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie. De père tunisien et de mère française, il est passionné par les questions d'intégration et préside le « Cercle du XXIe siècle » dont l'un des objectifs est de permettre une meilleure insertion des Français d'origine. Il est l'auteur de l'essai "Réinventer l'Occident".

 

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Une population plus âgée et dont la taille se réduit hésite à prendre des risques et a peu d’incitation à réaliser des projets à long terme. À ce titre, la comparaison entre la zone euro, marquée par le vieillissement, et les États-Unis, qui sont encore plutôt épargnés, est éloquente.

L’effort d’innovation est plus faible dans la zone euro. Le développement des nouvelles technologies dans les années 1990 avait stimulé la productivité du travail. Mais les années 2000-2010 n’ont pas apporté de nouveautés majeures qui amèneraient un progrès technique essentiel et des gains de productivité rapide. Sur les dix dernières années, les dépenses de recherche et développement rapportées au PIB ont toujours été inférieures en zone euro par rapport aux États-Unis : 1,9 % contre 2,6 % aux États-Unis. Le nombre de brevets par million d’habitants est également inférieur : 44,8 contre 37. L’investissement technologique des entreprises y est aussi moindre : depuis 1998, il se situe autour de 2 % du PIB contre 3,1 % outre-Atlantique.

Tous ces facteurs expliquent le recul de la productivité dans le vieil Euroland. En moyenne, par an, entre 1998 et 2011, la productivité par tête a progressé de seulement 0,5 % contre 2,5 % aux États-Unis. En 2012-2013, elle a ralenti de façon spectaculaire en Occident : 1,04 % aux États-Unis, 0,15 % en Europe et a même reculé au Royaume-Uni de – 1 % 1 !

Devant de telles perspectives démographiques et dans un contexte d’incertitude économique, il n’est pas surprenant que les entreprises investissent peu et préfèrent accumuler du cash. D’après les calculs de Bloomberg, les 265 sociétés européennes (hors financières) de l’indice Stoxx 600 auraient accumulé près de 477 milliards de dollars de trésorerie fin 2012, soit autant que le PIB de la Belgique. Il y a dix ans, ce trésor de guerre était trois fois et demie moins important ! Total possède 18 milliards d’euros en cash, Orange 8.

Les entreprises préfèrent aujourd’hui faire plaisir à leurs « vieux » actionnaires (fonds de pension, assurances et caisses de retraite) en leur distribuant des dividendes ou en leur rachetant leurs propres actions, à l’instar d’Apple en mai 2013, plutôt que d’investir dans de nouvelles innovations. Or, sans investissement, la productivité ne progresse pas et la croissance reste à l’arrêt.

Formulée par l’économiste Franco Modigliani 2 en 1963, la théorie du cycle de vie énonce que l’individu épargne et accumule du patrimoine quand il travaille avant de désépargner et de consommer tout ou partie de son patrimoine à la retraite.

Appliqué aux États, cela supposerait que les pays émergents, qui comptent le plus d’actifs dans leur population et peu d’inactifs, accumulent de l’épargne, essentiellement convertie en investissements pour financer la croissance. À l’inverse, les vieux États européens, comptant moins d’actifs et devant financer les retraites des inactifs, ont moins d’épargne disponible pour préparer le futur. Les prix des actifs financiers, immobilier et actions, varient aussi selon la structure démographique de la population. Plus l’âge médian de la population est élevé, plus leur prix baisse. Les raisons qui expliquent cette corrélation sont multiples.

L’économiste Hippolyte d’Albis consacre une partie de ses recherches à la question du lien entre prix de l’immobilier et vieillissement de la population. Les prix ont augmenté à une vitesse vertigineuse lors des dernières années car le marché est illiquide : une offre faible face à une demande nombreuse. Autrement dit, l’offre sera faible tant que les plus de 60 ans, essentiellement des babyboomers et leurs aînés, qui possèdent l’essentiel du patrimoine immobilier en France, n’ont pas encore commencé à vendre leurs logements. Selon lui, les achats sont fortement concentrés, atteignant un maximum à 31 ans et les ventes s’accélèrent au-delà de 49 ans (âge où les vendeurs excèdent les acheteurs). Les prix immobiliers baisseront lorsque l’offre sera supérieure à la demande. Cela se produira lorsque l’âge médian de la population, aujourd’hui à 40 ans, s’approchera donc de la barre des 49 ans.

Les prix de l’immobilier subissent eux aussi la conséquence de l’allongement de la durée de la vie. Réalité peu connue, le nombre annuel de décès est parfaitement stable depuis 1950 (voir graphique). Avec l’arrivée aujourd’hui à l’âge de la retraite des baby-boomers puis leur entrée dans le grand âge, le nombre de décès et le taux global de mortalité vont augmenter en conséquence. Cette tendance a d’ores et déjà commencé, elle va s’accélérer pour culminer en 2050, avec la disparition programmée de la génération née un siècle plus tôt. Entre aujourd’hui et 2030, le nombre de décès devrait augmenter de 18 %. Et encore de 21 % entre 2030 et 2050. Le nombre de décès passerait alors de 573 000 en 2013 à 773 000 en 2050.

Or, en France, les plus de 60 ans sont 72 % à être propriétaires de leur logement principal, soit le plus haut taux de détention parmi toutes les tranches d’âge. L’augmentation du nombre de décès va mécaniquement augmenter la transmission de biens immobiliers et leur mise sur le marché. L’augmentation de l’offre va être par ailleurs favorisée par le départ en maison de retraite d’un certain nombre de personnes âgées. L’augmentation du nombre de décès à laquelle va s’ajouter la cession de résidences principales par des personnes devant financer leur dépendance : ces deux facteurs vont se cumuler pour faire baisser, de façon sensible d’ici dix ans, le marché de l’immobilier. Cette tendance est valable partout dans le monde. Une étude menée par Előd Takáts (2010) évalue à 0,8 % la baisse annuelle que subiraient les prix des actifs immobiliers pendant les quarante prochaines années. La baisse devrait être encore plus prononcée en Europe et au Japon.

Et les actions vont être touchées également. Le départ à la retraite de la génération des baby-boomers devrait avoir une incidence sur le prix et les rendements des actifs mondiaux. C’est en tout cas ce que suggèrent un nombre croissant d’études empiriques depuis le milieu des années 1990. L’une d’elles, menée par les économistes Zheng Liu et Mark Spiegel 1 en 2011 sur des données historiques, met également en évidence une forte relation entre la pyramide des âges de la population américaine et la performance des marchés boursiers.

Le départ en retraite des baby-boomers pourrait selon eux se traduire par un changement significatif de leur comportement : acheteurs d’actions lorsqu’ils étaient actifs, ceux-ci sont susceptibles de vendre massivement leurs avoirs en actions pour financer leur retraite. Leurs estimations suggèrent que ce changement pourrait exercer une pression à la baisse significative sur le prix des actions au cours des deux prochaines décennies.

L’étude de Vina Nguyen, réalisée à partir d’un large panel de pays, conclut aussi que le rendement des actifs baisse dans le temps et à travers les pays à mesure que la part de la population âgée s’accroît. Aux États-Unis par exemple, le prix des actions rapporté à leurs bénéfices 2 est fortement corrélé au rapport entre les populations âgées de 40 à 49 ans et celles âgées de 60 à 69 ans (le M/O ratio). Les P/E baissent jusqu’en 1985, année où les baby-boomers fêtent leurs 40 ans puis remontent jusqu’en 2004, moment où ils commencent à rentrer dans la tranche d’âge 60-69 ans. Cette corrélation, toutes choses égales par ailleurs, devrait conduire le prix des actions en 2024 au plus bas observé en 1985. Cette tendance devrait l’emporter sur le long terme sur les politiques très expansionnistes des banques centrales américaine, japonaise et européenne qui ont permis pour le moment une lente remontée des places boursières mondiales. Ce type d’évolution pourrait alors significativement réduire la croissance des marchés d’actions et engendrer ce que les Américains appellent l’« equity gap » que l’on peut définir comme étant une situation dans laquelle la demande d’actions serait insuffisante pour satisfaire aux besoins de financement en actions des entreprises.

Le changement démographique affecte aussi la circulation internationale des mouvements de capitaux 3. Le début de vieillissement que connaissent les pays émergents et auquel ils se préparent devrait considérablement affecter le volume et la destination de leur épargne. Si, jusqu’à présent, ils ont investi leur épargne dans les pays occidentaux (cf. chapitre 3), cette situation est amenée à changer car ces pays encore jeunes aujourd’hui vieillissent plus vite que l’Occident.

La mise en place de systèmes de protection sociale et le développement du système financier local relâcheront la contrainte d’auto-assurance de la population des pays émergents qui expliquait en grande partie le niveau très élevé du taux d’épargne (supérieur à 50 % du PIB en Chine). La destination de cette épargne ne sera plus la même : elle trouvera de plus en plus à s’investir à l’intérieur. Et l’excès d’épargne des pays émergents et plus particulièrement de la Chine devrait peu à peu se résorber. Bien évidemment, il s’agit d’un processus long, dont la durée est difficile à estimer, mais qui se comptera très certainement en dizaines d’années et dont le résultat est attendu : le développement du système de protection sociale dans les pays émergents va très certainement faire augmenter la demande pour des actifs sûrs au détriment des actions. Déjà, de nombreux pays d’Amérique latine sont passés de systèmes publics de retraite par répartition à des systèmes partiellement privés reposant sur une partie individuelle de capitalisation. Et ces fonds de pension vont acheter des obligations plutôt que des actions afin de sécuriser leurs placements.

Extrait de "La lutte des âges : comment les retraités ont pris le pouvoir", Hakim El Karoui (Editions Flammarion), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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